Biens, actions, art : la face cachée économique des ministres de Bayrou

Biens immobiliers parisiens, portefeuilles d’actions massifs, œuvres d’art inaccessibles : la transparence imposée par la HATVP offre une plongée fascinante dans les actifs d’un gouvernement où la fortune n’est pas une exception mais bien la norme. Et si le vrai centre de gravité économique de la France se trouvait désormais au sein du Conseil des ministres ?

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By Amandine Leclerc Published on 11 juin 2025 17h56
Bayrou Gouvernement
Paris, France, 03-01-2025 : François Bayrou, Bruno Retailleau, Manuel Valls au premier Conseil des ministres du gouvernement Bayrou réuni à l'Elysée à Paris. - © Economie Matin
14 millions d’eurosÉric Lombard, ministre de l’Économie et détient un patrimoine de plus de 14 millions d’euros en placements, assurances-vie et biens immobiliers de luxe.

Le 10 juin 2025, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a publié les déclarations de patrimoine des trente-six membres du gouvernement de François Bayrou. Depuis le scandale Cahuzac, cet exercice de transparence est devenu une obligation démocratique, mais cette édition 2025 révèle une configuration inédite : jamais un exécutif n’avait concentré autant de multimillionnaires en son sein. Loin d’être une simple curiosité politique, ces chiffres dessinent en creux un gouvernement façonné par des logiques financières bien plus complexes que de simples fiches fiscales.

Le gouvernement des multimillionnaires

La publication de la HATVP a fait tomber les masques. Derrière les sourires républicains et les déclarations de service public, c’est un patrimoine net cumulé de plusieurs centaines de millions d’euros qui se dévoile.

L’un des cas les plus emblématiques est celui d’Éric Lombard, ministre de l’Économie. Ancien dirigeant du secteur financier, il affiche un patrimoine dépassant les 14 millions d’euros, répartis entre valeurs mobilières, assurances-vie et biens immobiliers haut de gamme. Il faut dire qu’il ne vient pas de nulle part : l’ancien patron de la Caisse des Dépôts incarne une fusion quasi-parfaite entre pouvoir financier et pouvoir politique.

Marc Ferracci, bras droit budgétaire de Bayrou, n’est pas en reste : près de 9 millions d’euros d’actifs, dont une part importante en actions de sociétés privées. Là encore, la frontière entre expertise économique et intérêts financiers est mince. Cette situation soulève des interrogations légitimes sur les risques de conflits d’intérêts en période d’arbitrage fiscal.

Et que dire de Rachida Dati, revenue en force au ministère de la Culture avec un portefeuille immobilier valorisé à plus de 6 millions d’euros ? De l’appartement parisien au bien de prestige à l’étranger, sa déclaration a de quoi faire pâlir bien des contribuables.

Transparence ou mise en scène ?

La HATVP se veut rassurante. Son communiqué affirme que : « La Haute Autorité s’assure du caractère exhaustif, exact et sincère des déclarations qui lui sont adressées. »

En parallèle, dix ministres ont dû signer des décrets de déport, les obligeant à se retirer des décisions gouvernementales pouvant interférer avec leurs intérêts privés. Autrement dit, ils peuvent siéger, mais pas juger. Une mise en scène technocratique plus qu’un réel rempart ?

Et pourtant, cette transparence s’arrête là où commence le silence fiscal. Bijoux non déclarés, œuvres d’art difficilement évaluables, parts dans des sociétés opaques, tout cela échappe encore à l’œil du citoyen. La HATVP l’admet entre les lignes : plusieurs ministres ont été invités à rectifier leur déclaration initiale.

Quand l'État est géré comme un portefeuille

Cette concentration de richesse privée à la tête de l’État n’est pas neutre économiquement. Elle interroge profondément la capacité d’un tel gouvernement à comprendre et réguler la réalité économique de la majorité des Français.

Prenons Gérald Darmanin : souvent présenté comme un « ministre du peuple », il se distingue ici par un patrimoine très modeste, moins de 50 000 euros. Un cas quasi-anecdotique, tant il dénote au sein d’un gouvernement dominé par des profils d'investisseurs, de gestionnaires d’actifs, de rentiers.

Peut-on défendre une politique de redistribution quand on est soi-même adossé à des assurances-vie capitalisées, des résidences secondaires à six zéros, et des œuvres d’art défiscalisées ? Peut-on vraiment parler de réforme fiscale quand ceux qui la votent sont eux-mêmes les premiers bénéficiaires des niches ?

La double logique de l'État actionnaire

La logique qui émerge ici n’est pas celle d’un État « providence », mais d’un État actionnaire. Un État où la compétence est mesurée à l’aune du patrimoine géré, et où l’entrée au gouvernement semble plus proche d’une OPA politique que d’un mandat populaire.

Certains y verront une professionnalisation bienvenue. D’autres, une coupure radicale entre élite dirigeante et population contribuable. La vérité se niche peut-être dans les chiffres : quand les ministres sont multimillionnaires, la politique économique devient inévitablement une affaire d’arbitrage entre capital et opinion publique.

Conclusion : une richesse incompatible avec la réforme ?

Le gouvernement de François Bayrou incarne à la perfection le dilemme de l’élite républicaine contemporaine : riche, compétente, mais fondamentalement déconnectée. Cette déconnexion ne se mesure pas uniquement à l’aune du patrimoine, mais à la distance structurelle entre gouvernants et gouvernés.

Un constat s’impose : la politique fiscale de demain sera décidée par ceux qui ont déjà gagné le jeu économique d’aujourd’hui. Et si le scandale n’est pas dans ce que la HATVP révèle, il est peut-être dans ce qu’elle ne peut pas encore voir.

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