Condamnation d’Amazon : les obligations administratives en cause

Cropped Favicon Economi Matin.jpg
Par Nicolas Lecaussin Publié le 29 avril 2020 à 10h43
Amazon Coronavirus Livraison
20%Amazon détient 20% des parts de marché du commerce en ligne en France.

Mardi 14 avril, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nanterre a imposé à la société Amazon de restreindre son activité aux seules commandes de produits alimentaires et médicaux, du 16 au 20 avril inclus. Le tribunal avait été saisi par le syndicat « Solidaires », qui réclamait la fermeture des entrepôts d’Amazon au motif de l’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes. Il n’a cependant pas obtenu totalement gain de cause, ce qui peut rassurer les autres entreprises françaises de plus de 100 salariés. La société n’a pas été sanctionnée pour manque de mesures suffisantes de protection contre le virus, mais pour n’avoir pas mis à jour un document administratif évaluant les risques.

Sommaire
- Pas de preuve valable sans document administratif
- Qu’est-ce que le DUER ?
- Répertorier tous les risques, même les plus évidents
- Le grand méchant Amazon… sauf pour ses salariés et même pour… l’Etat !

Pas de preuve valable sans document administratif

Il s’agit en l’occurrence du DUER, ou Document unique d’évaluations des risques professionnels, qui répertorie les risques possibles pour chaque poste au sein de l’entreprise.
Il doit être actualisé à chaque apparition d’un risque nouveau, ce qui n’a pas été fait à temps pour l’épidémie de coronavirus. Amazon ne pourra donc livrer que des produits de première nécessité tant que ce document ne sera pas conforme. Et cela, bien que la société ait apporté des preuves concrètes de mesures de sécurité mises en place pour ses employés afin d’éviter tout risque de transmission. Pendant ce temps, les sites européens, dont Amazon.de, continuent de livrer aux Français qui auront passé des commandes...

Qu’est-ce que le DUER ?

Le DUER est une obligation légale pour l’employeur. La loi, par les articles L 4121-1 et R 4121-1 du Code du travail, impose l’évaluation des risques qui existent dans l’entreprise en matière de santé et de sécurité des salariés. Ce document doit comporter un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail, qui sert de base au plan de prévention qui en découle nécessairement : actions concrètes pour protéger les salariés des risques professionnels, actions d’information et de formation, mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

Le DUER doit être mis à jour tous les ans, ou lors de l’apparition de nouveaux risques, telle l’épidémie actuelle. L’employeur y indique également la manière dont il s’emploie à lutter contre ces risques.

Il n’y a aucun document « type », ce n’est pas un formulaire de type cerfa. Il s’agit d’un support unique, document papier ou fiche numérique. Chaque entreprise, dès le premier salarié, doit avoir son DUER.

Répertorier tous les risques, même les plus évidents

L’entreprise doit répertorier tous les risques, même les plus basiques, même les plus évidents, et les détailler noir sur blanc.
Prenons un exemple dans le secteur de l’aide à domicile. La liste comprend les déplacements en voiture, car il y a des risques en cas de pluie et de chaussée glissante, ou en fin de journée lorsque le conducteur est fatigué, donc moins vigilant. Elle passe en revue tous les risques domestiques : chute dans la salle de bains quand le sol est mouillé, chute d’un escabeau, brûlures lors du repassage, coupure en maniant un couteau...

On imagine le nombre de réunions et de formations nécessaires, les services des ressources humaines mobilisés, les heures passées à rédiger des fiches techniques, tout cela pour bien préciser que l’on peut glisser sur un carrelage mouillé ou s’entailler un peu le doigt en coupant un concombre en rondelles, et indiquer la manière d’y remédier...

C’est ce genre de document administratif qui encombre nos entreprises. Mais il faut cependant le remplir, très soigneusement qui plus est, sous peine de recevoir la visite d’un inspecteur du travail ou même de se voir assigner devant un tribunal en cas de plainte, pour le moindre risque non mentionné.

Le grand méchant Amazon… sauf pour ses salariés et même pour… l’Etat !

Amazon s’apprêtait à embaucher des centaines de personnes pour continuer les livraisons tout en respectant les consignes de sécurité, comme le reconnaît le jugement ! Dans ses entrepôts, tout était en place pour assurer la sécurité des employés. Mais un oubli de mise à jour des risques liés au Covid-19 sur un document administratif a entraîné une décision de justice révélant l’idéologie de nos juges envers nos entreprises.

Le syndicat « Solidaires » ainsi que tous ceux qui le suivent, sont peut-être ravis. Ils aimeraient sûrement aller plus loin en demandant la fermeture du plus grand nombre possible d’entreprises. Mais les salariés, eux, ne sont pas du même avis, il s’en faut de beaucoup.

Certains salariés ne comprennent pas, ils ne voient aucune raison pour qu’Amazon soit condamnée alors qu’elle a mis en place énormément de mesures de précaution. « Moi, je ne me suis jamais senti en danger sur le site », déclare l’un d’eux. Qui dit aussi n’avoir jamais été sollicité ni informé par les syndicats prétendument représentatifs.

Beaucoup, notamment du site de Saran, s’opposent à la fermeture des entrepôts. Une pétition a d’ailleurs été lancée, comptant au 24 avril plus de 16 000 signatures. Il y est écrit que les salariés des divers sites français ont « tous été choqués car, à aucun moment, nous, salariés, n’avons été sollicités par nos syndicats. Aujourd’hui nous voulons montrer notre désaccord, cette injustice qui pèse sur nos clients et nos emplois. ».

L’ironie de la situation est que notre Etat, si prompt à dénoncer les vilains GAFA, a bien besoin d’eux pour remplacer sa logistique défaillante. Ces grands méchants exploiteurs d’Amazon sont tout de même utiles. En période de crise, ils livrent pour le ministère de la Santé français des millions de masques. En témoigne ce tweet de mercredi 22 avril dernier.

Qu’en disent les syndicats ? Il y a fort à parier qu’ils ne changeront pas de ligne. Qu’ils se rassurent : quand la société Amazon aura automatisé son fonctionnement, quand elle aura délocalisé ses entrepôts, quand elle livrera la France depuis la Belgique ou l’Espagne, elle ne pourra plus « exploiter » ses salariés français : elle n’en aura plus. Les consommateurs français, eux, achèteront sur Amazon.de et feront vivre des milliers de salariés en dehors de nos frontières.

Sources :
https://www.entreprises.cci-paris-i ...
https://www.lesechos.fr/economie-fr ...
https://www.lemonde.fr/economie/art ...
https://www.ameli.fr/entreprise/vot ...

Cropped Favicon Economi Matin.jpg

Directeur de l’IREF, Nicolas Lecaussin est diplômé de Sciences-po Paris, ancien président de l’iFRAP (Institut Français de Recherche sur les Administrations Publiques), fondateur de l’association Entrepreneur Junior et auteur de plusieurs ouvrages sur le capitalisme, l’Etat et les politiques publiques.

Suivez-nous sur Google News Economie Matin - Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités.

Aucun commentaire à «Condamnation d’Amazon : les obligations administratives en cause»

Laisser un commentaire

* Champs requis