La BCE ne peut pas tout

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Par Olivier Passet Publié le 7 juin 2014 à 2h34

La BCE a pris les mesures que les marchés attendaient. Mais nos attentes autour de la politique monétaire ne sont-elles pas disproportionnées ? La BCE peut-elle à elle seule contrecarrer l'impact délétère de la rigueur budgétaire et salariale en Europe ? N'y a-t-il pas, au fond, une forme de méthode Coué dans cette attente ? Ce ne serait pas la première fois que l'Europe en désarrois se réconforte en surévaluant les superpouvoirs présumés d'un super-Mario.

Car, attendre tout des banques centrales, c'est croire au fond que l'on peut guérir le mal par le mal. Quel était le cœur de la crise ? Une hyper-liquidité dans un monde qui comprime le revenu des classes moyennes, favorise la rentabilité du capital et la dépense à crédit ; Une hyper-liquidité dans un monde d'inflation zéro, où l'abondance monétaire crée de formidables opportunités de levier sur les placements spéculatifs. Cette désinflation dans le monde des biens, combinée à l'inflation sur les marchés de capitaux a créé un cocktail explosif. Étonnant, alors, de croire que ce qui sauvera le monde est précisément ce qui a entrainé sa perte en 2007.

Or c'est précisément le crédo auquel se raccroche aujourd'hui l'Europe. Ses institutions préconisent la rigueur au niveau des salaires et des dépenses publiques. Sa croissance est exsangue, sa reprise est à la peine et son investissement au point mort. Et elle attend aujourd'hui tout son salut de la BCE. Une folle attente en fait : la BCE, dans un grand marché sans salaire et sans consommation privée ou publique, en injectant de la liquidité bancaire, serait en capacité de sauver la croissance européenne.

Ne nous leurrons pas. C'est une illusion. Non que l'inflexion politique de la BCE ne soit pas positive. Sa nouvelle posture peut très légèrement faire glisser la valeur de l'euro. Sans aucune certitude néanmoins. Car les marchés aiment les paradoxes. Les perspectives de plus-values sur les actifs européens vont booster la demande d'euro, en même temps que son offre est accrue. Alors certes toutes les mesures techniques qui accompagnent la baisse des taux de refinancement ont pour objectif louable de faire en sorte que la liquidité bancaire, aujourd'hui inactive, soit injectée dans l'économie réelle via le crédit. C'est le cas des taux négatifs pratiqués sur les dépôts des banques auprès de la BCE, qui les incite à ne pas s'endormir sur leurs liquidités. C'est le cas aussi des facilités de refinancement à long terme d'une partie des prêts bancaires destinés aux entreprises. C'est le cas enfin de la nouvelle ouverture de la BCE concernant la possibilité qu'elle puisse acheter demain des titres adossés à des actifs d'entreprise.

Mais que signifie de relancer au forceps le crédit dans un environnement sans salaire et sans projet collectif autre que celui d'économiser ? Cela ressemble fort à ce vieil adage : « on peut conduire le cheval à l'abreuvoir, mais non le forcer à boire ». La BCE remplit bien l'abreuvoir. Avec ses nouvelles mesures, elle vient d'armer les banquiers d'une louche pour porter la liquidité à la bouche des entreprises. Mais ces entreprises restent sans perspective de croissance et sans projet de développement. Or les faits sont têtus. Pour la croissance, il faut des salaires, de l'emploi et des dépenses. La BCE ne peut pas tout. Elle peut atténuer les choses, mais elle ne peut pas inverser le cours des choses. Et dans une Europe sans dynamique réelle, la liquidité trouvera comme elle la fait avant crise le chemin des actifs.

En conclusion, ce n'est pas Draghi qui peut réinventer la martingale fordiste de la croissance. Mais bien les États et les entreprises, à travers leur politique salariale. Un point de croissance supplémentaire des salaires allemands auraient bien plus d'effet sur la croissance et l'inflation européenne que tout l'attirail technique d'un Draghi, même bienveillant.

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Directeur des synthèses économiques chez Xerfi, il est en charge du suivi des politiques économiques et des mutations de l'appareil de production. Avant de rejoindre Xerfi, il a été économiste à l'OFCE (1989-2000), chargé de mission puis chef du service économique et financier international du Commissariat Général du Plan (2000-2006), chef du service Économie-Finances du Conseil d'analyse stratégique auprès du Premier Ministre (2006-2011) et conseiller au Conseil d'analyse économique (2011-2012). Il publie régulièrement des analyses approfondies pour Xerfi Synthèse.

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