Affaire Abliazov : la France lui retire le statut de réfugié

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Par Gabriel Robin Modifié le 6 mars 2023 à 16h56
Kazakhstan Russie Divorce Provoque Guerre Ukraine

L’affaire Moukhtar Abliazov, du nom de cet oligarque et ancien ministre kazakhstanais accusé d’avoir détourné la modique somme de 7,5 milliards de dollars du temps où il était le PDG de la banque BTA, connait de nouveaux rebondissements. En effet, après lui avoir accordé le statut de réfugié en septembre 2020, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) le lui a finalement retiré tout récemment. Alors que le nom de Bernard Madoff revient dans l'actualité à la faveur de l'excellente série documentaire que lui consacre Netflix, découverte d'un personnage bien moins célèbre mais tout aussi fascinant. 

Le 8 décembre 2022, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) rendait donc son verdict, très attendu, et désormais public. La Cour a fait sienne l’analyse du Conseil d’Etat exprimée tout juste un an auparavant. Son raisonnement est double. Tout d’abord, la Cour reconnait que Moukhtar Abliazov est un opposant politique connu du régime kazakhstanais, même après le départ du président Noursoultan Nazarbayev dont il fut le ministre de l’Energie. Cela signifie que l’argument relatif à sa crainte d’être persécuté a été reconnu comme étant toujours valide. C’est cette crainte qui avait déjà conduit le Conseil d’Etat, le 9 décembre 2021, à faire annuler un décret d’extradition pris à l’encontre de Moukhtar Abliazov par le premier ministre Manuel Valls.

Il est acquis que la France n’accordera jamais de demande d’extradition de Moukhtar Abliazov au Kazakhstan. Moins encore vers la Russie et l’Ukraine, deux pays qui en ont aussi fait la demande et où l’homme d’affaires a été condamné pour des faits similaires de détournement de fonds concernant des montants s’élevant à plusieurs milliards de dollars. L’Ukraine étant secouée par un conflit, la France ne peut y extrader personne, de droit. Quant à la Russie, nul besoin de trop s’appesantir pour comprendre que son système judiciaire et la situation géopolitique actuelle ne satisfont pas aux critères européens et français.

Impossible d’extrader Mokhtar Ablaziov dans les pays qui le réclament

Techniquement, la Cour Nationale du Droit d’Asile se base sur une stipulation de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés : son article 1, F indique que les personnes qui ont commis « un crime grave de droit commun » dans leur pays d'origine avant de rejoindre le pays d'accueil ne se verront pas accorder le statut de réfugié. Il s’agit d’une « clause d'exclusion ». La jurisprudence en la matière a été fluctuante jusqu'à un arrêt du Conseil d'Etat n°. 447538 du 21 juin 2022 établissant qu'une infraction économique d'une certaine ampleur peut être qualifiée de "crime grave de droit commun". C'est ce qu'affirme sans ambiguïté l'arrêt du Conseil d'État du 8 décembre 2021 et c'est ce que retient la Cour Nationale du Droit d’Asile : le montant du détournement de fonds allégué et son absence de caractère politique constituent des « raisons sérieuses » de penser que M. Ablyazov a commis un crime grave.

En retirant à Moukhtar Abliazov son statut de réfugié, fait relativement rare, la Cour a finalement admis que sa fuite vers l’Europe n’avait été motivée que par sa volonté d’échapper à la Justice de son pays dans le cadre de la procédure qui le visait pour la fraude à grande échelle qu’il avait orchestrée lorsqu’il était à la tête de la banque BTA. Aurions-nous accordé un statut de réfugié à Bernard Madoff s’il s’était échappé en France ? La décision de la Cour Nationale du Droit d’Asile de décembre 2022 rétablit l’image de la France auprès de tous les pays qui ont été les victimes des agissements criminels de monsieur Abliazov et qui l’ont condamné.

Parmi ces pays, outre les Etats-Unis où une procédure a été lancée, il y a aussi la Grande-Bretagne qui n’est pas en guerre et qu’on ne saurait soupçonner de nourrir des griefs personnels à l’endroit de Mouhktar Abliazov. Ainsi, en 2012, la Haute Cour britannique lui a infligé des dommages et intérêts d’un montant total de 4,6 milliards de dollars. Un chiffre presque record en la matière. La Grande-Bretagne pourrait être justement l’invitée surprise de cette affaire si symptomatique de la mondialisation financière et humaine, ayant des ramifications dans tant de pays si différents. Nos voisins ont encore la possibilité de demander l’extradition de Moukhtar Abliazov. Ce sont d’ailleurs les Britanniques qui ont prononcé les condamnations les plus sévères à son endroit au cours des dix dernières années. Monsieur Abliazov bénéficie toujours d’un recours en cassation devant le Conseil d’Etat, lequel sera très sûrement rejeté par la Haute Cour administrative. Dans ce jeu où chaque minute compte, Moukhtar Abliazov ne devrait pas se priver de faire trainer en longueur la procédure.

Et si la Grande Bretagne réclamait l’extradition d’Ablaziov ?

Résumons : Moukthar Abliazov ne peut pas être extradé vers le Kazakhstan, ni vers la Russie et l’Ukraine, pour toutes les raisons évoquées plus avant. Très récemment, la semaine dernière pour être précis, le procureur général adjoint du Kazakhstan, Zhandos Umiraliyev, annonçait que le Kazakhstan allait soumettre une demande d'extradition de monsieur Abliazov à la France. Des discussions sont en cours entre la France et le Kazakhstan pour conclure un accord d'entraide judiciaire en matière pénale. Même si cet accord comportait un volet extradition, il y a très peu de chances que la France accepte la demande d'extradition vers le Kazakhstan. Car, si la Cour Nationale du Droit d’Asile a retiré son statut de réfugié à Moukhtar Abliazov, elle a toutefois insisté sur sa position d’opposant politique.

La meilleure issue serait donc que la Grande-Bretagne formule une demande d’extradition. La France pourrait exfiltrer discrètement cet encombrant invité qui à lui seul pourrait compromettre des relations bilatérales au beau fixe. En effet, EDF est actuellement en pourparlers avec Astana afin de construire une centrale nucléaire. Le groupe français est en concurrence avec ses homologues coréens, chinois et russes...

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Gabriel Robin, est journaliste, rédacteur en chef des pages société de l’Incorrect. Il est également auteur du livre « Le non du peuple » paru aux éditions du Cerf.

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