Et si le budget était refusé par la Cour des comptes ?

Quand l’arbitre institutionnel menace de ne plus valider les comptes publics, c’est qu’un seuil critique a été franchi. Quel est le message envoyé par la Cour des comptes à l’État ?

Jade Blachier
By Jade Blachier Published on 16 avril 2025 16h29
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2 602 milliardsLa dette publique atteint 2 602 milliards d’euros fin 2024.

Le 16 avril 2025, la Cour des comptes a annoncé qu’elle pourrait refuser de certifier le budget de l’État si ses réserves ne sont toujours pas prises en compte. Son Premier président, Pierre Moscovici, a exprimé une insatisfaction inhabituelle dans le ton, traduisant un malaise croissant face à une situation budgétaire jugée préoccupante.

Une Cour des comptes lassée d’être ignorée

« J’aimerais vous faire part, non pas de ma mauvaise humeur, mais de ma très mauvaise humeur », a déclaré Pierre Moscovici. Cette intervention, faite devant la presse et l’Assemblée nationale, accompagne la présentation de l’acte annuel de certification des comptes. Pour la 19e année consécutive, ces derniers ne peuvent être certifiés qu’avec des réserves dites “très significatives”. L’État ne respecte donc toujours pas les standards comptables exigés pour toute entité publique.

Le président de la Cour s’étonne du peu d’attention porté à ces remarques récurrentes. Il compare la situation à une entreprise où le commissaire aux comptes émettrait des réserves sans que le conseil d’administration n’y prête attention. « L’État fait ça, la Sécurité sociale fait ça », a-t-il commenté. Pour lui, l’administration traite l’acte de certification comme un document parmi d’autres, sans conséquence, alors qu’il devrait être un signal d’alerte.

Un budget 2024 sévèrement critiqué

Le rapport budgétaire de la Cour des comptes publié ce même jour dresse un constat préoccupant. Le déficit de l’État a atteint 155,9 milliards d’euros, au-delà de l’objectif fixé. L’écart entre les recettes prévues et les recettes réelles s’élève à 22,8 milliards d’euros. Les prévisions, jugées trop optimistes, n’ont pas résisté à la réalité économique. Les dépenses, de leur côté, ont été difficilement contenues malgré l’extinction de certains dispositifs exceptionnels.

La dette publique atteint 2 602 milliards d’euros fin 2024, soit une augmentation de 780 milliards en cinq ans. Quant à la charge de la dette, elle s’élève désormais à plus de 50 milliards d’euros, conséquence d’une remontée des taux d’intérêt et d’une prime de risque liée à l’instabilité politique.

La Cour critique en particulier l’absence de loi de finances rectificative en début d’année, malgré des dérapages déjà constatés en 2023. Pierre Moscovici parle d’un « pilotage à vue », dénonçant la succession de gels, reports, annulations de crédits et décisions contradictoires. Pour lui, il ne s’agit pas seulement d’erreurs techniques, mais d’un manque de stratégie budgétaire claire.

Qu’impliquerait une non-certification ?

La Cour ne s’est encore jamais opposée à la certification des comptes. Le faire constituerait un précédent majeur. Cela reviendrait à déclarer que les comptes publics de la France ne sont pas fiables, avec un impact direct sur la crédibilité financière de l’État. Les marchés pourraient réagir en durcissant les conditions de financement, les agences de notation en abaissant la note souveraine, et les partenaires européens en exigeant des engagements plus stricts.

En écrivant à Bercy pour mettre en garde contre ce scénario, la Cour exerce donc une pression directe sur l’exécutif. Elle souligne que, sans mesures correctives tangibles en 2025, la certification pourrait être remise en cause.

Un appel à une réforme structurelle

Le rapport sur l’exécution du budget 2024 insiste sur un point central : l’absence d’économies structurelles. Les économies constatées tiennent davantage à la disparition de dispositifs temporaires qu’à une inflexion durable des dépenses. L’augmentation des dépenses de personnel (+8 milliards d’euros) illustre cette inertie.

La Cour insiste sur l’importance des revues de dépenses, engagées depuis 2023 mais encore jugées trop timides. Elle appelle à leur amplification pour fonder le futur projet de loi de finances 2026 sur une base crédible.

Une marge d’amélioration pour 2025 ?

Si les critiques sont nombreuses, la Cour ne ferme pas la porte à l’espoir. Pierre Moscovici reconnaît que le cadrage budgétaire pour 2025 est « un peu mieux ». Il souligne que la prévision de croissance de 0,7 % n’est « pas hors d’atteinte », mais que les risques liés à la conjoncture internationale et à l’incertitude géopolitique restent élevés.

La Cour attend désormais des actes, des arbitrages clairs, et une prise en compte réelle de ses recommandations. Sans cela, la menace de non-certification restera sur la table.

Jade Blachier

Diplômée en Information Communication, journaliste alternante chez Economie Matin.

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