Les tensions en entreprise, dont l’émergence tend sensiblement à croître, représentent une source majeure de conflits. Entre les oppositions transgénérationnelles, la gestion chaotique du télétravail ou encore l’insatisfaction salariale, la cohabitation entre collaborateurs est parfois un véritable défi lancé aux DRH comme aux managers. Marvin Wirth, jeune et dynamique directeur des ressources humaines de la plate-forme agentco.fr, témoigne pour Économie Matin :
Les conflits en entreprise : témoignage de Marvin Wirth, DRH chez agentco.fr

Économie Matin : Bonjour monsieur Wirth, pouvez-vous présenter votre rôle et le contexte social de votre entreprise ?
Bonjour à Économie matin, et merci pour l’invitation. Je suis Marvin Wirth, et j’occupe aujourd’hui un rôle hybride : à la croisée du management opérationnel, de la stratégie humaine et de la transformation culturelle. Notre entreprise évolue dans un secteur où innovation et pression temporelle cohabitent en permanence, et où les enjeux humains sont devenus tout aussi stratégiques que les enjeux économiques.
Le climat social est globalement stable, mais exigeant : les équipes veulent du sens, de la transparence et un modèle de leadership plus horizontal. Nous sommes donc dans une phase où l’on réinvente nos façons de travailler, avec un vrai focus sur l’écoute, l’autonomie et la qualité du dialogue social.
Quels types de conflits rencontrez-vous le plus souvent ?
Les conflits majeurs que je rencontre sont rarement spectaculaires. Ce sont plutôt des tensions silencieuses.
Les plus fréquents sont : interpersonnels – différences de styles, d’exigences, de communication – ; managériaux – attentes mal alignées, feedbacks tardifs ou mal formulés – ; générationnels – vision du travail, de la reconnaissance, de l’équilibre de vie – ; culturels – différentes manières d’aborder la prise de décision, l’erreur ou la hiérarchie.
Selon vous, quelles sont les causes les plus fréquentes de ces tensions ?
Je constate trois causes principales.
La charge mentale, plus que la charge de travail : c’est le sentiment d’être dans un flux continu, sans respiration, qui crée de l’irritabilité. Le manque de reconnaissance qualitative : non pas être applaudi, mais être réellement vu dans sa contribution. Les zones d’ambiguïté organisationnelle : les endroits où les rôles et les priorités sont mal définis. L’ambiguïté est l’oxygène du conflit. Et, bien sûr, la communication : quand on parle trop tard, trop vite ou avec de mauvaises intentions supposées.
Les modes de travail récents (télétravail, hybridation, outils numériques) ont-ils modifié la nature ou la fréquence des conflits ?
Oui, profondément ! Les tensions y sont moins bruyantes, mais plus subtiles : interprétations de messages écrits, sentiment d’isolement, vision fragmentée des problèmes, réunions en visio qui compressent la nuance.
En revanche, l’hybridation a permis d’apaiser certains conflits quotidiens : bruit ambiant, micro-stress, interruptions constantes. Bref, les conflits se déplacent du terrain visible vers l’invisible.
Comment l’entreprise gère-t-elle concrètement une situation conflictuelle ?
Nous avons une approche en trois cercles.
L’autorégulation : encourager les collaborateurs à parler directement, dans un cadre clair. La médiation interne : un tiers neutre intervient pour remettre du sens, des faits, du dialogue. Le soutien managérial : formations régulières à la gestion de conflits, cellules d’écoute, coaching.
Nous essayons de sortir d’une logique punitive pour aller vers une logique réparatrice. La génération dans laquelle nous évoluons nous invite à aller dans ce sens.
Pouvez-vous partager un exemple concret de conflit bien résolu – et ce qui a fait la différence ?
Oui. Récemment, deux équipes entraient en friction sur des délais qui semblaient intenables. Chacun accusait l’autre de manquer de rigueur ou de souplesse. Ce qui a fait la différence, ce n’est pas une procédure : c’est une table ronde où chacun a pu exprimer sa réalité opérationnelle.
Lorsqu’on a mis les contraintes de chacun à plat, sans accusation, le conflit s’est transformé en coopération. Finalement, une nouvelle méthode commune de priorisation a été coconstruite. Le conflit a disparu non pas parce qu’on a tranché, mais parce qu’on a aligné les perceptions.
Quel rôle joue la direction RH dans la prévention de ces situations ?
Pour moi, les RH jouent un rôle pivot : elles anticipent en détectant les signaux faibles, elles ancrent une culture du dialogue, sans tabous ni peur.
Elles accompagnent les managers dans le développement de compétences relationnelles : écoute, assertivité, cadrage. Les RH ne sont plus seulement une instance réglementaire : elles deviennent des architectes du climat humain.
La culture d’entreprise et les valeurs managériales influencent-elles la manière de traiter les conflits ?
Absolument !
La culture d’entreprise, c’est ce qui détermine le droit de dire, le droit de questionner et le droit de ne pas être d’accord. Dans une culture hiérarchique verticale, le conflit se tait. Dans une culture responsabilisante, il s’exprime. Nous avançons vers une culture où on valorise les feedbacks, on accepte l’erreur, on encourage les débats respectueux. C’est cette maturité collective qui transforme le conflit en ressource.
Quelles initiatives ou bonnes pratiques contribuent aujourd’hui à prévenir les tensions ?
Plusieurs initiatives portent réellement leurs fruits : les moments de synchronisation réguliers (rituels courts, cadrés, transparents) ; la montée en compétence sur l’écoute active : espaces de respiration, charge de travail lisible, droit à la déconnexion ; la médiation préventive : intervenir avant que la situation ne s’enlise. Et surtout : rendre la communication non pas « présente », mais « compétente ».
Enfin, Marvin Wirth, selon vous, qu’est-ce qu’un « conflit constructif » ? Peut-il devenir un levier d’amélioration collective ?
Un conflit constructif, c’est un conflit qui éclaire. Qui permet de comprendre ce qui ne fonctionne pas : une règle obsolète, un angle mort, une organisation mal pensée. Le conflit devient constructif quand il est exprimé, accueilli sans jugement, transformé en décision collective. Je crois profondément que le conflit n’est pas l’échec du collectif : c’est sa mise à jour nécessaire, comme une révision de logiciel. S’il est bien accompagné, il devient un moteur d’apprentissage, de cohésion et d’innovation. Je terminerai en disant que le conflit n’est pas une menace : c’est une mise à jour nécessaire du collectif.
Propos recueillis par Économie Matin
