BYD fait taire les influenceurs : le constructeur chinois contre-attaque

Ils étaient suivis, écoutés, souvent adulés. Ils sont désormais fichés, poursuivis, contraints au silence. La stratégie judiciaire du géant chinois BYD à l’encontre des influenceurs bouscule les codes d’un secteur déjà sous tension. Une affaire symptomatique d’un durcissement alarmant des relations entre industrie automobile et liberté d’expression.

Paolo Garoscio
By Paolo Garoscio Published on 9 juin 2025 7h00
Voiture électrique : BYD veut renforcer sa présence en Europe avec une troisième en Allemagne.
BYD fait taire les influenceurs : le constructeur chinois contre-attaque - © Economie Matin
650000 EUROSBYD offre près de 650.000 euros si vous dénoncez un influenceur.

La Chine, théâtre d’un affrontement entre BYD et les voix dissidentes

Le 4 juin 2025, le constructeur chinois BYD (Build Your Dreams), désormais incontournable sur le marché de la voiture électrique, a publié un communiqué glaçant sur WeChat. L’entreprise y annonce qu’elle a engagé des poursuites judiciaires contre 37 influenceurs. Leur faute ? Avoir publié des contenus que BYD juge « diffamatoires » à son encontre. Plus surprenant encore, 126 autres créateurs de contenus ont été placés sur une « liste de surveillance » interne, sans qu’aucune infraction ne leur soit pour l’instant reprochée.

Cette annonce a provoqué une onde de choc dans l’écosystème numérique chinois. Car BYD ne se contente pas de porter plainte : elle mobilise l’ensemble de sa communauté à travers un dispositif inédit. Grâce à son « Bureau anti-fraude médiatique », la société incite la population à dénoncer tout contenu nuisible. En guise de motivation ? Des primes allant de 50 000 à 5 millions de yuans, soit jusqu’à 644 000 euros, versées à ceux qui fourniraient des informations crédibles sur des influenceurs critiques.

Une entreprise prête à tout pour défendre son image : stratégie défensive ou censure déguisée ?

Officiellement, BYD affirme vouloir protéger sa réputation contre des attaques qu’elle qualifie d’« organisées ». Dans sa déclaration du 4 juin, elle évoque une « perturbation de l’ordre du marché » et une atteinte à « la réputation de l’ensemble du secteur automobile », selon InsideEVs. Mais aucun élément concret n’a été communiqué pour démontrer l’existence de ces campagnes coordonnées.

Un exemple précis permet de comprendre la logique répressive du constructeur : Zhou Haoran Sean, figure bien connue de la plateforme Weibo, a été condamné à une amende de 100 000 yuans (≈ 12 000 euros) pour avoir affirmé que BYD instrumentalisait des influenceurs pour attaquer ses concurrents. La sanction ne s’est pas arrêtée là : le tribunal lui a imposé la publication d’excuses publiques.

D’autres créateurs, comme AutoBiBiBi, Taodianchi ou Yin Ge, ont également été ciblés. Aucun d’entre eux n’a réagi officiellement à ce jour. Les faits précis qui leur sont reprochés demeurent flous, tout comme la base juridique des accusations portées contre les créateurs simplement placés sous surveillance.

BYD n’est pas seul : quand les constructeurs passent à l’attaque contre les influenceurs

Ce recours à la justice pour faire taire les voix critiques ne relève pas de l’exception. En 2022, Tesla avait déjà intenté un procès contre un influenceur chinois pour des publications jugées nuisibles. Et en août 2023, Nissan-Dongfeng avait réclamé 5 millions de yuans à un utilisateur de TikTok ayant diffusé plus de 50 vidéos dénigrant la marque. Dans ces cas comme dans celui de BYD, les tribunaux ont suivi les plaignants.

Cette judiciarisation du débat est largement facilitée par le contexte législatif chinois. En Chine, la diffamation est une infraction pénale, pouvant entraîner de lourdes peines, même lorsque les propos incriminés s’appuient sur des faits avérés. L’État de droit s’y conjugue souvent avec un contrôle étroit des voix discordantes, surtout lorsqu’il s’agit d’entreprises étroitement liées au Parti communiste ou à l’appareil d’État.

Comme le souligne InsideEVs, « des commentaires négatifs sur BYD, qu’ils soient fondés ou non, peuvent ruiner la carrière d’un influenceur ». L'article d’Automobile Propre note pour sa part que les méthodes de BYD « interrogent » et déplore l’absence d’éléments concrets pour prouver les accusations de campagnes coordonnées.

Liberté d’expression muselée : quel avenir pour les créateurs de contenu en Chine ?

La stratégie adoptée par BYD s’apparente à une mise au pas généralisée des critiques dans un pays où le débat public reste strictement encadré. Cette volonté de contrôler l’image de marque jusqu’à l’intimidation judiciaire crée un climat délétère pour les influenceurs. Ceux-ci savent désormais qu’une publication ambiguë, une formulation maladroite ou une accusation trop directe pourrait leur coûter leur carrière, leur réputation, voire leur indépendance financière.

La force de frappe de BYD dans ce domaine impressionne : recours massifs à la justice, système d’alerte communautaire, prime à la dénonciation, absence de débat contradictoire. L’entreprise trace un sillage dangereux pour les autres géants de l’automobile qui pourraient être tentés d’en faire autant.

Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint. Après son Master de Philosophie, il s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

No comment on «BYD fait taire les influenceurs : le constructeur chinois contre-attaque»

Leave a comment

* Required fields