Le côté obscur du TAFTA

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Par Danièle Favari Modifié le 29 novembre 2022 à 10h10

Le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, on en a déjà parlé ici, s'invite désormais, sur les ondes, dans la campagne pour les européennes et même comme fer de lance de certains partis. Et c'est tant mieux parce que s'annonce une nouvelle guerre; celle des "normes" qui conduit l'UE sur la voie du moins-disant étasunien et du "plus petit dénominateur commun".

"Valeurs communes"

"C'est un des arguments traditionnels des défenseurs du TAFTA, un moyen de promouvoir la défense d'un capitalisme dérégulé libéré de la contrainte démocratique et sociale alors que l'Europe a profondément intérêt à ce que les règles et les standards qu'elle défend ne soient pas remis en cause". En effet, ce traité sanctifie la vision des technocrates de la Commission européenne qui n'est plus qu'un instrument de la mondialisation qui se substitue aux volontés nationales.

"Barrières tarifaires"

Il faut, sous ce vocable, entendre "suppression des droits de douane ; ceux là même (de 2 à 5,7% sauf pour les produits agricoles de 17,9%) qui ont engendré 14% des ressources propres de l'UE en 2013. Sur un budget 2014 de 135 milliards d'euros, ils représenteraient une perte financière de 18 milliards qui va, nécessairement, entraîner un basculement vers les finances publiques et "annuler" l'hypothétique baisse des prix à la consommation qui devrait se traduire par une économie de 500 euros/an pour une famille de quatre personnes (à l'horizon 2027).

A retrancher aussi des 119 milliards de bénéfices annoncés par l'étude du CEPR qui permettraient d'accroître la taille de l'économie de l'Union européenne (de 0,4% du PIB) alors que les modèles standards utilisés par ces économistes pour analyser ce type d'accord ne permettent pas de quantifier le nombre d'emplois qui seront créés et que l'UE compte 26,5 millions de chômeurs (10,5%).

Karel de Gucht, commissaire européen au Commerce chargé des négociations dit lui-même "ne pas savoir comment on peut arriver à ces chiffres. On ne peut pas chiffrer ça", a-t-il martelé (sic) en réponse à une question de l'eurodéputé Yannick Jadot.

A rappeler que le "Buy American Act" (dispositif mis en place par Franklin Roosevelt, lors de la Grande Dépression de 1933 pour soutenir la production nationale) impose l'achat de 23% des biens produits sur le territoire américain pour les achats directs effectués par le gouvernement ou engageant des fonds fédéraux alors que les aides accordées par les États qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions sont incompatibles avec le marché intérieur de l'UE (article 107 du traité de Lisbonne).

D'ailleurs, les Américains temporisent par rapport aux demandes européennes en matière d'ouverture des marchés publics, eu égard au Buy American Act.

Mais l'enjeu central réside moins dans l'abaissement des droits de douane que dans la complétion entre systèmes sociaux et la réduction de 25% des "obstacles non tarifaires" pour les biens et les services qui va bien au delà d'une simple concurrence entre économies car il s'agit, en réalité, des normes qui protègent nos préférences collectives et communautaires, qu'elles soient sociales, environnementales ou éthiques.

Rappelons d'abord que l'Union européenne, prise globalement est le premier exportateur et importateur mondial (509 millions de consommateurs), que les USA sont déjà le premier client de l'UE et que la zone euro (à 18) affiche un excèdent commercial entre les deux zones de 153,8 milliards d'euros imputable principalement à l'Allemagne (excédent commercial de 185,5 milliards) alors que la France continue d'afficher le plus lourd déficit (69,9 milliards).

Diminution de 50 % des barrières liées aux marchés publics

Outre l'accès à de nouveaux pans de l'économie (eau, électricité), l'accord prévoit la privatisation de certains secteurs non-marchands: éducation, santé, aide aux personnes qui s'appliquera à toutes les composantes (régions, départements, communes) des Etats. Or, au Canada, par exemple -l'UE a signé, le 18 octobre 2013 avec le Canada l'Accord Commercial Economique Global (AECG) qui comporte les mêmes volets que celui du TAFTA-, l'UE a demandé la libéralisation du courrier et, depuis, il n'y a de distribution de courrier que dans des boîtes collectives. "Notre" Poste n'a été confirmée dans son rôle de prestataire du service universel postal que pour une durée de 15 ans (loi 2010-123 du 9 février 2010) et Bruxelles pourrait presser l'Etat français à céder ses participations pour accélérer l'ouverture à la concurrence.

Représenter sémantiquement le "mécanisme d'arbitrage privé" est une manière de le rendre plus attrayant alors qu'il permettra le démantèlement de l'appareil législatif (lois nationales) et réglementaire (supranational) destiné à la protection de l'intérêt public des citoyens des 28 Etats membres de l'UE. Déjà, le Parlement européen, réuni à Strasbourg, a voté le 16 avril dernier un rapport (Rapport de Pawel Zalewski) instaurant les modalités de ce mécanisme "dont les conséquences budgétaires pourraient être énormes pour l'UE, les Etats membres et les citoyens". Il prévoit "qu'un Etat membre peut, à tout moment, accepter qu'il sera financièrement responsable dans l'hypothèse où une indemnisation devrait être versée".

L'énergie est-elle la clé pour comprendre le traité transatlantique?

Bien sûr, il ne faut pas négliger la question de l'énergie que le conflit ukrainien a ravivé alors que, grâce au gaz et pétrole de schiste, l'objectif des Américains est de devenir exportateur d'hydrocarbures et celui de l'Europe de ne plus dépendre du gaz russe. Les obstacles législatifs qui empêchaient les USA d'exporter ont, d'ailleurs, été levés par le Congrès pour permettre notre mise sous tutelle énergétique.

Y aura-t-il ratification par les Parlements nationaux? Le sujet fait débat

Le traité fondateur de l'UE (article 207) a donné à la Commission européenne l'initiative des négociations de la "politique commerciale commune" fondée sur la conclusion d'accords tarifaires et commerciaux et si le traité exige la ratification par le Conseil de l'Union et le Parlement européen, le rôle du Parlement national n'interviendra que si l'accord inclut des questions d'ordre normatif et législatif et est donc considéré comme "mixte".

Le TAFTA, comme le dit l'économiste Dean Baker , c'est surtout "le maintien de l'ordre économique international qui escamote le processus démocratique et la mise en œuvre d'une nouvelle structure réglementaire qui aurait peu de chances d'être approuvée par les processus normaux des deux côtés de l'Atlantique".

Résistons donc au TAFTA et au TISA, l'autre accord en cours de négociations.

Article paru ici et repris avec l'aimable autorisation de l'auteur

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Juriste de l'environnement et droit européen de l'environnement, Membre expert de la "Fabrique écologique", Auteure de "Europe-Etats-Unis, les enjeux de l'accord de libre-échange" aux Editions Yves Michel (diffuseur Dilisco, avril 2014) et de "Les vrais dangers du gaz de schiste" ainsi que d'articles dans la revue Nexus, blogueuse dans le Huffington Post, Slate.fr et, accessoirement, diplomée de l'IAE d'Aix-en-Provence. twitter : https://twitter.com/daniele_favari Site : http://verte-influence.e-monsite.com/ 

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