Le projet avorté d’un partenariat stratégique euro-russe

Extrait du livre Propos sur la souveraineté européenne. Défis sanitaires, sécuritaires, démocratiques, de Florence Chaltiel Terral, Yves Doutriaux, et Maxime Lefebvre, éditions Lefebvre Dalloz, 2024. Préface de Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale.

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Par Florence Chaltiel Terral, Yves Doutriaux et Maxime Lefebvre Publié le 22 mars 2024 à 18h30
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Le projet avorté d'un partenariat stratégique euro-russe

Dans le cadre de la politique étrangère, de sécurité et de défense commune de l’Union instituée par le traité de Maastricht signé en février 1992, alors que l’Allemagne s’était réunifiée et que l’URSS et le pacte de Varsovie venaient de disparaitre, il est prévu que, régulièrement, le Conseil européen « identifie les intérêts et objectifs stratégiques de l’Union (1) ». Selon le traité sur l’Union européenne, ces intérêts et objectifs stratégiques communs adoptés à l’unanimité concernent « les relations de l’Union avec un pays ou une région ou avoir une approche thématique ». Au sein d’une Union de 27 États membres, l’identification d’intérêts et objectifs communs est rarement un exercice facile : ainsi, bien avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, les États baltes et la Pologne notamment estimaient que la menace représentée par la Russie devait conduire l’Union à adopter des positions extrêmement fermes à l’encontre de Moscou tandis que la France et l’Allemagne considéraient qu’il fallait maintenir des liens économiques et politiques avec la Russie. Pour la Grèce ou Chypre, la Turquie paraissait souvent plus menaçante que la Russie. Au sud de la Méditerranée, la France tentait avec un succès variable de convaincre les États européens du nord et de l’est que le Sahel constituait une menace, y compris terroriste, pour les vingt-sept. De même, en dépit de soixante années de coopération franco-allemande depuis le traité de l’Élysée de 1963, les réflexes spontanés de ces deux pays dans leurs relations avec les États-Unis par exemple, pour ne citer que la question transatlantique, ne sont pas en général au diapason. On pourrait ainsi multiplier les exemples de décalages entre les perceptions des enjeux et des risques entre les États membres de l’Union, compte tenu de la diversité de leurs histoires et situations géographiques ou géopolitiques respectives. À terme, selon une vision optimiste de la construction européenne, l’habitude de coopérer pourrait estomper ces différences d’appréciation même si les conditions de cette coopération à vingt-sept – voire plus tard à près de 35 – sont rendues plus compliquées du seul fait d’un nombre d’États membres de plus en plus élevé. Toutefois, l’invasion par la Russie de l’Ukraine a pu contribuer, dans une certaine mesure, au rapprochement entre les évaluations de la menace représentée par la Russie – désormais corroborée par des faits indiscutables – établies par la plupart des responsables des vingt-sept, le cas de la Hongrie restant assez isolé.

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L’identification des intérêts et objectifs stratégiques communs, prévue par le traité sur l’Union européenne, a pris la forme de documents adoptés par le Conseil européen régulièrement mis à jour. Ainsi, en 2003, un premier document intitulé « Stratégie européenne de sécurité (2) », rédigé avant l’élargissement aux États de l’Europe de l’Est, retenait que l’Union « devait continuer à œuvrer pour des relations plus étroites avec la Russie, élément majeur de notre sécurité et de notre prospérité ; le respect de valeurs communes renforcera les progrès accomplis vers un partenariat stratégique ». Il faut dire que ce document, pourtant adopté deux ans après les attentats du 11 septembre 2001, présentait une vision quelque peu irénique du monde comme l’indique son préambule selon lequel « la violence de la première moitié du XXe siècle avait cédé la place à une période de paix et de stabilité sans précédent dans l’histoire européenne ».

À l’est de l’Union, il est vrai que, pendant ses premières années d’exercice du pouvoir, le président Poutine n’avait pas encore opté pour une politique de défiance vis-à-vis de l’UE et de l’Alliance atlantique. Cette animosité ne s’est progressivement révélée qu’au fur et à mesure du déclenchement des révolutions de couleur, d’abord en Géorgie en 2003 puis en Ukraine en 2004 et en 2013.

Ainsi, sur une initiative française, en 2003, l’Union et la Russie avaient adopté l’objectif ambitieux de créer à terme quatre espaces communs : un espace économique commun, un espace commun de liberté, de sécurité et de justice, un espace de coopération dans le domaine de la sécurité intérieure et un espace commun de recherche et d’éducation incluant les aspects culturels. Ces quatre espaces communs auraient dû établir une coopération différente de celle envisagée dans le cadre d’accords d’association avec les États dits du partenariat oriental de l’Union – Ukraine, Moldavie, les trois États du Caucase –, la Russie ne voulant pas être rétrogradée au niveau de pays qu’elle considère appartenir à sa sphère d’influence.

L’Union avait été une ardente partisane de l’adhésion de la Russie à l’Organisation mondiale du commerce qui a d’ailleurs abouti en 2012. L’Union et la Russie coopéraient activement pour un accord sur le nucléaire iranien jusqu’à l’accord du 14 juillet 2015 (3) que dénoncera le président Trump à son avènement en 2017, ce qui a permis au régime iranien de reprendre sa marche vers l’accès à l’arme nucléaire.

Sur le plan énergétique, l’Allemagne lançait un second gazoduc russo-allemand sous la mer Baltique North Stream 2 – travaux commencés en 2018 – après la mise en service de North Stream 1 en 2012, projet développé en 1997. L’Allemagne, tout comme la France, pensait que l’interdépendance économique – le commerce adoucissant les mœurs, selon Montesquieu – allait contribuer à un rapprochement de la Russie vers la vision du monde partagée par les Européens : respect de l’intégrité territoriale des anciennes républiques soviétiques, démocratie, droits de l’homme... Au demeurant, la France, l’Allemagne et la Russie – ainsi que la Chine – s’étaient de concert opposées à l’invasion américaine de l’Iraq en 2003, contraire au droit international, à l’opposé de la position du Royaume-Uni et de la plupart des pays d’Europe orientale et baltique qui allaient adhérer à l’Union. En 2008, le président Sarkozy avait négocié au nom de l’Union européenne (4) avec Medvedev, alors président de la Fédération de Russie, un accord de cessez-le-feu avec la Géorgie alors que l’armée russe menaçait la capitale de ce pays. Plus tard, le président Macron s’en était pris, en août 2019 lors de la conférence annuelle (5) avec les ambassadeurs français, à l’État profond susceptible de s’opposer à sa politique russe alors qu’il venait de s’entretenir au fort de Brégançon avec Poutine, quelques jours avant un G7 à Biarritz, la Russie en ayant été exclue après l’annexion de la Crimée en 2014. Il visait par là certains diplomates réservés à l’endroit de l’évolution de Poutine, illustré par exemple par le fameux discours à la Wehrkunde (6) de Munich en 2007.

1. Articles 22 et 26 du traité sur l’Union européenne dans la version issue du traité dit de Lisbonne entré en vigueur en 2009.

2. Stratégie européenne de sécurité : « Une Europe plus sûre dans un monde meilleur », 12 déc. 2003.

3. Joint Comprehensive Plan of Action signé à Vienne par l’Iran, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, l’Allemagne et l’Union européenne.

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