Climat : Mieux connaître les répercussions indirectes de la crise

Comprendre de quelle façon le changement climatique affecte les moyens de subsistance et les secteurs industriels est une priorité de recherche de l’UE.

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Par Horizon Publié le 22 avril 2024 à 6h30
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1%En 2022, 1% du PIB mondial a été dédié à la lutte contre le réchauffement climatique.

Aucun chemin ne mène à Iquitos, une ville portuaire péruvienne encerclée par la forêt amazonienne et accessible uniquement par bateau.

C’est la diversité de ses communautés et de ses modes de vie, notamment axés sur la pêche et l’agriculture, qui a attiré Heidi Mendoza. Chercheuse, elle y mène des activités de terrain sur l’impact du changement climatique sur l’homme.

Des moyens de subsistance menacés

Pendant des siècles, les habitants de l’Amazonie péruvienne ont vécu au rythme des saisons, pêchant à la saison humide et cultivant la terre durant les mois secs. Mais désormais, des périodes de sécheresse prolongées (souvent suivies de pluies torrentielles) menacent les moyens de subsistance de la population locale, car le poisson migre vers d’autres parties du fleuve et les récoltes, autrefois abondantes, donnent moins.

«La saison sèche devient soit trop chaude, soit trop longue», a déclaré Mme Mendoza, chercheuse à l'Institut d'études environnementales de l’Université libre d’Amsterdam aux Pays-Bas. «Il en va de même pour la saison des pluies. Lorsque la rivière déborde, cela se produit soit trop soudainement, soit sur une période plus longue.»

Mme Mendoza fait partie d’un projet financé par l’UE qui a pour but d’aborder de façon pratique l’étude des effets du changement climatique en menant des activités de recherche directement auprès des communautés touchées.

Intitulé PerfectSTORM, ce projet de cinq ans s’achèvera en février 2026. Il étudie les processus de sécheresse et d'inondation en s’appuyant sur l'analyse de données, la modélisation et le récit.

Grâce à l’Accord de Paris des Nations Unies, le monde entier cherche à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le but de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré Celsius par rapport à l’époque préindustrielle. L’objectif est également de lutter contre le phénomène des sécheresses, des tempêtes et des inondations à la fois plus fréquentes et de plus en plus graves partout dans le monde. Cet effort est connu sous le nom d’«atténuation du changement climatique».

Parallèlement, les pays tentent d’aider leurs villes et leurs zones rurales à faire face et à se préparer aux effets du réchauffement climatique qui ne peuvent plus être évités, ce que l’on appelle l’«adaptation au changement climatique». Une mission de recherche de l’UE aide les régions à s'adapter et à se préparer. 

Les vulnérabilités du village

Pendant trois mois, en 2022 et 2023, Mme Mendoza et son équipe se sont rendus dans des villages riverains situés à la périphérie d'Iquitos. L’objectif de l’équipe était de comprendre l’impact du changement climatique et des autres activités humaines sur la vie locale et d’identifier les vulnérabilités des résidents locaux.

L’équipe recueille aussi des preuves dans l’est du Kenya où, pendant quatre mois, fin 2022 et début 2023, elle est allée à la rencontre des villageois du bassin de la rivière saisonnière Tiva.

Les chercheurs apprennent à mieux comprendre les liens sous-jacents entre les changements qui s’opèrent au niveau des régimes de pluie, les mesures d'adaptation prises par les communautés touchées et l'impact ultérieur des conditions météorologiques extrêmes. 

Par exemple, des activités humaines telles que l’aménagement de réserves d’eau (des dépressions dans le sol destinées à recueillir les eaux de ruissellement) durant la saison sèche pourraient aggraver l'impact des inondations ultérieures, selon Anne Van Loon, professeure agrégée spécialisée dans les risques liés à la sécheresse à l’Université libre d’Amsterdam, et à la tête du projet PerfectSTORM.

«Nous avons vu de nombreux cas dans lesquels les inondations qui surviennent après une période sèche ont un impact plus grave que celles qui ne sont pas précédées d’une sécheresse», a-t-elle déclaré. «Nous voulons comprendre si une activité humaine menée pendant la période sèche peut avoir un impact sur le risque d’inondation.»

D’après Mme Van Loon, les déplacements de personnes ou de bétail vers les rivières pendant les périodes sèches peuvent rendre les zones peuplées plus vulnérables aux inondations.

Au fur et à mesure que les cycles de sécheresse et d’inondation se succèdent, les populations pourraient devenir plus vulnérables, notamment sur le plan sanitaire. 

Prendre des mesures

C’est pour cette raison que les efforts visant à améliorer la résilience face au changement climatique sont si importants, en particulier dans les pays relativement pauvres où une part plus importante de la population vit directement de la terre.

Il y a vingt ans, l'Organisation de coopération et de développement économiques a tiré la sonnette d’alarme concernant le fait que le changement climatique risquait de compromettre la lutte contre la pauvreté et d'anéantir des décennies d'efforts de développement à l'échelle mondiale.

Aujourd'hui, au Pérou, les villageois qui vivent autour d'Iquitos ont commencé à se lancer dans des cultures plus diversifiées, telles que celles du maïs et de la coriandre, au lieu de se contenter de produits de base traditionnels comme le manioc et les plantains.

Ils ont également commencé à augmenter la longueur des pilotis qui soutiennent leurs maisons pour éviter qu'elles ne soient endommagées, voire détruites, par les inondations.

Au Kenya, la transition de l’élevage bovin vers l’élevage caprin a aidé les villageois à s’adapter aux sécheresses (les chèvres ayant besoin de moins d’eau), tandis que la plantation et la conservation des arbres renforcent la résilience du paysage face aux intempéries.

Effet domino

Bart van den Hurk, un autre chercheur néerlandais, a étudié les conséquences du changement climatique sur l’homme sous un angle plus large: les répercussions indirectes qu’il peut avoir au-delà des frontières nationales et des régions.

M. Van den Hurk est professeur, spécialisé dans les interactions entre climat et sociologie à l’Institut d’études environnementales de l’Université libre d’Amsterdam et directeur scientifique de Deltares, un institut d’études sur l’eau situé aux Pays-Bas. Il a dirigé un projet financé par l'UE qui établissait un lien entre les changements constatés au niveau des schémas météorologiques mondiaux et leurs effets sur le plan socio-économique en Europe.

Le projet intitulé RECEIPT a duré plus de quatre ans et s’est achevé fin 2023.

L'équipe du projet RECEIPT a cherché à comprendre le fonctionnement des phénomènes climatiques dans un monde interconnecté, en s’intéressant en particulier à la façon dont les catastrophes induites par des événements météorologiques survenant dans des régions éloignées affectent les Européens. 

On peut citer en exemple les inondations catastrophiques qui ont frappé la Thaïlande il y a 13 ans et provoqué une onde de choc dans l’industrie électronique mondiale du fait que le pays est le deuxième producteur mondial de disques durs.

Les inondations de 2011, qui ont duré plusieurs mois, ont été les pires depuis 50 ans. Elles ont contraint les ports thaïlandais à fermer, perturbant la production et détruisant les stocks destinés à l'exportation. Dans les mois qui ont suivi, les prix des disques durs ont flambé, ébranlant les industries européennes.

«Nous avons constaté que les petites entreprises européennes étaient beaucoup plus durement touchées que leurs homologues de plus grande envergure», a déclaré M. van den Hurk. «Les petites entreprises faisaient faillite et étaient rachetées par les plus grandes. Ces inondations survenues en Thaïlande ont donc provoqué un bouleversement du marché européen.»

Nouvelle vision de la situation

L’équipe de RECEIPT a cartographié ces types de conséquences indirectes. Elle a pour cela analysé les tendances au niveau des crises climatiques survenant dans différentes régions du monde qui ont des liens économiques avec Europe. 

Par exemple, en 2017, les marchés européens ont été affectés par les perturbations occasionnées dans la production pétrolière, gazière et chimique par l’ouragan Harvey au Texas. 

Il en a été de même pour les sécheresses qui ont frappé l'Argentine, le Brésil et les États-Unis cinq ans plus tôt et provoqué une pénurie mondiale de soja. Au total, 17 catastrophes météorologiques et leurs conséquences mondiales ont été étudiées en détail.

La Commission européenne a publié ce mois-ci un document d'orientation sur la gestion des risques climatiques en Europe, montrant ainsi l’importance qu’elle accorde à ce phénomène dans sa politique.

L’équipe du projet RECEIPT a étudié en particulier l’impact tangible qu’auraient sur les Européens des conditions météorologiques extrêmes survenant ailleurs dans le monde. Elle a aussi examiné différentes pistes pour aider à améliorer la résilience des communautés et des industries européennes. 

Parmi les réponses identifiées figurent des propositions politiques visant à aider à prévenir les effets avant même que les catastrophes météorologiques ne surviennent, ainsi que de nouveaux outils permettant d’identifier les points sensibles auxquels des catastrophes peuvent se produire.

Un outil visuel offre la possibilité, notamment aux décideurs, de zoomer sur les zones ayant des liens avec l'Europe et d'observer de quelle façon différents scénarios de changement climatique peuvent affecter les secteurs industriels européens, notamment l'agriculture, la finance et l'industrie manufacturière. 

Le projet a réuni des spécialistes de la modélisation climatique, mais aussi des professionnels de domaines très divers tels que l’économie, la psychologie, etc., en raison de la nature et l'impact général de la crise climatique. 

«J'espère que nous avons contribué à la formation d'une nouvelle génération d'analystes du climat qui étudieront le changement climatique sans se limiter à ses processus physiques purs, mais en se penchant davantage sur son impact direct», a déclaré M. van den Hurk.

Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par le biais du programme Horizon de l’UE, via le Conseil européen de la recherche (CER) dans le cas de PerfectSTORM. Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.

Plus d’infos

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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