Que retenir de l’audition du professeur Raoult par la commission d’enquête parlementaire

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Par Fabrice Di Vizio Modifié le 30 juin 2020 à 12h00
Didier Raoult Audition

L’audition du professeur Raoult par la commission d’enquête parlementaire aura été marquée par le style très particulier du personnage, et, osons le dire, pour celui qui suit assidument les travaux de cette institution, par une bouffée d’air frais quant à la teneur des réponses.

Loin de l’auteur de ces lignes l’idée de tenter un jugement sur le fond des propos du Professeur Raoult, la twittosphère s’en étant déjà chargée avec véhémence d’un côté comme de l’autre. Cependant, la force est au droit, et plusieurs points doivent attirer l’attention du juriste quant à quelques passages clefs de cette audition, proposant ici d’en relever un spécifiquement et qui a été d’ailleurs dominant : celui relatif à la présence d’un conflit d’intérêt énorme entre l’industrie pharmaceutique et les membres du conseil scientifique, ce qui aurait conduit ces derniers à privilégier le Remdesivir par rapport à l’hydroxychloroquine.

En effet le laboratoire Gilead commercialise le remdésivir, antiviral concurrent de l’hydroxychloroquine, de sorte que selon le professeur Raoult, les membres des instances sanitaires (HCSP et conseil scientifique affecté à la lutte contre la covid-19), défrayés, indemnisés, voire rémunérés par le laboratoire auraient opéré un « renvoi d’ascenseur » et favorisé la molécule de leur mécène, enterrant le concurrent pourtant bien moins cher.

Que penser de cette affirmation et surtout, qu’en dit le droit ?

La transparence est l’une de vertus les plus estimables dans les sociétés démocratiques, et a fortiori quand il est question de santé. Néanmoins un tel impératif de transparence ne doit pas conduire à une vision simpliste et manichéenne du problème évoqué par le professeur Raoult.

En tout premier lieu, on rappellera une réalité tout à fait objective : le lien d’intérêt n’est pas, en tant que tel, sanctionnable en droit français.

En effet, les médecins siégeant dans une instance nationale doivent déposer une déclaration d’intérêt qui mentionne « les liens d'intérêts de toute nature, directs ou par personne interposée » qu’ils peuvent avoir avec des organismes qu’ils sont chargés de superviser ou qu’ils peuvent avoir à connaître dans le cadre de leur mission. Par conséquent, le fait de tout simplement avoir des liens avec un laboratoire pharmaceutique n’est pas susceptible de faire l’objet d’une sanction sous l’égide du droit tel qu’il est construit.

Du point de vue des médecins, seules deux attitudes sont susceptibles d’être sanctionnées :

- D’une part, le fait de ne pas établir la déclaration d’intérêt obligatoire ou de ne pas mentionner un lien d’intérêt dans la déclaration d’intérêt ;

- D’autre part, le fait de prendre part aux travaux, aux délibérations ou aux votes des instances alors qu’elles ont un intérêt, direct ou indirect, à l'affaire examinée.

Mention est faite toutefois de l’article L4113-6 du Code de la santé publique selon lequel :

« est interdit le fait, pour les étudiants se destinant aux professions relevant de la quatrième partie du présent code et pour les membres des professions médicales mentionnées au présent livre, ainsi que les associations les représentant, de recevoir des avantages en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d'une façon directe ou indirecte, procurés par des entreprises assurant des prestations, produisant ou commercialisant des produits pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale. Est également interdit le fait, pour ces entreprises, de proposer ou de procurer ces avantages ».

Une exception est toutefois prévue par l’alinéa 2 selon lequel :

« l'alinéa précédent ne s'applique pas aux avantages prévus par conventions passées entre les membres de ces professions médicales et des entreprises, dès lors que ces conventions ont pour objet explicite et but réel des activités de recherche ou d'évaluation scientifique ».

Techniquement ce qui serait puni dans l’affaire de l’hydroxychloroquine serait principalement le fait de ne pas avoir déclaré d’éventuels liens d’intérêt ou d’avoir eu un comportement relevant de la prise illégale d’intérêt, celui-ci se définissant comme suit :

« Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 500.000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l'infraction. »

Pour entrer dans le champ du délit, l’agent doit s’être rendu responsable d’une prise d’intérêt, c’est-à-dire qu’il ait usé de ses pouvoirs pour recevoir un intérêt du fait de l’acte incriminé, puis de la réception d’un intérêt, c’est-à-dire qu’il ait reçu un avantage du fait de l’acte incriminé.

La Doctrine juridique considère qu’il y a prise et/ou réception d’un intérêt dès lors que l’auteur de l’infraction a eu un « comportement inconciliable avec l’exercice objectif de sa mission, en s’impliquant personnellement, d’une manière ou d’une autre, dans l’affaire soumise à son pouvoir » (CONTE, Le délit d’ingérence Gaz. Pal. 1992. Doctr. 70, spéc. P. 72). Par conséquent, l’agent doit bénéficier de son intervention, faute de quoi il n’a pris ni n’a reçu d’intérêt.

Or, s’agissant du remdésivir, le nœud du problème est là : il apparait difficile de soutenir qu’une instance aurait cherché à le favoriser au détriment de la chloroquine (au sens juridique du terme en tout cas) et encore moins le conseil scientifique, lequel n’a jamais été, à notre connaissance, appelé à donner d’avis sur les traitements, cet éclairage relevant de la mission du HCSP, lequel, en effet, a dû se prononcer sur les thérapeutiques.

En effet, le Conseil scientifique mis en place spécifiquement pour lutter contre l’épidémie de covid-19 n’a jamais rendu, sur les 18 avis et notes publiquement disponibles, le moindre avis recommandant ou conseillant l’usage du remdésivir, ne serait-ce que parce que tel n’était pas son rôle.

S’agissant du HCSP, il a rendu, le 5 mars 2020, un avis dans lequel il indique :

« A ce jour dans l’attente de résultats d’essais cliniques dans le Covid-19, permettant de valider une option thérapeutique spécifique, le traitement spécifique à privilégier selon une approche compassionnelle (encadrée par l’article L31-31-1 du code de la santé publique) est le remdésivir.

[…]

Au-delà de son activité, son efficacité reste à démontrer dans le Covid-19 et plusieurs essais cliniques sont en cours au niveau international ».

On le voit, le HCSP se prononce avec beaucoup de circonspection.

En effet, en premier lieu, ce médicament n’est recommandé que dans le cadre d’un usage compassionnel. Par conséquent, le HCSP considère que le remdesivir n’a pas d’effet thérapeutique et donc ne peut être utilisé que pour « rassurer les patients ». Par ailleurs, cet usage compassionnel n’est recommandé que dans l’attente des résultats des essais cliniques.

En second lieu, ce même avis énonce :

« D’autres candidats potentiels font l’objet d’études cliniques pour la maladie à Covid-19, notamment la chloroquine et l’association lopinavir/ritonavir. Cependant, dans la mesure où le rationnel pharmacodynamique est plus limité, il n’est pas possible d’élaborer d’avis formalisé dans l’attente de résultats des études cliniques ».

Bien loin d’enfoncer la chloroquine, il la reconnaît comme une alternative possible au remdésivir, au même titre que l’association lopinavir/ritonavir, mais considère que l’absence de données doit conduire à privilégier le premier sur les deux autres.

On peut, certes, le regretter, estimant qu’il y avait aussi peu d’informations relatives au remdesivir qu’aux deux autres traitements envisagés. Mais de là à considérer qu’il y a eu une prise d’intérêt, la position est fragile.

Elle l’est d’autant plus que, dans un avis du 23 mars 2020 complétant l’avis du 5 mars précité, le HCSP est justement revenu sur sa position, ne recommandant plus le remdésivir que dans les cas de pneumonie avec insuffisance respiratoire aigüe ou avec défaillance d’organes non-multiviscérale.

Dans les cas de pneumonie oxygéno-requérante, et en cas de de pneumonie avec insuffisance respiratoire aigüe ou avec défaillance d’organes, il recommande le lopinavir/rotonavir ou à défaut, l’hydroxychloroquine.

Là encore on est loin d’une tentative d’enterrer la chloroquine et ses dérivés.

Vient enfin l’avis du 15 mai 2020. Cet avis est intervenu à la demande de la Direction générale de la santé à laquelle la société Gilead (on ne sait pas bien dans quel cadre d’ailleurs) avait fourni un certain nombre de données confidentielles. Des passages entiers de cet avis sont caviardés pour préserver le secret.

Le HCSP tenait là le prétexte parfait pour pousser le remdésivir ! Des données non diffusées au public et susceptibles de démontrer l’efficacité de ce traitement, que demander de plus ?

Las ! Dans cet avis, l’instance écrit :

« Le HCSP :

- Considère, après analyse et prise en compte des données de la littérature et des données confidentielles communiquées par la firme Gilead sur l’efficacité et la tolérance du remdésivir pour le traitement des patients atteints de Covid-19, que ces données sont insuffisantes pour juger de l’efficacité du remdésivir et donc estimer un rapport bénéfice/risque, en fonction des sous-groupes de patients.

En particulier, les données fournies ne comportent pas les caractéristiques des patients inclus dans l’étude NIAID-ACTT (en termes de données démographiques, cliniques dont les comorbidités et la gradation de la sévérité de l’atteinte respiratoire), et ne fournissent pas les résultats de l’analyse stratifiée d’efficacité et de tolérance en fonction de ces caractéristiques, en particulier les critères de sévérité et les critères de transfert en réanimation ».

Patatras, le HCSP, au vu des données cliniques, même secrètes, ne recommande pas le remdesivir.

Certes, on peut s’étonner que la délivrance d’hydroxychloroquine ait été interdite sauf si elle est prescrite par certains spécialistes, alors que le remdesivir, pour lequel l’absence de preuve est aussi patente que pour l’hydroxychloroquine, n’a pas fait l’objet d’une interdiction de délivrance. Mais sur le plan juridique, aucune infraction ne peut, a priori en tout cas, être reprochée aux membres du HCSP sur ce sujet.

Bien sûr, reste l’option de prouver que les déclarations d’intérêt déposées par ses membres sont incomplètes, ou de soulever la prise illégale d’intérêt sur un autre point, mais sur le remdesivir, il semble difficile de leur reprocher quoi que ce soit, au moins sur le plan juridique.

La question des relations entre l’industrie pharmaceutique et la recherche de thérapeutiques d’un côté, et de bonnes pratiques médicales de l’autre, est un débat complexe, et souligner que les laboratoires influencent le comportement des médecins est une évidence.

Dans un article intitulé « L’industrie pharmaceutique » et paru dans « Regards croisés sur l’économie » en 2009, Marion Navarro pouvait écrire :

« L’industrie pharmaceutique occupe une place centrale dans le dispositif d’information des médecins. Elle y consacre en France 3 milliards d’euros, dont les trois quarts sous la forme de la visite médicale [IGAS, 2007]. Certes, cette information permet de diffuser de meilleures pratiques dans le corps médical. Mais l’information fournie est biaisée (survalorisation des nouveaux produits, dévalorisation des produits anciens, notamment ceux pour lesquels il existe un générique). De nombreuses études ont comparé les comportements de prescription des médecins ayant rencontré ou non un « visiteur médical », ayant été invité ou non par les laboratoires pharmaceutiques à des congrès de formation : leurs comportements de prescription sont, en moyenne, très différents ».

Et plus encore, un article paru dans Les Echos en décembre 2019, insistait sur un point qu’il ne faudrait pas négliger :

« Dire qu'en 2011, la Haute Autorité de santé n'avait eu à évaluer qu'un seul nouveau médicament. Mais les années de la décennie passant, les vagues d'innovations ont régulièrement déferlé sur l'industrie pharmaceutique. Aux Etats-Unis, un nombre record de 60 nouveaux produits a été autorisé en 2018. On peut désormais guérir l'hépatite C, la vie des malades atteints de certains cancers à un stade avancé a été prolongée, certains patients atteints de maladies auto-immunes ont retrouvé une vie normale, des maladies rares ont maintenant des traitements. Derrière ces progrès, il y a des médicaments. Et des industriels qui les imaginent, les développent, les produisent et les vendent ».

Bien évidemment, ce tableau est à nuancer en ce que les laboratoires pharmaceutiques ont une puissance telle qu’ils influent nécessairement par un habile jeu de lobbying sur les politiques publiques du médicament, et les scandales sanitaires à répétition qu’a connu la France sont précisément de cet ordre, le dernier en date étant celui du médiator.

Les propos du Professeur Raout méritent toute notre considération citoyenne en ce que la transparence est une nécessité démocratique.

De l’extérieur, le plus surprenant sans doute est le déchaînement de violence contre une molécule dont il est difficile raisonnablement de soutenir qu’elle aurait entrainé des décès à répétition, insistant ainsi sur son danger. Cette position n’est objectivement pas tenable, et on ne peut qu’être interpellé par le fait qu’il se trouve des médecins, et non des moindres, pour insister sur ce point que nul ne peut ignorer comme étant faux.

Raisonne encore la bienveillance dont a fait preuve le remdisivir non tant par les autorités sanitaires françaises pour l’heure, que par les instances européennes, alors qu’il est relativement clair que les études à son sujet ne sont guère légion et ne semblent pas aller dans le sens d’une évidence pourtant réclamée (à raison) par les opposants à la chloroquine.

On ne peut qu’être surpris, en tant qu’observateur, de ce que personne ne s’offusque de ce qu’un traitement soit ainsi préconisé alors que rien ne permet de garantir son efficacité, tandis que ses effets secondaires sont pour le moins sérieux.

C’est en cela que l’intervention du Professeur Raoult aura été d’une importance majeure, en ce qu’il aura permis, plus que nul autre, de poser, à sa façon, de légitimes questions, auxquelles il semble que la commission d’enquête parlementaire, imperturbable, n’ait guère envie d’apporter réponses.

Pour ce qui nous concerne, nous les prenons particulièrement au sérieux. Et s’il devait s’avérer exact que la chloroquine n’a sans doute pas mérité toute l’attention qu’elle aurait dû, en raison de conflits d’intérêts plus ou moins larvés, nous serions face à un scandale sans nom et sans précédent.

C’est à ce titre que nous avons déjà saisi la Cour de Justice de la République à partir des propos du professeur Pérronne, partagés non seulement par le Professeur Raoult mais par bien d’autres encore.

C’est à ce titre que nous saisissons le parquet de Paris pour que puisse être examiné cette question épineuse et sensible des motivations d’une interdiction générale et absolue de la prescription d’une molécule qui ne méritait pas tant de haine, ici précisé que dans le monde, si certains États ont certes déconseillé son utilisation dans le cadre du Covid, la France est probablement la seule à en avoir interdit la délivrance de façon absolue, hors de son cadre habituel d’utilisation, annihilant pour la première fois de l’histoire médicale la liberté de prescription des médecins.

Ce point interroge, car encore une fois, rien ne justifie que l’on passe d’une liberté absolue (jusqu’en janvier la molécule était en vente libre) à l’interdiction absolue, le tout justifié par des considérations de dangerosité objectivement absentes.

La question du lien d’intérêt est une piste de réponse, la peur du scandale sanitaire, à l’heure même où l’affaire du médiator est encore dans tous les esprits ou plus simplement l’indisponibilité du produit en sont d’autres.

C’est au juge qu’il appartiendra d’enquêter puisque concrètement, la commission d’enquête parlementaire semble plus occupée à donner l’impression d’agir qu’à agir réellement.

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Fabrice Di Vizio est avocat spécialiste des professionnels de santé, plus particulièrement des médecins libéraux. Il a défendu les médecins dans des procès concernant leurs droits à la publicité ou encore dans des affaires médiatisées comme Subutex ou Médiator. Le site de son cabinet : http://www.cabinetdivizio.com/.

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