Michael J. Boskin : l’Histoire repasse éternellement les mêmes plats

Pour Michael J. Boskin, professeur d’économie à l’Université de Stanford, l’augmentation de l’inflation et le ralentissement de la croissance ne sont pour les économistes qui s’intéressent un peu à l’histoire que des répétitions parfaitement logiques d’épisodes passés. 

Michael J. Boskin
Par Michael J. Boskin Modifié le 18 mai 2023 à 9h49
Inflation Guerre Replays
3 XL’inflation aux Etats-Unis est trois fous supérieure à l’objectif de la FED, malgré tous ses efforts pour tenter de la maîtriser....

Lorsque vous regardez un match de sport, des replays instantanés vous permettent de revisionner en détails – souvent au ralenti – les moments importants de la rencontre. Lorsque vous regardez les informations, il vous semble peut-être parfois observer de la même manière une rediffusion du passé. Ces replays – forte inflation, explosion de la dette publique, guerre brutale sur le sol européen, nouvelle guerre froide, avènement de technologies potentiellement destructrices – ne sont en revanche pas instantanés, et s’accompagnent d’enjeux beaucoup plus élevés.

Nos lecteurs se remémorent peut-être que j’avais prédit une augmentation de l’inflation et un ralentissement de la croissance dès le printemps 2021. L’ancien secrétaire du Trésor américain Larry Summers l’avait annoncé plus tôt encore. Pourtant, l’inflation actuelle – la pire depuis le début des années 1980 – a pris par surprise le plus grand nombre.

Plusieurs difficultés sur les chaînes d'approvisionnement, notamment les perturbations du marché énergétique et des systèmes alimentaires, liées à la guerre menée par la Russie en Ukraine, ont contribué à l’explosion initiale des prix. Le principal facteur de l’inflation actuelle réside pour autant dans le caractère dispendieux de politiques monétaires et budgétaires qui ont été maintenues en dépit de reprises plus rapides que prévu après les confinements liés à la pandémie.

Le plan de sauvetage de la FED coûteux... et inutile ?

Le plan de sauvetage américain mis en œuvre en 2021 par le président Joe Biden, par exemple, d’un montant de 1 900 milliards $, était près de trois fois supérieur à l’écart de PIB que le Bureau du budget du Congrès américain estimait nécessaire de combler pour permettre à l’économie d’atteindre son plein potentiel. Force est de constater un parallèle avec l’utilisation de la dette par le président Lyndon B. Johnson pour financer la guerre du Vietnam et la « guerre contre la pauvreté » à la fin des années 1960.

Dans le même temps, la Réserve fédérale américaine a trop longtemps maintenu proche de zéro son taux d’intérêt cible, et a débuté trop tardivement l’assainissement de son bilan – une approche qui rappelle les erreurs de politique monétaire commises sous la présidence d’Arthur Burns dans les années 1970. Les banquiers centraux ont pensé que cela ne ferait pas de mal de laisser l’inflation dépasser l’objectif des 2 % pendant un certain temps avant de la ramener à la baisse, dans la mesure où ils l’avaient auparavant incorrectement ciblée.

Le fait de maintenir l’économie dans un certain état de surchauffe présente des avantages à court terme. Juste avant la pandémie, le chômage aux États-Unis demeurait faible, les minorités présentaient le plus faible taux de pauvreté dans l’histoire du pays, et les salaires augmentaient le plus rapidement au bas de la pyramide de distribution. Pour la première fois en plusieurs décennies, les inégalités diminuaient.

Il a néanmoins fallu en payer le prix économique et politique. L’inflation de base (qui exclut les prix alimentaires et énergétiques) a atteint en moyenne 5,6 % sur les 12 derniers mois. Bien qu’elle se situe actuellement légèrement en dessous de son pic, elle a évolué vers des prix des services plus rigides, et demeure près de trois fois supérieure à l’objectif de la Fed. Selon le credo de la banque centrale, le taux d’intérêt à court terme doit être supérieur à l’inflation pendant un certain temps avant que l’inflation – à l’issue d’un « décalage long et variable » – ne retomber vers le taux cible.

Les salaires diminuent aux États-Unis

Les salaires n’ont pas suivi le rythme de l’inflation, et la plupart des ménages – notamment ceux que les politiques expansionnistes étaient censées soutenir – voient leurs revenus réels diminuer depuis deux ans. Bien que le chômage demeure très bas, et que l’économie américaine surpasse la majeure partie du reste du monde, près de la moitié de la population des États-Unis pense d’ores et déjà être en récession, et la plupart des Américains s’attendent à ce que leurs enfants et petits-enfants s’en sortent moins bien qu’eux. Cette impression de fin du « rêve américain » trouble profondément citoyens et dirigeants politiques.

Un autre replay, qui a surpris la majeure partie du monde, réside dans la terrible guerre livrée sur le sol européen. Le désastreux retrait américain d’Afghanistan en 2021 a fragilisé la dissuasion. Le président russe Vladimir Poutine avait pourtant clairement exprimé ses ambitions concernant l’Ukraine, en qualifiant en 2005 de plus grande tragédie du XXe siècle l’effondrement de l’URSS – devant la Seconde Guerre mondiale semble-t-il, durant laquelle 20 millions de Russes ont perdu la vie – puis en annexant une partie de la Géorgie en 2008, et enfin la Crimée en 2014.

Troisièmement, malgré les récentes décennies d’intégration économique planétaire, le monde semble au bord d’une nouvelle guerre froide. L’affirmation croissante de la Chine sur le plan économique, diplomatique et militaire, accompagnée d’un approfondissement de ses liens avec la Russie, suscite la crainte d’un réalignement des relations internationales, voire d’un nouveau choc des systèmes politico-économiques.

La guerre froide du XXe siècle voyait s’opposer régimes totalitaires à l’économie planifiée contre démocraties au capitalisme mixte, conduites par une Amérique économiquement et militairement dominante. C’est désormais capitalisme d’État autocratique versus démocraties sociales, et la détermination ainsi que les capacités des États-Unis ne sont plus aussi certaines.

Le conflit Chine Etats-Unis en ligne de mire

Élément particulièrement inquiétant, les acteurs non alignés placent leurs paris – pendant que les États-Unis semblent endormis au volant. Le rapprochement négocié par la Chine entre l’Arabie saoudite et l’Iran – soutien du terrorisme et fournisseur de drones militaires de pointe à la Russie – revêt une importance particulière. Marque-t-il un retour à la traditionnelle géopolitique de l’équilibre des puissances, ou le prélude d’un conflit entre les États-Unis et la Chine autour de Taïwan ?

Enfin, les avancées technologiques viennent perturber les économies, et bouleverser les attentes concernant l’avenir. Bien avant qu’il existe un terme pour décrire le phénomène – la destruction créatrice schumpetérienne – les technologies transformaient déjà les économies, et conduisaient au déplacement des travailleurs. Les économies sont toutefois généralement parvenues à s’adapter : les ordinateurs, par exemple, n’ont pas abouti à un chômage structurel massif, la main-d’œuvre ayant été redéployée vers d’autres emplois. En tout état de cause, le niveau de vie s’est élevé.

Cela sera-t-il le cas avec l’intelligence artificielle ? Les membres d’un groupe de leaders technologiques, parmi lesquels Elon Musk, n’en sont pas certains. Dans une récente lettre ouverte, ils appellent à une pause de six mois (voire plus) dans le développement de l’IA avancée, le temps de mieux comprendre les risques soulevés par la technologie, et d’élaborer les moyens de les atténuer. Musk va jusqu’à évoquer un possible risque de destruction de la civilisation humaine, et affirme que Larry Page, cofondateur de Google, l’a qualifié de « spéciste » pour son intention de préserver l’humanité face à l’IA.

Enfin, l’IA est un outil, qui peut être utilisé pour le meilleur – notamment pour le développement de nouveaux médicaments et dispositifs de diagnostic – mais également pour le pire, par exemple en appui de la répression en Chine. Je reste raisonnablement optimiste quant à notre capacité à surmonter – ou à gérer suffisamment – ce défi, ainsi que les autres problématiques ici évoquées. Compte tenu néanmoins de la prolifération des armes nucléaires, le prix de l’échec pourrait conduire au replay le plus déplaisant de tous.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

Michael J. Boskin, professeur d'économie à l'Université de Stanford, et membre principal de la Hoover Institution, a été président du Comité des conseillers économiques de George H. W. Bush de 1989 à 1993.

©: Project Syndicate, 2023.

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