Michael J. Boskin – Une Amérique inquiète

Michael J. Boskin, professeur d’économie à l’Université de Stanford et Senior Fellow à la Hoover institution, ancien président du Conseil des conseillers économiques de George H.W.  Bush de 1989 à 1993.

Michael J. Boskin
Par Michael J. Boskin Publié le 19 septembre 2023 à 5h00
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3,8%Le chômage a augmenté à 3,8% en juillet 2023 aux USA.

Malgré une économie forte qui a bravé la plupart des prévisions – à la fois en évitant une récession et en maintenant un faible taux de chômage – les Américains semblent de plus en plus agités. Une grande majorité des gens ne peut pas parier sur le maintien des bonnes conditions actuelles et pense à ce titre que le pays s’engage dans la mauvaise direction. En outre, l'Amérique est peut-être confrontée à la situation géopolitique la plus complexe et la plus dangereuse depuis la chute du mur de Berlin.

Pourtant, face à d’aussi gros enjeux, le pays organise des élections présidentielles entre un candidat inculpé de multiples crimes graves et un président sortant qui travaille sans relâche pour échapper aux soupçons de corruption liés aux contrats commerciaux de son fils. Certes, ce n'est pas la première fois qu’un scandale vient entacher la politique américaine. Le président Richard Nixon a quitté ses fonctions pour éviter d'être destitué et démis de ses fonctions suite au scandale du Watergate ; Bill Clinton et Donald Trump ont tous deux été destitués (mais pas condamnés par le Sénat). Néanmoins, la rancune politique actuelle semble atteindre un nouveau niveau d’intensité – et ce dernier ne fait que croître.

Pire encore, les questions nationales cruciales restent sans réponse et la puissance économique et l’influence géopolitique futures de l’Amérique sont confrontées à de nouveaux risques majeurs. Le pays a une dette publique excessive et les perspectives budgétaires montrent des déficits énormes à perte de vue. Les systèmes de retraite et d’assurance maladie sont sur une trajectoire d'insolvabilité. En outre, les États-Unis ont un besoin urgent de renforcer leur armée et leurs alliances pour contrer les capacités croissantes de leurs adversaires actuels et potentiels.

Par ailleurs, les États-Unis ont besoin de réformes pour atténuer les risques climatiques qui non seulement semblent raisonnables, mais qui soient à même de résister à un changement de pouvoir entre les partis en place. Les responsables politiques doivent réaffirmer leur contrôle sur la frontière sud et adopter une réforme de l’immigration fondée sur le mérite. Ils doivent maintenir une économie de marché dynamique en réduisant leur dépendance à l’égard d’interventions budgétaires et monétaires « temporaires ». Sans un leadership fort et une politique de bon sens de la part du prochain président, les États-Unis continueront à dériver vers des crises budgétaires, économiques et éventuellement militaires aux ramifications mondiales.

À l'anniversaire de l'adoption de la Loi sur la réduction de l'inflation, le président américain Joe Biden a vanté les avantages supposés de sa politique (même s'il admet que la  Loi sur la réduction de l'inflation a été mal nommée). Pourtant, une majorité d’électeurs indépendants – qui représentent aujourd’hui un record de 49 % de l’électorat – pensent que ses politiques ont aggravé la situation.

Ces gens ont de bonnes raisons de penser de la sorte. Avec ses dépenses publiques excessives financées par le déficit dans une économie déjà proche du plein emploi, la stratégie des Bidenomics a été le plus grand contributeur à ce qui est devenu la pire inflation depuis le début des années 1980. Alors que la croissance des prix s’est quelque peu modérée, l’inflation sous-jacente (hors prix des denrées alimentaires et de l’énergie) reste bien au-dessus de l’objectif de 2 % fixé par la Réserve fédérale américaine. De plus, les électeurs savent que Biden voulait des billions de dollars de plus en dépenses en plus des fonds qu’il n’a obtenus et qu’il poussera à davantage de dépenses s’il est élu pour un second mandat.

Le malaise de l’Amérique n’est pas non plus seulement dû au fait que les budgets des familles soient lésés par une inflation élevée. Au cours des 20 premiers mois du mandat de Biden, les interpellations de immigrants illégaux ont grimpé à plus de cinq millions, beaucoup ne recevant rien de plus qu'un bout de papier leur ordonnant de comparaître à une audience d'asile dans un avenir lointain. Les grandes villes « progressistes » ont été si ravagées par la criminalité que les gens et les entreprises les fuient. Le préjudice immense causé par les fermetures d’écoles durant la pandémie continue de faire des ravages, produisant des résultats particulièrement désastreux pour les élèves déjà défavorisés.

Mais au grand dam de la plupart des électeurs, les élections présidentielles de 2024 risquent d'être une revanche entre Biden et son prédécesseur, Donald Trump - deux candidats avec un faible taux d'approbation globale et un sentiment négatif élevé. Non seulement l'âge de Biden remet en question sa capacité à faire son travail durant quatre ans supplémentaires, mais les électeurs sont également repoussés par le scandale entourant les transactions commerciales étrangères et l'évasion fiscale de Hunter Biden, notamment une tentative d'accord d'immunité de faveur.

Il existe également de plus en plus de preuves que Biden, en tant que vice-président de Barack Obama, a aidé ou fermé les yeux sur le trafic d’influence de son fils – des efforts qui ont abouti à ce que neuf membres de sa famille reçoivent des paiements de ressortissants étrangers. Dans un récent sondage de CNN, la moitié des répondants ont déclaré qu’ils pensaient que le comportement de Biden en tant que vice-président était illégal (42 %) ou contraire à l’éthique (18 %) et qu’il avait agi de manière inappropriée dans l’enquête sur son fils.

Les problèmes de Trump sont bien pires, tant sur le plan juridique que politique. Dans un récent sondage de Fox, une majorité de répondants pensent qu'il a commis des actes illégaux (bien qu'une majorité de Républicains considèrent également son traitement par le Département de la Justice comme motivé par la politique partisane). Faisant face à quatre inculpations distinctes – totalisant 91 accusations – l’ancien président subira des poursuites judiciaires tout au long des primaires du Parti Républicain et des élections de novembre prochain.

Bon nombre des accusations portées contre Trump – tant au niveau fédéral que dans l’État de Géorgie – sont fondées sur des théories juridiques ténues ou rejetées auparavant et certaines pourraient être annulées en appel. D'autres accusations, cependant, comme celle pour entrave à la justice sur les documents classifiés à sa propriété Mar-a-Lago, semblent être fondées sur des motifs solides. Pendant ce temps, Trump et ses partisans continuent de prétendre, à tort, que les élections de 2020 ont été volées.

Malgré ce passif, Trump a un fort avantage pour remporter l'investiture du Parti Républicain et il est à égalité avec Biden dans un hypothétique duel pour l'élection générale. Il nous reste donc une multitude de scénarios plausibles. Pour commencer, Trump pourrait remporter l’investiture du Parti Républicain, perdre les élections générales, puis trouver des raisons à sa défaite dans ses « faux » problèmes juridiques. Si l'une de ses convictions est par la suite infirmée en appel, ses affirmations pourraient trouver un écho auprès de nombreux électeurs.

Une autre possibilité est que Trump puisse reprendre le contrôle de la Maison Blanche et se pardonner lui-même, ou bien que des preuves apparaissent que relient les paiements étrangers plus directement à Biden. Dans n’importe lequel de ces scénarios, Biden ou Trump se trouveraient à devoir gouverner un pays encore plus intensément divisé qu'à l’heure actuelle.

L'Amérique a besoin d'un leader de la trempe de Harry Truman, de Ronald Reagan ou George H.W. Bush. Ils se sont attaqués à de grands problèmes, comme construire l’ordre international de l’après-Seconde Guerre mondiale, briser l’inflation, reconstruire l’armée et gérer habilement la fin de la Guerre froide – y compris la réunification de l’Allemagne au sein de l’OTAN, tout en remportant la première guerre en Irak (la seule guerre chaude que l’Amérique a remportée depuis la Seconde Guerre mondiale). Si les Américains sont inquiets, c’est peut-être parce qu’ils se demandent si un tel leader va sortir des rangs.

© Project Syndicate 1995–2023

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