Énergies : se passer du gaz russe reste compliqué

Même si les stocks européens sont presque pleins à la veille de l’hiver, les tensions sur le marché du gaz restent vives. Malgré la prolongation de la guerre en Ukraine, l’Europe continue à importer du gaz russe… Et le conflit au Proche-Orient crée de nouveaux risques de volatilité. L’Europe n’a d’autre choix que de trouver des ressources alternatives, en cours de déploiement, en particulier en Afrique.

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Par Marc Pelletier Modifié le 5 décembre 2023 à 10h17
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17%17% du GNL acheté en 2022 par l'Union européenne provenait de Russie.

Depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022, la Russie a fortement réduit ses acheminements par gazoduc vers l’Union européenne, contraignant les Etats à réorganiser dans l’urgence leurs approvisionnements. En 2022, les Etat membres ont ainsi augmenté de 70 % leurs achats de gaz naturel liquéfié (GNL). Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), ce GNL est venu à plus de 40 % des États-Unis, mais aussi de Russie (17 % des achats européens de janvier à juillet 2023). Quelques pays d’Europe de l’Est continuent même à recevoir un peu de gaz russe non liquéfié. Preuve qu’il est vraiment difficile pour l’Europe de se passer des livraisons de Moscou.

Dans un rapport publié le 10 octobre dernier, l’AIE lance d’ailleurs une alerte : cet hiver, l’Europe pourrait à nouveau manquer de gaz ou devoir en acheter à prix d’or en cas de grand froid. Les stockages de gaz de l’UE ont beau être quasi-remplis à 96 %, l’AIE se montre prudente sur la sécurité d’approvisionnement, après la flambée des prix et les risques de pénurie qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine. Selon l’AIE, l’Europe fait face à deux risques : « un hiver froid associé à une moindre disponibilité de GNL » et « une nouvelle baisse des livraisons de gaz russe ». D’autant que le conflit au Proche-Orient, qui menace de s’étendre, peut aussi créer des perturbations sur l’approvisionnement.

La recherche de nouvelles alternatives est donc plus que jamais d’actualité. Les autres pays qui fournissent du gaz naturel à l’Europe, comme la Norvège, l’Algérie ou l’Azerbaïdjan, ne pourront pas compenser la perte des approvisionnements russes. C’est pourquoi, l’Europe mise avant tout sur le GNL et développe de nouvelles infrastructures de regazéification.

Les principaux producteurs mondiaux de GNL, le Qatar, l’Australie et les Etats-Unis, sont sollicités. Mais l’Australie, c’est loin ; le gaz de schiste US est cher et peu « propre » ; quant au Qatar, s’il dispose d’importantes réserves et de projets de développement, c’est un pays dont il pourrait être dangereux d’être trop dépendant, à l’heure où l’escalade menace au Proche-Orient. Dans ce contexte, les réserves de gaz découvertes en Afrique et les projets gaziers qui s’y développent intéressent particulièrement les pays européens. Un rapport de l’agence Ecofin montre que l’Afrique concentre en effet près de 40 % des nouvelles découvertes de gaz naturel réalisées à l’échelle mondiale au cours de la dernière décennie.

Le Nigeria multiplie les projets gaziers

De nombreux pays européens se sont notamment tournés vers le Nigéria, premier producteur de gaz africain. Nigeria LNG, la société chargée d’exploiter les vastes ressources en gaz naturel du pays et de produire du gaz naturel liquéfié (GNL) et des liquides de gaz naturel (LGN) pour l’exportation, a ainsi été inondée de demandes de pays européens depuis le début du conflit en Ukraine. Cette coentreprise, détenue par la Nigerian National Petroleum Company (49 %), Shell (25,6 %), TotalEnergies (15 %) et Eni (10,4 %), dispose aujourd’hui d’une capacité de production totale de 22 millions de tonnes par an de GNL et de 5 millions de tonnes par an de liquides de gaz naturel (LGN), avec son complexe d’usines à six trains, situés dans l’est et l’ouest du delta du Niger. La société compte 20 contrats de vente à long terme avec 9 acheteurs, l’Espagne, le Portugal et la France étant actuellement les trois principaux clients.

Un nouveau projet d’expansion en cours, « le Train 7 », doit permettre d’augmenter la capacité de production de 35 % d’ici 2025, pour la porter à 30 millions de tonnes par an. Afin d’augmenter encore ses capacités, Nigeria LNG étudie également la faisabilité d’un projet supplémentaire, « le Train 8 ». Les tensions géopolitiques actuelles offrent également des opportunités de relancer des projets plus anciens, comme le projet d’un gazoduc transsaharien de 4.400 km qui partirait du Nigéria et traverserait le Niger jusqu’en Algérie, pour relier les pays d’Afrique de l’Ouest à l’Europe. Un autre projet, le gazoduc Nigéria-Maroc, a également reçu le feu vert du gouvernement nigérian : il s’agit de prolonger un gazoduc sous-marin longeant les côtes d’Afrique de l’Ouest, jusqu’au Maroc et à l’Espagne. Un projet pharaonique dont le coût est estimé à 25 milliards de dollars et la durée de réalisation à 25 ans.

Le Mozambique entre dans le club mondial des grands producteurs

Un immense gisement découvert au début des années 2010 à 40 km au large de la province de Cabo Delgado et des côtes septentrionales du Mozambique, commence à être exploité. Estimé à 5.000 milliards de m3, ce gisement pourrait faire du Mozambique le 4e exportateur mondial de GNL d’ici dix ans. Les réserves du pays sont équivalentes à la moitié de celles des États-Unis (premier producteur mondial) et, à l'échelle de l’Afrique, comparables à celles de l’Algérie et du Nigeria. Elles se concentrent sur deux blocs offshore : le « bloc 4 », exploité par l’italien Eni et l’américain ExxonMobil, avec le portugais Galp Energia, le coréen Kogas et le chinois CNPC (projet Coral South FNLG); le « bloc 1 », opéré par le Français TotalEnergies, avec le japonais Mitsui, le thaïlandais PTTEP et les indiens ONGC, Bharat Petroleum Corp et Oil India (projet Mozambique LNG).

Eni a franchi une étape symbolique le 13 novembre 2022, avec l’exportation de la première cargaison de GNL à destination de l’Espagne et de la Croatie. Aujourd’hui, la plate-forme flottante Coral South FLNG atteint déjà 90 % de sa capacité, le gaz exporté fournissant les marchés asiatiques, européens et du Moyen-Orient. Quant au projet Mozambique LNG, de loin le plus important, et dont les travaux devraient reprendre d’ici la fin de l’année, il devrait livrer sa première cargaison en 2028, avec une capacité de production allant jusqu’à 60 milliards de m3 par an. Selon l’International Gas Union, les différents projets gaziers du Mozambique permettraient de produire à terme 53,4 millions de tonnes par an, plaçant le pays dans le top 5 mondial des exportateurs de GNL, avec un potentiel de 6 % du marché mondial. Des accords de vente ont d’ores et déjà été passés pour plus de 90 % de la production future, essentiellement pour des clients asiatiques et européens.

Le Sénégal est aussi très courtisé

Au Sénégal, un grand projet gazier offshore va aussi démarrer à la fin de l’année. Dans l’océan Atlantique, à la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie, à 120 km au large de la ville de Saint-Louis, le projet « Grande Tortue Ahmeyim » (GTA) devrait produire 2,5 millions de tonnes de GNL par an à partir de 2024, puis 10 millions à partir de 2030. Plusieurs pays ont déjà manifesté leur intérêt comme l’Allemagne, l’Italie, la Pologne, le Portugal ou la République tchèque. Les réserves de gaz sont estimées à 1.400 milliards de m³. C’est le géant britannique BP (61 % des parts) qui pilote ce projet, aux côtés de l’entreprise texane Kosmos Energy (29 %) et des compagnies nationales Petrosen (Mauritanie) et SMHPM (Sénégal).

Recevant le chancelier allemand Olaf Scholz, à Dakar, le 22 mai 2022, le président sénégalais Macky Sall s’est dit « prêt à travailler dans une perspective d’alimenter le marché européen en GNL ». « Les premières livraisons sont réservées pour le marché asiatique, mais rien n’empêche de renégocier les destinations avec l’opérateur du fait du basculement de la géopolitique de l’énergie », a précisé le conseiller énergie du président, assurant que le gaz sénégalais est « livrable en deux ou trois jours en Europe et quarante fois plus propre que le gaz de schiste américain ».

Ce type d’argument en faveur du GNL africain ne laisse pas insensibles bon nombre d’Etats européens, mais aussi de pays asiatiques, Inde et Chine en tête, qui cherchent à réduire leur dépendance au charbon pour diminuer leurs émissions de gaz à effet de serre. La pleine exploitation de cette ressource est aussi une condition essentielle pour le décollage socio-économique des pays producteurs.

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Marc Pelletier, Consultant, chef de projet en aménagement urbain éco-responsable, chargé de missions de conseil auprès d'aménageurs ou de collectivités locales, avec pour mission d'assister les élus et l'administration dans la définition et la mise en œuvre des politiques de développment durable à l'échelle des agglomérations

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1 commentaire on «Énergies : se passer du gaz russe reste compliqué»

  • Pourquoi cet article puisque le gaz russe arrive toujours en France par bateau ?

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