Préserver les relations humaines dans un monde d’intelligence artificielle

Theodore est un écrivain solitaire qui traverse un divorce difficile. Samantha est intuitive, joyeuse et a une voix sensuelle. Leurs mondes se rejoignent, passant d’abord du stade de l’amitié à celui d’une romance intense. Ils parlent d’art, de vie et d’amour. Ils discutent, rient, se disputent et on peut même dire qu’ils ont une certaine intimité. Ils forment un couple comme les autres, à un détail près : il est de chair et d’os, « elle » est un système d’exploitation basé sur l’intelligence artificielle.

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Par Juan José Murphy Publié le 24 septembre 2023 à 7h30
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383,3 MILLIARDS $Le marché global de l'Intelligence artificielle a atteint 383,3 milliards de dollars en 2021.

L'intrigue du film « Her » de Spike Jonze, sorti en 2013 et interprété par Joaquin Phoenix, et la voix de Scarlett Johansson, soulevait des questions avant-gardistes pour l’époque. Aujourd’hui la pertinence est plus frappante : peut-on humaniser une « machine » au point d’en tomber amoureux ? Au fur et à mesure des progrès technologiques, serons-nous tentés d’anthropomorphiser de plus en plus l’intelligence artificielle ? Réduirons-nous notre condition humaine à nos simples besoins, seulement pour les satisfaire grâce à des algorithmes mathématiques ?

Si nous parlons des utilisations quotidiennes de l’IA, il n’y a rien de mal à ce qu’une plateforme de streaming nous suggère un bon film à regarder ou à ce que nous passions du temps à scroller des vidéos et réels sur les réseaux sociaux. Mais cela devient problématique lorsqu’une dépendance se crée, donnant au cerveau des récompenses instantanées qui satisfont nos désirs de consommation et de satisfaction primaire. Le contenu est présenté comme apparemment gratuit et accessible à tout moment et en tout lieu. L'objectif de l'IA sur les réseaux sociaux est de charmer nos yeux et nos oreilles afin que nous passions de plus en plus de temps à consommer, nous transformant ainsi en automates numériques.

L'IA occupe et continuera d'occuper une place utile dans de nombreux domaines de notre vie. Cependant, il est important de prendre conscience des risques que comporte une dépendance excessive à l'égard de la technologie. L'objectif n'est pas de cesser d'utiliser l'IA, mais de l'humaniser et de l'utiliser pour améliorer notre qualité de vie.

Des leaders comme Tristan Harris, Elon Musk ou Yuval Noah Harari mettent en garde contre les risques de l'évolution de l'IA et présentent des scénarios pertinents pour générer une prise de conscience et gagner la bataille culturelle. Ils font appel au choc car ils veulent anticiper les potentiels effets dévastateurs de l'IA, non seulement en termes de cybersécurité mais aussi dans son incidence néfaste sur les relations sociales et la déshumanisation de l'utilisateur qui en découle, si rien n’est fait pour mieux la contrôler.

Imaginons un futur pas si lointain où nous vivrons tous avec un avatar virtuel. Une sorte de meilleur ami ou partenaire qui nous ressemble physiquement, qui nous parle comme nous le voulons, qui est toujours de bonne humeur, disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour nous écouter et répondre à toutes nos questions, et qui a les mêmes centres d'intérêt que nous, comme dans le film Her. Pourquoi créer des liens physiques quand des avatars peuvent remplir cette fonction ? Peut-on être ami avec une machine ? La réponse est peut-être oui, mais il est important de se poser la question à temps et de comprendre les risques liés à ce type de relations avec l'IA.

Le confort peut être un obstacle à notre esprit critique, à notre capacité à approfondir des questions importantes, à interagir avec d'autres personnes et à nous développer en tant qu'êtres sociaux. L'intelligence artificielle peut parfois être antinomique à ces besoins fondamentaux.

Il est donc essentiel de parler de ce sujet dans les environnements familiaux, les salles de classe, les forums d'entreprises et les espaces politiques. Les entreprises qui travaillent au développement de l'IA ont également un rôle fondamental à jouer dans ce processus.

Nous devons sensibiliser la société aux chamboulements que va apporter l'intelligence artificielle et promouvoir les bonnes pratiques. Bien qu'il existe déjà des initiatives, telles que le Center for Humane Technology, qui vont dans ce sens, il reste encore beaucoup à faire.

La bonne nouvelle, c'est que nous avons encore le temps d'agir. Fut un temps où nous avons arrêté de fumer dans les avions et les espaces clos, réalisant que le tabac était toxique. Nous nous sommes habitués à utiliser la ceinture de sécurité dans les voitures lorsque nous avons compris que notre vie était en danger si nous ne le faisions pas. Le temps viendra donc où nous comprendrons que l'intelligence artificielle doit déshumaniser la machine pour humaniser la personne.

Jjmurphy

Global Head of Artificial Intelligence and Data Science chez Globant

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