Cumul emploi-retraite : une réforme contre-productive

Dans un contexte de vieillissement démographique accéléré, de tensions majeures sur le marché de l’emploi, et de déséquilibres persistants dans les finances publiques, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026 porte un coup sévère au travail post-retraite. La réforme du cumul emploi-retraite (CER) envisagée, complexifie le dispositif, le rend moins incitatif, et, in fine, pénalise tous les acteurs concernés : les retraités, les entreprises, et l’État.

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By Caroline Young et Gilles Effront Published on 15 décembre 2025 16h42
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Retraite complémentaire : prenez garde à ce changement pour la CSG - © Economie Matin
3,6%Les retraités en emploi représentent ainsi 3,6 % de l’ensemble des retraités de 55 ans ou plus

Alors que la quasi-totalité des pays européens facilitent l’activité professionnelle après la retraite, la France fait le choix inverse. Cette réforme instaure un CER partiel entre l’âge légal (64 ans à terme) et l’âge d’annulation de la décote (67 ans). Concrètement, les revenus d’activité perçus dans cette tranche d’âge entraîneront une réduction de pension pouvant atteindre 50 %. Une mesure dissuasive, qui touche de plein fouet la grande majorité des retraités actifs.

Cette approche repose sur une logique erronée : démotiver les retraités pour les inciter à partir plus tard, ou à opter pour la retraite progressive. Mais cela revient à nier une réalité de terrain : une grande partie des retraités actifs ne reprend pas une activité par nécessité, mais par volonté de rester utile, de transmettre, de maintenir un lien social. Leur travail est souvent choisi, à temps partiel, et s’inscrit dans une démarche de contribution. Les pénaliser reviendrait à briser cette dynamique vertueuse.

Le texte ignore également un point essentiel : le rôle stratégique que peuvent jouer les retraités dans le fonctionnement et la performance des entreprises. Beaucoup d’entre eux possèdent des savoir-faire rares, parfois uniques, en particulier dans l’industrie, la défense, le ferroviaire ou le nucléaire. Des compétences qui ne sont ni disponibles sur le marché ni rapidement reconstituables. Comment penser la réindustrialisation sans eux ? L’intervention ponctuelle d’un expert à la retraite peut sauver un projet, éviter une erreur coûteuse, ou permettre la transmission de gestes techniques à de jeunes recrues.

Ce potentiel n’est pas théorique. En 2012 déjà, un rapport de l’IGAS sur le cumul emploi-retraite soulignait ses bénéfices économiques, sociaux et fiscaux. Les retraités qui travaillent paient des cotisations, de l’impôt, consomment, et maintiennent leur santé physique et mentale. Le CER, dans sa forme actuelle, est un outil équilibré, qui permet à chacun d’y trouver son intérêt.

La réforme prévoit une simplification.  En réalité, elle introduit une nouvelle usine à gaz, à rebours des pratiques européennes. Elle prétend élargir l’accès au CER. Elle risque au contraire d’exclure ceux dont les compétences sont les plus recherchées, du fait d’une pénalisation massive sur les pensions. L’effet sera triple : des retraités qui travailleront moins, un revenu d’appoint plus faible, des recettes fiscales et sociales en baisse. Les nouvelles mesures pourraient coûter à l’État plus de 3 milliards d’euros en manque à gagner, bien au-delà des 1,8 milliard d’euros d’économies attendues à l’horizon 2027.

Cette réforme est une erreur d’analyse. Elle part du principe que le travail post-retraite est une anomalie, alors qu’il est devenu une nécessité. Avec une population active qui se réduit, des tensions croissantes dans les recrutements, et des impératifs de transmission dans les secteurs stratégiques, le travail des retraités doit être encouragé, encadré, valorisé.

Il est temps d’inverser le regard. Le cumul emploi-retraite, lorsqu’il est librement consenti, est une solution d’avenir. Pour les entreprises, c’est un vivier d’expertise immédiatement mobilisable. Pour les retraités, c’est une manière de rester actifs et utiles. Pour l’État, c’est une source de revenus et un vecteur de cohésion. Le fragiliser, c’est affaiblir un cercle vertueux. Cette réforme constitue un contresens économique, social et démographique.

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