Doit-on avoir peur du « zéro énergie fossile » ?

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Par Louis Schaffer Modifié le 29 novembre 2022 à 9h14
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43,4%La part de l'énergie éolienne a battu un record en 2017, représentant 43,4 % de la consommation totale d'électricité du Danemark.

Les nouvelles technologies en matière d’énergie ont connu un essor fulgurant au cours de cette dernière décennie, ouvrant progressivement la voie à un monde fonctionnant sans énergie fossile. La baisse rapide du coût de ces nouvelles méthodes de production et d'utilisation de l'énergie vient également renforcer la conviction que nous sommes désormais capables de créer un système plus durable et un meilleur avenir pour nous tous.

Bien que les énergies renouvelables présentent d'énormes avantages, leur exploitation soulève tout de même certaines interrogations. Par exemple, le solaire et l’éolien dépendent des conditions météorologiques, amenant certains à douter de notre capacité à nous libérer définitivement du charbon, du pétrole et du gaz naturel comme sources d’énergie. Par ailleurs, la croissance rapide de la mobilité électrique implique un besoin de recharger les batteries des véhicules, donc une demande énergétique bien plus grande qui en fait douter plus d’un quant à la capacité d’adaptation de notre réseau actuel.

Chi va piano, va sano

Il ne faut pas oublier que toute transition de cette ampleur prend du temps : les réseaux, aussi bien que leurs utilisateurs, ont besoin de s’adapter. Il convient tout d’abord de rappeler les progrès déjà réalisés en matière d’énergie. Le charbon était par exemple la principale source d'énergie au Royaume-Uni il y a seulement six ans. Aujourd'hui, il ne représente plus qu'un faible pourcentage de la production et disparaîtra bientôt totalement du mix énergétique britannique. Il y a quelques années, on pensait que l'éolien et le solaire ne pourraient pas exister sans subvention, mais grâce à la baisse constante des prix, ils sont aujourd'hui bien moins chers que les sources d’énergie traditionnelles sur de nombreux marchés. Au fur et à mesure que la mobilité électrique augmente, les prix du stockage en batterie également chutent de façon exponentielle, une tendance qui se poursuivra à mesure que des progrès technologiques et des économies d’échelle seront réalisés.

Les énergies renouvelables se sont développées à un rythme que nous n'aurions pas pu imaginer il y a deux ou trois décennies. Dans tous les pays du monde, les frais nécessaires à leur production et à leur intégration croissante ont connu une baisse significative, nous avons de beaux exemples en Europe ! Par exemple, la part de l’énergie éolienne a battu un record en 2017, représentant 43,4 % de la consommation totale d'électricité du Danemark. L'énergie éolienne suffit souvent à alimenter tout le Danemark, et il ne s'agit pas d'un cas isolé. Le Portugal a connu des périodes de plusieurs jours au cours desquelles toute son énergie était renouvelable, avec en prime un excédent de production qui a pu être exporté. L'Écosse a produit une quantité record d'énergie renouvelable : plus des deux tiers de son électricité en 2017, soit 26 % de plus qu'en 2016.

Le moteur de cette croissance est la baisse constante du coût des énergies renouvelables. L'énergie produite par les installations éoliennes et solaires est déjà moins chère que les énergies traditionnelles dans la plupart des pays européens. Par ailleurs, la construction d'installations éoliennes et solaires devrait revenir moins cher que celle de centrales pétrochimiques dans un futur proche.

Toutefois, l’intégration de ces énergies va nécessiter beaucoup plus de flexibilité du réseau pour fournir le niveau de fiabilité requis. Cela inclut le développement des interconnexions électriques, un contrôle accru de la façon dont l’énergie est consommée, et enfin la question centrale du stockage fiable et efficace de l’énergie.

Aujourd'hui encore, le stockage en batterie est considéré comme la prochaine technologie qui va révolutionner le secteur électrique. Le prix des batteries au lithium-ion destinées aux automobiles et le prix du stockage ont chuté de 90% en seulement 10 ans. Les progrès technologiques permettent de stocker l'énergie au moment où elle est la plus accessible - par exemple l'énergie solaire à midi - et d'utiliser cette dernière en heure de pointe, au moment où elle serait plus chère à produire autrement. Le stockage d’énergie est déjà beaucoup utilisé et fait de plus en plus son entrée dans les résidences, les bâtiments commerciaux, les usines ainsi qu’au niveau du réseau.

Les parties prenantes ont différentes raisons de recourir au stockage d'énergie, toutes ayant comme dénominateur commun l’optimisation de l’offre et de la demande, et l’amélioration de la fiabilité et de l’efficacité du réseau. Le stockage d'énergie devrait également représenter une avancée majeure dans les pays en développement, où 1,4 milliard de personnes n'ont pas accès au réseau. Les autres technologies de stockage, comme les « batteries à flux », le stockage thermique ou encore l'air comprimé, qui offrent une durée de stockage plus importante, sont en constante évolution et de plus en plus accessibles.

L’avenir ne se limite pas à demain

Malgré ces innovations et les progrès réalisés dans le domaine du stockage, la transition énergétique, qui met fin à un fonctionnement unidirectionnel depuis plus de 100 ans, pose toujours de grands défis. La flexibilité croissante exige en partie un changement de perspective sur les marchés de l'énergie. Nous passons d'un monde de producteurs et de consommateurs à un monde de « prosommateurs » où chacun peut endosser les deux rôles au besoin. Par exemple, l’augmentation du nombre de véhicules électriques nécessite à l’avenir des infrastructures, telles que des bornes de recharge publiques dans les stations-service. Quant à ces véhicules, ils stockent également de l'électricité qui peut être réinjectée au réseau sans compromettre la mobilité.

Le grand public et les entreprises ont clairement manifesté leur désir de vivre dans un monde plus durable, ce qui s'est traduit par de nouvelles politiques gouvernementales soutenant la transition énergétique. Les décideurs avisés savent que les changements ne se produisent pas du jour au lendemain, mais qu'il est nécessaire de choisir une orientation claire et de garder le cap dans ce sens. L'UE, la Chine et des pays comme le Chili et l'Afrique du Sud favorisent depuis des années les investissements dans les technologies à faible émission de carbone, et la plupart des autres régions et pays se joignent à cette tendance. Cela, à son tour, continue de stimuler la recherche et le développement technologique qui permettront de réduire les coûts et d'accroître l'efficacité de la production et de l'utilisation de l'énergie.

L’énergie du vent, du soleil et d’autres sources renouvelables est exploitée depuis des millénaires par les humains. Ce n'est que depuis peu que nous utilisons le charbon, le pétrole et le gaz naturel. Nous sommes actuellement au cœur d'une nouvelle transition vers un monde « zéro énergie fossile ». On se préoccupe souvent des obstacles qui jalonnent notre route, mais il ne faut pas oublier que l'avenir ne se limite pas à demain. Nous avons fait beaucoup de chemin, avec une grande rapidité, et le système continue de fonctionner alors que les coûts ont nettement baissé. La peur ne doit pas nous paralyser, soyons confiants quant à l'avenir. Nous pouvons désormais tous envisager un monde où l'énergie est propre, rentable et fiable pour tous.

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Ingénieur Physicien diplômé de l’Université de Berkeley (Californie), Louis Schaffer a travaillé aux Etats-Unis, en Asie et en Europe avant de rejoindre le siège d’Eaton EMEA en Suisse. Au cours d’une carrière de plus de 20 ans, il a occupé des fonctions d’ingénierie, de vente, de service et de marketing. Il est actuellement Directeur du segment Energie Décentralisée chez Eaton EMEA.

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