Joschka Fischer : Recharger le moteur de l’Europe franco-allemande

Pour Joschka Fischer, ministre allemand des Affaires étrangères et vice-chancelier de 1998 à 2005, il est nécessaire de recharger les relations franco-allemandes.

Joschka Fischer
Par Joschka Fischer Modifié le 20 mai 2023 à 19h10
Allemagne France Europe Tension Cohesion
28,8 milliards €La France est le deuxième contributeur au budget de l'Union européenne derrière l'Allemagne, avec 28,8 milliards d'euros versés en 2021.

Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022, l'Europe a connu une transformation radicale. L'Union européenne et l'OTAN ont réagi en faisant montre d'une unité exceptionnelle : tous les anciens conflits au sein de ces organisations ont paru anachroniques comparés à la guerre sur le continent et ont semblé s'évanouir du jour au lendemain.

Les tensions couvent sous la surface de cette cohésion renouvelée de l'UE. Cela n'a rien d'une nouveauté pour l'Allemagne et la France, ces deux pays qui se trouvent de plus en plus souvent en désaccord.

Des réunions intergouvernementales régulières ont été annulées. Bien que le Président français Emmanuel Macron et le Chancelier allemand Olaf Scholz (en compagnie de l'ancien Premier ministre italien Mario Draghi) aient fait ce voyage commun historique à Kyiv, où ils ont rencontré le Président ukrainien Volodymyr Zelensky, ils n'ont pourtant pas organisé une visite du même type à Pékin, même si cela aurait très certainement pu renforcer la position de l'Europe.

Au lieu de cela, Macron s'est embarqué dans un voyage en solo de trois jours en Chine et une fois de retour dans son pays, il a déclaré lors d’un entretien que l'Europe doit éviter « d'être prise dans des crises qui ne sont pas les nôtres » – une allusion à Taïwan – et résister à la tentation de devenir un « vassal » des États-Unis, ce qui a suscité de la colère sur les deux rives de l'Atlantique. Ses commentaires ont semé la discorde. Il en a résulté que la politique de l'UE en faveur de la Chine a d'autant plus creusé son écart entre la France et l'Allemagne et a affaibli les relations transatlantiques, même si l'Europe dépend plus que jamais de la puissance militaire américaine face à l'agression russe.

La relation entre Europe et États-Unis

L'Europe et les États-Unis ne sauraient choisir pire moment pour prendre leurs distances l'une vis-à-vis de l'autre. Le défi stratégique posé par la guerre en Ukraine a intensifié les efforts de la Chine en vue d'établir un nouvel ordre mondial dont la Russie dépendrait en permanence, dans lequel l'économie mondiale tournerait autour de l'Eurasie et où la Chine imposerait ses conditions aux institutions de gouvernance internationale. Face à ces ambitions chinoises, le partenariat transatlantique a plus que jamais besoin d'être renforcé.

À Paris, par contre, les questions portent sur la volonté de Scholz de remodeler les relations bilatérales et sur l'importance qu'il leur accorde, compte tenu du silence officiel de l'Allemagne sur le sujet. Plus largement, les Français veulent savoir quelle Europe veut Scholz.

Certes, Scholz n'est pas un communicateur politique particulièrement doué, à l'exception notable de son discours sur « l'ère du tournant », prononcé immédiatement après l'invasion russe de l'Ukraine. Mais cela n'explique pas pourquoi Scholz n'a pas exprimé ses opinions sur la relation franco-allemande – le cœur battant du bloc – ni les motivations des ambitions opaques de son gouvernement pour l'UE. Il est urgent de clarifier ces deux questions.

Relancer la coopération européenne

L'éloignement est la dernière chose dont la France et l'Allemagne ont besoin, compte tenu de la guerre en Ukraine, de la menace russe plus large pour l'Europe et des défis géopolitiques posés par la poursuite par la Chine et par la poursuite d'une stratégie eurasienne par la Russie. Un tel clivage risquerait d'affaiblir l'Europe à une époque où le contraire est nécessaire : une coopération franco-allemande renforcée.

Reconstruire une telle coopération ne sera pas une tâche aisée. Les deux pays voisins ont des points de vue opposés sur certaines des questions politiques les plus importantes : les relations avec l'OTAN et les États-Unis, l'approvisionnement en énergie (nucléaire contre énergies renouvelables), la technologie spatiale européenne, l'approvisionnement conjoint en armement et les capacités de défense du bloc (et la mesure dans laquelle l'OTAN devrait être impliquée). Là encore, la relation franco-allemande n'a jamais été simple : les deux pays sont si semblables et pourtant si différents.

Dès le début, il a été entendu que l'UE ne progressera que lorsque ses deux plus grandes économies avanceront de concert. Bien qu'aucun État membre ne soit capable de dominer le bloc, l'Allemagne et la France sont suffisamment fortes, même dans une UE élargie, pour empêcher tout mouvement vers une « union toujours plus étroite » s'ils le souhaitent. Par conséquent, pour répondre aux nouvelles exigences géopolitiques et sécuritaires sur le continent européen, il faudra une vision franco-allemande commune et une volonté de compromis de la part des deux pays.

Géopolitique et économie, les atouts de la coopération européenne

Que Macron et Scholz s'entendent bien ou non est secondaire, parce que l'Europe est la raison d'être des deux États. Il n'y a pas d'autre choix possible. En outre, le Brexit a montré qu'un retour au système européen des États-nations du XIXe siècle est hors de question : la « Grande-Bretagne mondiale » promise par les Brexiteers s'est avérée être une pure et simple illusion.

La guerre du président russe Vladimir Poutine contre l'Ukraine et la menace qu'il fait peser sur l'Europe démontrent brutalement la nécessité de l'UE. Mais même avant février 2022, les changements en cours dans l'ordre mondial avaient clairement montré que les États européens sont trop petits pour le monde du XXIe siècle. Leur choix est simple : la paix, la liberté et la prospérité lorsqu'ils sont ensemble, ou les conflits, l'instabilité politique et le contrôle par d'autres lorsqu'ils sont séparés.

La coopération franco-allemande reste indispensable pour l'UE, notamment lorsque sa situation géopolitique est précaire et que ses perspectives économiques sont incertaines. Au mieux, la poursuite de l'éloignement coûtera au bloc un temps précieux à un moment où il doit faire d'énormes progrès technologiques pour suivre le rythme des États-Unis et de la Chine. Au pire, cela pourrait déboucher sur une catastrophe européenne – ce que tout politicien responsable devrait vouloir éviter.

L'Europe a besoin d'un moteur franco-allemand en bon état de marche. Elle ne saurait se s'autoriser une panne, même temporaire.

Joschka Fischer, ministre allemand des Affaires étrangères et vice-chancelier de 1998 à 2005, ancien dirigeant du Parti vert allemand durant près de 20 ans.

© : Project Syndicate, 2023.

Joschka Fischer

Joschka Fischer a été ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier de l'Allemagne entre 1998 et 2005. Il a également été responsable des Verts allemands pendant près de 20 ans.

Suivez-nous sur Google News Economie Matin - Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités.

1 commentaire on «Joschka Fischer : Recharger le moteur de l’Europe franco-allemande»

  • Il n’y a jamais eu d’europe franco-allemande. Il y a eu, et il y a encore l’europe allemande. europe allemande qui a tout détourné à son seul profit. Cela dit, elle a eu un boulevard pour agir et développer certains diktats de raisonnements économiques qui lui sont habituels. La Grèce a payé le prix, et nous nous paierons le nôtre si certains pays continuent de se taire. La collaboration par le silence a ses limites.

    Répondre
Laisser un commentaire

* Champs requis