Cryptomonnaies : Invitation à la rationalité

En cette période de l’année où il est particulièrement recommandé de faire des vœux, je choisis de souhaiter à chacun et à tous de penser et d’agir de façon rationnelle – sans pour autant renoncer aux délices de certains comportements primesautiers, à ce grain de folie douce sans lequel la vie serait comme un repas sans sel ni condiments.

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Par Jacques Bichot Publié le 4 janvier 2023 à 5h24
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Le choix de la rationalité, même tempérée par le bon sens et la bonne humeur, peut sembler excessivement pragmatique, terre à terre, peu enthousiasmant, mais je le recommande car la raison est une qualité dont notre monde – à mon avis – manque cruellement. Les idées toutes faites sont légion, y compris dans des domaines d’importance névralgique. Prenons comme exemple la mise en circulation de cryptomonnaies.

Les paiements scripturaux

A la fin du moyen-âge, nos ancêtres renouèrent avec la pratique intensive des règlements scripturaux. Cette pratique fut un important facteur de progrès et de prospérité à l’époque gréco-romaine, mais ensuite les paiements par écritures perdirent beaucoup de terrain dans un Occident fortement affecté par les invasions barbares. Cette forme de paiement repose sur l’arithmétique et la comptabilité, laquelle fit un progrès décisif grâce à l’adoption de ce qu’il est convenu d’appeler la « partie double ». Ce système, mis en place à l’initiative des marchands et banquiers italiens de la fin du moyen âge, a rendu, et continue à rendre, des services éminents : c’est lui que nous utilisons – sans même nous en apercevoir - pour la plupart de nos transactions.

Les paiements en métaux précieux n’ont pas totalement disparu, mais ils ne représentent plus qu’une très faible proportion de l’ensemble des paiements. Qu’il s’agisse de transferts de billets ou d’opérations scripturales, le principe mis en œuvre est dans les deux cas le recours à des créations, annulations ou modifications de relations chiffrées appelées, selon les cas, créances ou dettes.

Création monétaire et cryptomonnaies

Les cryptomonnaies, elles, sont nées d’une utilisation de l’informatique pour, en quelque sorte, renouer avec le recours à des monnaies-choses. Un chassé-croisé assez amusant a été effectué pour transformer en objet monétaire le résultat d’une opération informatique assez sophistiquée, très couteuse en énergie. Nous avons une monnaie, dite soit fiduciaire, soit scripturale, selon qu’elle prend la forme d’un billet (créance sur une banque dite « centrale » qui est matérialisée par un rectangle de papier imprimé) ou d’un solde créditeur sur un compte en banque. Dans ce système, la création monétaire, cœur des opérations de crédit, est peu onéreuse : accorder un crédit requiert simplement de vérifier la solvabilité de l’emprunteur, et donc le sérieux du projet pour lequel cet agent a recours à l’emprunt.

En revanche, dans un système cryptomonétaire la création de monnaie s’inspire du « mining », du maniement de la pioche et de la dynamite, qui débouchait jadis sur l’obtention de métal précieux, avec lequel on fabriquait des pièces d’or ou d’argent. Les cryptomonnaies sont des objets informatiques dont la production, à l’instar de celle des pièces de métal précieux, est fort coûteuse : il faut dépenser beaucoup d’énergie pour obtenir l’objet informatique qu’est une cryptomonnaie, et le prix de cette énergie représente une forte proportion de la valeur attribuée à l’objet informatique ainsi créé. Nos législateurs, en rédigeant des lois, appliquent volontiers la formule « pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? ». Les promoteurs et fabricants de cryptomonnaies appliquent une formule analogue : « pourquoi faire bon marché alors qu’on peut gaspiller des fortunes ? ».

Le gaspillage cryptomonétaire

Il arrive que des êtres humains choisissent sciemment de « faire compliqué », car pour être pris au sérieux ils comptent sur cette complication et sur les dépenses qu’elle génère. La création cryptomonétaire relève de cette tactique : elle constitue un cas particulier de gaspillage à grande échelle réalisé pour montrer aux esprits naïfs que les créateurs et les utilisateurs de cryptomonnaie appartiennent à une sorte de race supérieure, à un monde de génies capables de faire de grandes choses.

Sauf exception, les personnes ou organismes qui recourent à la création monétaire classique (se faire accorder un crédit, et donc bénéficier d’une opération de création monétaire, pour développer une entreprise, acheter un logement, ou financer des études) ne se préoccupent guère d’être « dans le vent », de paraître modernes, innovants : ils ont un objectif, leur recours au crédit est un moyen, et non une fin en soi. En revanche, à quoi cela peut-il vous servir d’obtenir de la cryptomonnaie, créée tout exprès pour vous ? Si vous voulez créer ou développer une entreprise, vous avez tout simplement besoin de monnaie ordinaire pour investir, embaucher, et tenir le coup jusqu’à ce que les premiers contrats obtenus, les premières ventes effectuées, viennent alimenter votre trésorerie.

Recourir à un emprunt en cryptomonnaie relève plutôt du snobisme que de la rationalité économique. C’est comme de rouler dans une voiture de grand luxe, alors que vous feriez aussi bien ou mieux votre travail avec une berline ordinaire, voire une fourgonnette. Vous dépensez beaucoup pour paraître « in », mais n’auriez-vous pas intérêt à miser sur des manières de faire plus en rapport avec votre métier et votre clientèle ? Tout ce qui brille n’est pas or, tout ce qui se prétend moderne ne l’est pas forcément. La fausse modernité, consistant dans ce cas à utiliser des techniques informatiques ésotériques et follement énergivores, ne serait-elle pas tout simplement un piège à c… ?

Il y a deux catégories d’homme d’affaires : ceux qui sont sérieux, et ceux qui font de l’esbrouffe. Les seconds gaspillent souvent les fonds qui leur sont confiés. Attention aux engouements pour des projets soi-disant innovants qui ne servent guère, finalement, qu’à gonfler des egos et à duper des naïfs. Quand, gamins, nous gonflions des bulles de savon pour qu’elles miroitent au soleil, nous savions bien qu’elles éclateraient. L’ennui, avec les adultes, c’est que trop d’entre eux se prennent au sérieux ; qu’ils fassent donc un retour à l’enfance, l’âge où l’on sait ce qu’est une bulle de savon.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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