Anne O. Krueger – Un monde couvert de dettes

Anne O. Krueger, ancienne économiste en chef de la Banque mondiale et ancienne première directrice générale adjointe du Fonds monétaire international nous parle de la crise mondiale de la dette qui semble se profiler à l’horizon.

Anne O. Krueger, Anne O. Krueger, ancienne économiste en chef de la Banque mondiale et ancienne première directrice générale adjointe du Fonds monétaire international, est Senior Research Professor en économie internationale à la School of Advanced International Studies de la Johns Hopkins University et Senior Fellow au Center for International Development de l'Université de Stanford.
Par Anne O. Krueger Publié le 3 juin 2023 à 10h00
Dette
31000 MILLIARDS $La dette des USA dépasse les 31.000 milliards de dollars.

Les derniers gros titres semblent laisser entrevoir une crise mondiale de la dette. Les États-Unis sont en train vaciller au bord du précipice d'une banqueroute auto-infligée. L'Égypte, le Ghana, le Pakistan et de nombreux autres pays connaissent de graves difficultés financières. Le fardeau de la dette de l'Italie et du Japon se sont alourdis. En outre, les Chinois retardent ou entravent les efforts multilatéraux de restructuration de la dette des pays à revenu faible et intermédiaire. Le Fonds monétaire international considère 41 pays comme lourdement endettés, ce qui n'inclut pas les pays à revenu intermédiaire comme l'Argentine, le Pakistan et le Sri Lanka.

Deux groupes de pays endettés

Les inquiétudes que suscitent ces nouvelles sont réelles, mais il existe des différences fondamentales entre elles. Les États-Unis ont la capacité de rembourser leurs dettes et ont été un emprunteur fiable de nombreuses années durant. Leur problème est politique. En revanche, la question pour les pays les plus pauvres est de savoir si, ou combien, ils peuvent rembourser. De nombreux pays à faible revenu lourdement endettés ont des niveaux d'endettement qui sont déjà ou qui seront bientôt insoutenables. Certains ont des paiements en souffrance ou ont annoncé qu'ils devront suspendre le service de la dette. Les prêteurs privés ont réagi en refusant de prêter davantage.

Mais on peut diviser ce groupe de pays endettés en deux groupes. Certains pays étaient dans des positions relativement satisfaisantes jusqu'à ce que la COVID-19 les oblige à emprunter davantage pour financer les dépenses liées à la pandémie. Les institutions financières internationales ont créé des mécanismes spéciaux pour aider ces pays à obtenir un financement supplémentaire rapide et à maintenir un financement normal en fonction de la reprise de leurs économies.

L'autre groupe avait déjà des dettes élevées et en hausse avant la COVID-19, souvent à cause de folies sur des projets ayant des taux de rendement faibles ou négatifs. Le Sri Lanka en est un bon exemple. Un nouveau gouvernement est entré en fonction en 2019 et a réduit les impôts de manière spectaculaire, en augmentant déjà les déficits budgétaires importants et en empruntant encore plus. Bien que des politiques intérieures mal avisées – notamment une interdiction des intrants agricoles importés – aient fortement réduit la production agricole du pays, le gouvernement a dépensé ses réserves de change et a ensuite emprunté à des taux d'intérêt plus élevés (en particulier à la Chine) jusqu'à ce qu'il ne puisse plus emprunter.

Dans la mesure où de nombreux pays lourdement endettés dépendent des importations de produits alimentaires, de médicaments et de biens intermédiaires indispensables, l'incapacité à financer les importations en période de crise peut entraîner la fermeture d'usines et une forte baisse de l'activité économique – comme ce fut le cas au Sri Lanka. Jusqu'à ce que le pays affligé acquière des devises étrangères nécessaires pour financer de nouveaux flux d'importation, les éléments essentiels resteront rares.

Dans ce cas de figure, le FMI collabore avec le gouvernement pour formuler des politiques permettant au pays de restaurer la croissance et la solvabilité. Si le FMI n'insistait pas sur de telles réformes, il ne ferait qu'augmenter l'endettement du pays et ne ferait que retarder une sanction inéluctable. Par conséquent, pour assurer le suivi du pays, le FMI débourse généralement des fonds par tranches au fur et à mesure des réformes, le déboursement initial permettant une reprise des flux d'importation et du service de la dette.

Faut-il réduire la dette ?

Reconnaissant l'impact de telles crises sur les pauvres, certains observateurs ont appelé à la réduction de la dette et à l'offre de nouveaux fonds sans aucune condition afin que le pays corrige les échecs politiques qui ont conduit à un endettement extrême. Mais en supposant que de nouveaux prêteurs aideront les pauvres, ils ne parviennent pas à comprendre que cela revient souvent à « jeter du bon argent par les fenêtres après en avoir jeté du mauvais ». Dans de nombreux cas, l'une des raisons pour lesquelles le pays est pauvre est que sa dette accumulée auparavant est allée vers des investissements à faible productivité.

En dépit du long processus entrepris par le FMI avant d'accepter un programme, d'autres complications pourraient surgir après sa mise en place. Lorsque le FMI estime que le fardeau de la dette d'un pays est trop lourd pour qu'il maintienne ses exigences de service de la dette, la restructuration de la dette souveraine doit faire partie du programme convenu du FMI et négocié avec les créanciers privés et publics. Parfois les réformes et l'argent du FMI peuvent aider un pays à atteindre sa croissance et à financer son service de la dette. Mais dans d'autres cas, la dette est devenue si importante qu'il est déraisonnable de s'attendre à ce que le pays reprenne son remboursement complet. Pour résoudre ce problème, les responsables des gouvernements des pays créanciers vont se réunir et s'entendre sur les modalités de restructuration de la dette, qui pourraient inclure une réduction de la valeur nominale de la dette, un rééchelonnement des remboursements du principal, voire même un délai de grâce. Traditionnellement, les créanciers privés participeront également à ces pourparlers et accepteront une réduction de la dette en souffrance.

Mais la montée en puissance de la Chine en tant que principal créancier bilatéral des économies émergentes et en développement a encore compliaé la situation davantage. Les Chinois ont été réticents à restructurer leurs dettes et ont insisté pour prêter aux pays débiteurs toutes les sommes nécessaires pour couvrir leurs obligations. Si le FMI débourse des fonds dans ces conditions, une partie d'entre eux risque d'être simplement destinée à rembourser la Chine, qui serait alors traitée plus favorablement que les autres créanciers.

Les programmes du FMI ne peuvent donc pas être mis en œuvre tant que tous les créanciers ne sont pas parvenus à un accord sur la restructuration. Le Sri Lanka n'a pas pu recevoir de fonds du FMI pendant des mois parce que les Chinois ont refusé de réduire la décote des prêts qu'ils avaient consentis. Au lieu de cela, ils voulaient prêter encore plus d'argent au Sri Lanka pour qu'il puisse rembourser sa dette (et augmenter sa dette globale envers la Chine). De même, la restructuration de la Zambie a été retardée depuis novembre 2020.

Il est vrai que la Chine a finalement conclu des accords avec plusieurs pays qui permettraient au FMI de débourser des fonds. Mais de nombreux autres pays endettés doivent encore entreprendre des réformes politiques conformément à un programme convenu par le FMI, ce qui signifie que davantage de retards peuvent être attendus. Il faut espérer que la Chine verra qu'il est dans son propre intérêt de concevoir un processus plus souple et plus rapide de réformes politiques et de restructuration de la dette.

© Project Syndicate 1995–2023

Anne O. Krueger, Anne O. Krueger, ancienne économiste en chef de la Banque mondiale et ancienne première directrice générale adjointe du Fonds monétaire international, est Senior Research Professor en économie internationale à la School of Advanced International Studies de la Johns Hopkins University et Senior Fellow au Center for International Development de l'Université de Stanford.

ancienne économiste en chef de la Banque mondiale et ancienne première directrice générale adjointe du Fonds monétaire international, est Senior Research Professor en économie internationale à la School of Advanced International Studies de la Johns Hopkins University et Senior Fellow au Center for International Development de l'Université de Stanford.

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