BeIN Sports, stratégie en plusieurs actes

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Par Adrian Phillips Publié le 31 mars 2014 à 6h33

Pour la diffusion du Top 14, BeIN Sports repassera. La filiale d'Al-Jazira attendait le lancement d'un appel d'offres en bonne et due forme, il n'a pas eu lieu. Canal+ a en effet activé son réseau, jusqu'à obtenir gain de cause : elle diffusera de nouveau le rugby l'an prochain. L'affaire a été tranchée en coulisses. Un revers qui exhorte BeIN Sports à la patience, et ça tombe plutôt bien, la chaîne en a à revendre. Offensive, sa stratégie n'en est pas moins finement ciselée. Méticuleuse.

A peine sortie de l'oeuf, le réseau de télévision à péage, né en 2012, a fait main basse sur bon nombre de droits de diffusion. On savait une partie des droits de la Ligue 1 dans son escarcelle, ou encore de ceux de la Ligue des Champions et de la Ligue Europa pour la période 2012-2015, on savait qu'elle avait obtenu ceux des Euro 2012 et 2016, on était en revanche pas forcément au courant qu'elle s'impliquait aussi dans d'autres sports que le football.

BeIN Sports a ainsi raflé des tournois de tennis d'envergure, comme celui de Wimbledon, le Master de Londres ou encore la quasi totalité des Masters 1 000 sur la période 2014-2018. Rugby, Handball et Basketball (NBA) sont aussi à son tableau de chasse. Rien n'empêchait la chaîne qatarie de continuer sur sa lancée, si ce n'est sa concurrente directe, Canal+, pas enchantée à l'idée de devoir partager.

Ni une ni deux, la chaîne cryptée a donc porté plainte contre BeIN pour concurrence déloyale en juillet 2013, arguant que la chaîne qatarie pouvait s'appuyer sur une manne financière inépuisable, et donc dépenser sans compter, et surtout sans souci de rentabilité. Montant réclamé : 300 millions d'euros. Canal est assez coutumière du fait, puisqu'elle avait déjà porté ce genre d'attaque contre TPS et Orange par le passé, mais qu'importe. Admettons. A première vue, l'argument peur sembler recevable.

Challenges s'est amusé à calculer, au doigt mouillé, les revenus que devrait toucher BeIN cette année. En partant du principe que la chaîne s'appuyait sur un socle de 1,5 million d'abonnés, le magazine a estimé qu'elle génèrerait 150 millions d'euros en 2014. Un chiffre certainement inférieur à la réalité, puisqu'en mars BeIN revendique déjà 1,8 million d'abonnés, et que ce chiffre devrait aller crescendo au cours de l'année. Quoiqu'il en soit, Challenge estime à 400 millions d'euros les dépenses de la chaîne pour la même année, et il paraît donc inenvisageable qu'elle rentre dans ses frais.

Si BeIN ne sera pas rentable en 2014, et ne l'est d'ailleurs pas depuis sa création, doit-on pour autant lui imposer des seuils de rentabilité d'emblée, sans même lui donner une chance de faire son trou ? Depuis la mise en orbite de la chaîne, les chiffres se situent au-dessus des prévisions. Le taux de désengagement, en dessous de 1 %, est dérisoire. La stratégie de BeIN est une stratégie au long cours, il apparaît donc un peu abusif de la juger sur le court terme.

La guerre que livre Canal+ à la chaîne qatarie n'est pas celle d'une entreprise artisanale contre un Goliath en puissance biberonné aux pétrodollars. C'est celle d'une multinationale sur le déclin, perdant des abonnés à grande vitesse pour cause d'abonnement trop cher (près de 40 euros par mois), pour conserver sa position monopolistique. On se souvient ainsi de l'épisode TPS, en 2005, durant lequel Canal+ avait déboursé des sommes astronomiques pour obtenir les droits de la Ligue 1, flinguant le bouquet satellite. Un peu de mauvaise guerre, ensuite, de venir donner des leçons de fairplay...

Réseautage en sous-main, plainte portée devant les tribunaux, Canal+ semble tout faire pour mettre des bâtons dans les roues de BeIN. Ça marche en partie. La filiale d'Al-Jazira est passée à côté du Top 14. Mais elle n'était pas sans savoir, en arrivant en France, qu'elle aurait à composer avec des obstacles entravant son ascension. "Nous sommes ici pour le long terme", annonce Yousef al-Obaidly, directeur général de la chaîne. Une façon de dire que BeIN a su s'armer de patience, intégrer dès sa naissance cette qualité à son ADN.

Mais être patient ne veut pas dire subir le supplice de Tantale, se refusant à cueillir jusqu'à la fin des temps ce qu'on a à portée de main. BeIN place ses pions au fur et à mesure, poursuit son cheminement en terrain miné, agrémentant en permanence sa grille de nouveaux programmes, mettant sur pied des émissions originales où des animateurs sympas, des consultants au top et des invités de choix évoluent dans des décors flambant neufs. Cet enrichissement constant de son offre n'a qu'un but : montrer aux téléspectateurs que des alternatives valables et à prix raisonnable sont possibles. On aurait tort de s'en priver.

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Adrian Phillips est Analyste marketing digital. En 2013, il fonde sa propre société en compagnie d'autres experts. Basé au Canada, il ne se prive pourtant pas d'intervenir sur des sujets hexagonaux, en attendant d'un jour, peut-être, s'implanter en France.

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