Air France : la réforme ou la vie

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Par Franck Barbier Publié le 28 octobre 2015 à 20h53
Air France Crise Compagnie Aerienne
17,58 %L'Etat est actionnaire d'Air France-KLM à hauteur de 17,58 %.

Impossible de passer à côté de la crise que connaît le groupe Air France KLM. La compagnie aérienne rencontre en effet depuis des années d'importantes difficultés économiques, liées à la concurrence du low-cost sur les vols court et moyen-courriers, mais aussi des transporteurs américains et du Golfe sur les long-courriers.

Victime d'une gestion très critiquable et d'un manque caractérisé de vision durant les années 2000, le groupe change de braquet sous la présidence de Juniac, enchainant les plans de restructuration pour tenter de faire face. Au grand dam des partenaires sociaux, qui ne manquent pas de faire savoir leur mécontentement. Si ce dernier a été largement audible dans la presse ces dernières semaines, sur le fond, les réformes entreprises apparaissent pourtant inévitables.

Péril en la demeure

Le groupe Air France KLM est toujours l'un des leaders dans son domaine (généralement classé cinquième mondial), notamment en nombre de passagers, grâce au plus grand réseau intercontinental au départ de l'Europe. Il fait cependant face à une crise structurelle majeure. Sa principale défaillance : la structure de coûts du groupe est sensiblement plus élevée que celle de ses concurrents (les coûts pilotes et hôtesses/stewards à l'heure de vol sont 20% à 30% plus élevés que la moyenne du secteur). Air France dépense au moins deux fois plus pour un siège/passager au kilomètre que les compagnies low-cost. Des « largesses » qui ne pardonnent pas, le transport aérien ayant depuis longtemps cessé d'être un secteur de luxe.

Si, pendant longtemps, le système économique permettait au plus gros de manger le plus petit, aujourd'hui l'agile mange l'inerte. De fait, si la gestion de l'ancien PDG du groupe, Jean-Cyril Spinetta, a permis la privatisation partielle d'Air France en 1999, puis en 2004 le rapprochement avec la société néerlandaise KLM, elle a aussi été caractérisée par deux erreurs fondamentales : le rejet du low-cost et le maintient de conditions de travail obsolètes. Un immobilisme qui n'a pas permis au groupe d'anticiper les changements et de s'adapter au nouveau paysage concurrentiel.

En continuant à piloter le nouveau groupe privé comme une compagnie publique, M Spinetta n'a pas su prendre la mesure des changements qu'il avait initiés. Aussi, le 5e groupe mondial en termes de chiffre d'affaires est désormais classé 70e sur le plan du résultat net. Les capitaux propres d'Air France sont négatifs et doivent être restaurés dans un délai de deux ans.

Pris entre le marteau du low-cost et l'enclume du long-courrier subventionné, le groupe a plus que jamais besoin d'être rentable, faute de quoi il se verra contraint d'abandonner de larges parts de marché et de devenir un acteur secondaire du transport aérien.

La réforme ou la vie ?

Fin 2011, Alexandre de Juniac devient directeur général d'Air France (avant d'être nommé président-directeur général d'Air France-KLM en 2013). Le groupe est alors au bord de la faillite. De Juniac lance un large plan de modernisation : « Transform 2015 ». Ce dernier offre des gains de productivité significatifs (moyennant une augmentation du nombre de jours travaillés, un gel des salaires, des plans de départs volontaires et une meilleure organisation du travail), une amélioration des résultats qui permet un retour à la profitabilité en 2015 d'Air France après 7 années de pertes, une réduction de la dette d'Air France KLM qui est passée de 6,5 milliards d'euros en 2011 à 4,4 milliards d'euros fin 2015.

Seulement, le retard considérable que le groupe a accumulé n'a pas pu être totalement comblé, et pour le remettre à flot, une nouvelle vague de réformes est prévue : le plan de restructuration "Perform 2020". La direction lance des pistes pour un dialogue autour de ce plan qui vise à dégager un résultat d'exploitation d'au moins 700 millions d'euros d'ici 2017. Un accord intermédiaire est trouvé chez KLM avec les personnels navigants commerciaux (PNC) et le personnel au sol. Un accord triennal est conclu avec les pilotes hollandais. Les discussions sont également engagées chez Air France, mais la réponse syndicale est loin d'être positive. "Transform 2015" s'était déjà traduit par un gel des salaires et des promotions, l'augmentation du temps de travail des navigants et surtout la suppression de plus de 5000 emplois depuis 2012. Ce nouveau plan social est mal accueilli.

Peu populaire, « Perform 2020 » n'en apparaît pas moins indispensable. En cas d'échec, la réduction du réseau et la restructuration sont inévitables - ce qui entraînera des fermetures de postes quoi qu'il en soit. Sans cette cure d'austérité, impossible de financer les investissements qui maintiennent le groupe dans le peloton de tête, et AFKLM sera contraint de renoncer à ses projets de croissance et devra procéder à la fermeture des lignes déficitaires. Un scénario qui conduirait à la décroissance, seule alternative assurant dès lors la survie du groupe, bien loin des discours des militants d'extrême gauche qui présentent un groupe qui se porte bien.

Aussi, si la lutte des syndicats contre ce nouveau plan aboutit, elle entraînera à terme des pertes sociales bien plus importantes que celles proposées par la direction. S'il semble nécessaire de conserver le cadre de travail le plus serein possible, la situation actuelle du groupe ne permet tout simplement pas de maintenir le statu quo. Aujourd'hui, sur le moyen-courrier, les 34 compagnies de l'association APDC produisent en moyenne 20 % d'heures de vol de plus qu'Air France avec une rémunération pilote supérieure de seulement 3 %. Sur le long-courrier, ces mêmes compagnies produisent 1 % d'heures de vol de plus avec une rémunération Pilote inférieure de 13 %. Des désavantages concurrentiels qui asphyxient le groupe.

L'Etat en partie responsable

Le gouvernement français, détenteur à hauteur de 17,58 % du capital de la compagnie, doit également prendre ses responsabilités, en favorisant la mise en place de conditions d'exercice plus favorables. Sorte de "vache à lait", l'aéroportuaire devait jusqu'à présent assumer un ensemble de contraintes lourdes : les taxes aéroportuaires de CDG et d'Amsterdam sont parmi les plus élevées du monde, les charges sociales y sont supérieures à la moyenne européenne - sans parler du reste du monde - les redevances de navigation aérienne sont plus élevées en Europe que sur les autres continents, la taxe Chirac, servant à financer la recherche sur le SIDA, ne favorise pas non plus la compétitivité d'AFKLM. Autant de « boulets » aux pieds qui entravent le décollage de la compagnie – il n'y a de bonnes taxes que celles qui sont partagées par tous.

L'Etat se distingue également par une autre inconséquence, en réservant des créneaux substantiels à des compagnies étrangères (le Golfe en tête) dans les aéroports nationaux, alors que les pays d'origine de ces compagnies n'en ouvrent pas à AFKLM dans d'égales proportions en retour. Ou comment se tirer une balle dans le pied en encourageant la concurrence.

On le voit, les conditions d'un retour à la santé financière d'AFKLM sont nombreuses. Cette renaissance, après le chaos de ces dernières années, passera avant tout par un enrichissement du dialogue entre la direction, les représentants sociaux et l'Etat. Il faudra, dans un premier temps, que tous s'entendent sur la façon dont le groupe peut s'y prendre pour redresser la barre en perdant le moins de plumes possibles, avant que ne soient envisagées, dans un second temps, les stratégies lui permettant de gagner de nouvelles parts de marché et, espérons-le, de créer de l'emploi.

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Consultant en économie indépendant, Franck Barbier contribue à l'élaboration et à la mise en oeuvre de la doctrine économique de ses clients. Spécialiste de la concurrence, il développe des modèles micro-économiques adaptés aux enjeux concurrentiels des entreprises du secteur des transports, en y réservant une place centrale aux problématiques numériques et de développement durable.

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