Jennyfer, la survie par fragments

L’enseigne de prêt-à-porter féminin Jennyfer, placée en liquidation judiciaire fin avril 2025, a été partiellement reprise par le consortium Beaumanoir-Celio. Si cette opération permet de sauver 34 boutiques et environ 400 emplois, elle révèle surtout les fragilités structurelles d’un secteur pris en étau entre inflation, désaffection des jeunes consommatrices et concurrence mondiale féroce.

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By Rédacteur Published on 12 août 2025 5h00
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Jennyfer, la survie par fragments - © Economie Matin
15%En avril 2024, Jennyfer détenait encore 15 % de parts de marché chez les 10-14 ans

Jennyfer : une marque en chute libre

Jennyfer n’aura pas survécu à la tempête qui balaie le prêt-à-porter en France. Fondée en 1984 et revenue récemment à son nom d’origine après une tentative infructueuse de rebranding sous l’enseigne Don’t Call Me Jennyfer, la marque visait les adolescentes avec un positionnement à la fois accessible et tendance. Mais en juin 2023, elle entrait en redressement judiciaire, plombée par « l’augmentation soudaine des coûts, cumulée à une inflation galopante », selon la direction.

Malgré un investissement de 15 millions d’euros et un plan de sauvegarde de l’emploi, l’enseigne a finalement été liquidée moins d’un an plus tard. « L’explosion des coûts, la baisse du pouvoir d’achat, les mutations du marché textile et une concurrence internationale toujours plus agressive ont rendu [ce] modèle économique intenable », a reconnu la direction, dressant le tableau d’un secteur à bout de souffle.

Un sauvetage partiel mais stratégique

Sur les onze offres de reprise examinées, celle du tandem Beaumanoir-Celio a été retenue par le tribunal de commerce de Bobigny, en juin 2025. Pour un peu plus de 2 millions d’euros, les deux groupes récupèrent ensemble 34 boutiques et environ 400 salariés, soit un tiers des effectifs de Jennyfer. Beaumanoir (Bonobo, Cache Cache, Caroll…) absorbe 26 magasins et 350 salariés, tandis que Celio reprend 7 magasins et 47 employés. Cette reprise fragmentée ne concerne que les activités en France : les filiales à l’étranger, notamment en Belgique, ne sont pas concernées, et pourraient faire l’objet d’une reprise distincte.

Si ce plan limite la casse sociale, « il reste insuffisant face à l’ampleur des pertes d’emplois, qui touchent principalement des femmes », déplore Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT. Elle fustige « une absence totale de réflexion stratégique sur la situation économique du secteur », pointant la déconnexion entre les attentes des consommatrices et l’offre proposée.

Un marché adolescent en recomposition

En avril 2024, Jennyfer détenait encore 15 % de parts de marché chez les 10-14 ans, selon son directeur général Yann Pasco, qui ambitionnait d’élargir la clientèle aux 15-24 ans. Mais cette jeunesse, jadis cœur de cible, s’est détournée des centres commerciaux et du prêt-à-porter standardisé, privilégiant la seconde main, les friperies, le e-commerce et les marques à forte identité numérique.

« Malgré les mesures mises en œuvre dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire puis dans le cadre du plan [de redressement], le groupe n’est pas parvenu à atteindre les objectifs ainsi fixés », a sobrement constaté le tribunal de Bobigny.

Le cas Jennyfer illustre les tensions qui traversent l’ensemble du secteur textile : entre inflation, pressions écologiques, digitalisation accélérée et volatilité des goûts, les enseignes historiques doivent réinventer en profondeur leur modèle ou risquer la sortie de route.

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