Elie de Moustier : « il est impératif d’améliorer la connaissance du monde de la Défense par les banques et les investisseurs potentiels »

Le développement de l’industrie française de l’armement se heurte aux réticences de banques qui sont de plus en plus nombreuses à refuser de financer des activités s’écartant de leurs critères RSE. Une situation qui fait craindre que nombre de pépites tricolores ne passent sous pavillon étranger. Pour Elie de Moustier, repreneur de TPE/PME dans le secteur de la Défense, « il est impératif d’améliorer la connaissance du monde de la Défense par les banques et les investisseurs potentiels ».

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Par Rédacteur Modifié le 19 janvier 2024 à 10h01
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900 MILLIARDS €Les Français disposent de près de 900 milliards d'euros d'épargne sur les livrets réglementés.

De moins en moins d’argent pour une industrie de la Défense de plus en plus sollicitée : aux racines d’un mal français

Une guerre en Ukraine qui va bientôt entamer sa troisième année. Un conflit israélo-palestinien relancé depuis le 7 octobre, qui menace désormais de s’étendre aux pays voisins et d’enflammer le Moyen-Orient tout entier. Les deux Corées qui, à coup de missiles, font dangereusement monter la tension. La Chine qui lorgne de plus en plus ouvertement sur Taïwan. Et le spectre, annoncé par certains bien qu’heureusement encore diffus, d’une véritable troisième guerre mondiale… Depuis quelques années, les conflits armés se multiplient aux quatre coins du monde, mettant la pression sur les stocks d’armes et de munitions des grandes puissances. Plusieurs pays, au premier rang desquels la Russie de Vladimir Poutine, sont officiellement passés en économie de guerre. Un pas que se refusent pour l’heure à franchir l’Union européenne (UE) et la France, malgré des discours volontaristes.

En juin 2022, quelques mois donc après le début de l’invasion russe en Ukraine, Emmanuel Macron avait pourtant déclaré que la France et l’UE étaient, malgré elles, de plain-pied entrées dans « une économie de guerre dans laquelle (…) nous allons durablement devoir nous organiser ». Depuis, l’industrie française de Défense et de Sécurité, bien que jouant un rôle essentiel dans la préservation de la paix et de la sécurité nationale, ne cesse de buter sur un obstacle – et non des moindres : son financement. Plusieurs raisons expliquent la frilosité, pour ne pas dire le rejet, que suscite le domaine de la Défense chez les investisseurs, parmi lesquelles la complexité des procédures gouvernementales et les incertitudes liées aux contrats de long terme généralement associés à ce type d’activités sensibles.

Banques-industriels de la Défense : le malentendu

Enfin, et surtout, les banques et les fonds d’investissement refusent de plus en plus de financer l’industrie de la Défense afin de préserver leur image et de se conformer à des critères de compliance et de RSE excluant toute activité considérée comme « non-éthique ». Le problème ne date pas d’hier. En 2020 déjà, le ministère des Armées jugeait, dans une réponse écrite au Sénat, que cette frilosité pouvait « conduire à l’incapacité pour les entreprises de Défense, et en particulier les PME, les ETI et start-up, à se financer en France (…) ou à obtenir des prêts (…) dans leurs démarches à l’export ». Plus récemment, en 2022, le président du Cidef (Conseil des industries de Défense françaises) et patron de Dassault Aviation, Eric Trappier, faisait, dans un courrier adressé à Sébastien Lecornu, état des « difficultés croissantes » de l’industrie de l’armement « dans sa relation avec les banques et les fonds  ».

Repreneur de TPE/PME et consultant en opérations et stratégie, Elie de Moustier regrette lui aussi un « potentiel inexploité dans l’industrie de Défense ». « Il est impératif », alerte l’expert, « de changer la perception du secteur auprès des potentiels investisseurs pour permettre à (cette industrie) d’assumer son rôle primordial ». Une analyse partagée par le sénateur (LR) Cédric Perrin, selon qui il s’agit d’une « question cruciale pour la France ». La base industrielle et technologique de Défense (BITD) compte pourtant, dans l’Hexagone, 4 000 entreprises, dont une partie risque, faute d’investisseurs français, de passer sous contrôle étranger. Le sort d’Exosens (ex-Photonis), une pépite tricolore qui a failli, en 2020, passer sous drapeau américain, ne témoignait déjà pas tant d’un « risque de prédation par un acheteur étranger (que de) l’incapacité de l’économie française de proposer à cette entreprise un financement français de son développement », selon un rapport sénatorial publié au même moment.

Fléchage du livret A, formations spécifiques… : les pistes pour financer la Défense

Comment surmonter ces difficultés ? Une première piste consisterait à flécher vers l’industrie de la Défense les fonds déposés par les Français sur leurs livrets A et LDDS, où reposent plus de 500 milliards d’euros. Introduite à l’automne dernier au cours du débat parlementaire sur le projet de loi de finances 2024, cette possibilité « pourrait constituer un moyen ingénieux d’impliquer le grand public dans la sécurité nationale », se félicite Elie de Moustier. Pour le repreneur, cette participation citoyenne « renforcerait le lien entre la population et ses forces armées, créant un sentiment de responsabilité partagée pour la protection du pays. Cela favoriserait la construction d’une société plus résiliente et engagée dans les enjeux sécuritaires ». Ce financement potentiel a cependant été considéré par le Conseil constitutionnel comme un cavalier législatif et refusé.

Toujours selon Elie de Moustier, il est par ailleurs « impératif d’améliorer la connaissance du monde de la Défense par les banques et les investisseurs potentiels ». Le dirigeant suggère ainsi la création de « référents Défense » dans chaque région française et la multiplication des formations croisées – telles qu’en dispense, par exemple, l’Institut des hautes études de Défense nationale (IHEDN), qui a inauguré l’année dernière un premier cycle de formation « Banques et Industries de Défense ». « La réévaluation des relations entre la BITD et les banques revêt une importance cruciale dans le contexte actuel de l’industrie de la Défense », poursuit l’entrepreneur, qui suggère la création d’un « médiateur du financement » éventuellement rattaché à la Direction générale de l’Armement (DGA).

Pour une approche « holistique » de la BITD

Enfin, Elie de Moustier relève que seul un « écosystème du capital-investissement favorable et innovant » permettra de doper l’attractivité de l’industrie française de la Défense auprès de nouveaux investisseurs. Citant le Club du financement Défense ou les « Défense Angels » du GICAT (Groupement des industries françaises de Défense et de Sécurité terrestres et aéroterrestres) comme autant de forums offrant un espace pour le partage d’idées, la collaboration et la découverte d’opportunités d’investissements, Elie de Moustier veut croire que « c’est par une approche holistique que la BITD surmontera les défis actuels, en tenant compte des nouvelles problématiques financières auxquelles font face les PME du monde de la Défense ainsi que des considérations structurelles qui influencent les décisions des financeurs ».

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