Urssaf : comment une fraude de 62 millions a échappé aux contrôles

Un dirigeant du secteur de l’intérim vient d’être lourdement condamné pour une fraude sociale hors norme. En détournant plus de 62 millions d’euros à l’Urssaf, il a exploité pendant des années les failles du système en utilisant des centaines de travailleurs étrangers dans le secteur du bâtiment. Retour sur une affaire exceptionnelle qui interroge sur les méthodes de contrôle de l’Urssaf et sur les dérives possibles du modèle intérimaire.

By Alix de Bonnières Published on 7 septembre 2025 16h00
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Urssaf : comment une fraude de 62 millions a échappé aux contrôles - © Economie Matin
62ce directeur d'agence intérim a réussi a fraudé l'Urssaf pour 62 millions d'euros pendant des années .

Le 2 septembre 2025 : la condamnation d’une fraude colossale

Le tribunal correctionnel de Draguignan, dans le Var, a tranché : le dirigeant du groupe Forum Intérim a été reconnu coupable d’avoir mis en place un système frauduleux visant à éluder massivement les cotisations sociales. Le jugement a été prononcé le mardi 2 septembre 2025, à l’issue d’un procès étalé sur plusieurs jours.

L’homme écope de quatre ans de prison ferme et d’une amende de 100 000 euros, selon BFMTV. Sa directrice financière a également été condamnée à deux ans de prison et à 20 000 euros d’amende. Par ailleurs, le groupe et ses quinze agences régionales devront s’acquitter de plus de 1,6 million d’euros d’amendes. Le tribunal a en outre ordonné que les condamnés indemnisent l’Urssaf à hauteur de 62 millions d’euros, soit le montant total du préjudice estimé.

Un schéma organisé autour des indemnités abusives

Au cœur du stratagème : l’utilisation abusive d’indemnités de déplacement censées compenser les frais engagés par les intérimaires pour se rendre sur leurs chantiers. Or, dans la réalité, les travailleurs étaient logés et véhiculés par l’entreprise, ce qui rendait ces indemnités indûment versées.

Comme le précise BFMTV : « des salariés du bâtiment engagés en intérim, tous de nationalité étrangère, ont perçu des indemnités excessives, comme par exemple des indemnités de grand déplacement alors qu'ils étaient logés et véhiculés par l'entreprise ». Cette technique a permis au groupe de réduire l’assiette des cotisations, donc de minorer ses obligations fiscales, en dissimulant une part conséquente des salaires réels.

Selon le parquet, il s’agit d’« une fraude généralisée ayant soustrait 62 millions d’euros aux organismes sociaux ». Le mode opératoire n’avait rien d’accidentel : il s’inscrivait dans une stratégie délibérée d’optimisation illégale du coût du travail.

Une fraude massive passée sous les radars de l’Urssaf

L’enquête, menée par les gendarmes et les inspecteurs de l’Urssaf, a duré près de deux ans et nécessité pas moins de 120 auditions. Au fil des investigations, les autorités ont mis au jour des pratiques systématisées et coordonnées entre les différentes entités du groupe.

La somme des biens saisis — immobilier, véhicules de luxe, objets de valeur — atteint plus de deux millions d’euros, répartis entre la France, le Luxembourg et l’Espagne. Une manne qui servira à rembourser partiellement le préjudice.

Mais comment une telle fraude a-t-elle pu prospérer aussi longtemps sans alerter les services de contrôle ? Ce point reste sensible. L’Urssaf, pourtant censée repérer les anomalies dans les déclarations sociales, n’a détecté aucun signal faible pendant plusieurs années. Ce n’est qu’après un croisement de données fiscales et douanières que les premiers soupçons sont apparus.

La situation soulève une question structurelle : les moyens actuels de l’Urssaf permettent-ils réellement de déjouer les montages frauduleux dans les secteurs à haute rotation comme l’intérim ?

Un contexte de vigilance accrue mais encore imparfaite

Ce scandale intervient alors que l’Urssaf annonce des efforts renforcés pour lutter contre la fraude sociale. En mars dernier, la ministre du Travail, Catherine Vautrin, se félicitait d’un bond de 33 % dans la détection des fraudes en 2024, portant le total des redressements à 1,6 milliard d’euros. Elle rappelait ainsi que « la détection par l’Urssaf de la fraude aux cotisations sociales avait augmenté de 33 % en 2024, pour atteindre 1,6 milliard d'euros ».

Toutefois, l’affaire Forum Intérim démontre que les circuits complexes mis en place par certains dirigeants, notamment dans le domaine de l’intérim international, peuvent déjouer les outils actuels de surveillance. Le rôle des sous-traitants, des agences locales et des montages transnationaux contribue à brouiller les pistes.

Il convient aussi de noter que le profil des travailleurs employés — en grande majorité étrangers, peu familiarisés avec leurs droits — a pu faciliter la mise en œuvre de ce système opaque, sans dénonciation interne. L’intérim, par essence, multiplie les points de rupture dans la chaîne de contrôle, rendant plus difficile la détection d’anomalies.

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