Après le rêve, le doute américain !

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Par Gilles Biassette Modifié le 13 septembre 2012 à 16h02

Flint, comme Las Vegas et d’autres villes du pays, ont été mis en péril par la crise financière et économique qui a fissuré l’Amérique. Des quartiers entiers se sont vidés, d’autres ont été laissés en plan, à l’abandon.

Dans les deux villes, le sentiment est le même : "plus rien ne sera comme avant", dit-on. Cette crise n’est pas perçue comme une bosse sur la route, comme un à-coup sans lendemain, mais, bien au contraire, comme un tournant, un virage en épingle à cheveu. Un sévère coup de volant qui, plus jamais, ne permettra à la voiture made in USA de revenir sur son cap antérieur. À l’image de la Grande Dépression de 1929, qui avait changé les États-Unis en profondeur.

D’ailleurs, les Américains, toujours créatifs, n’ont pas tardé à trouver un nom pour évoquer cette période sombre et la faire, avec des mots, entrer dans l’histoire, sur des rails parallèles à 1929. La récession qui a sévi de décembre 2007 à juin 2009, selon le National Bureau of Economic Research (NBER), organisme chargé outre-Atlantique de mesurer et de dater les coups de mou de la machine économique américaine, est d’ores et déjà connue sous le nom de Great Recession (Grande Récession).

Le parallèle est évident : il s’agit, par cette expression dont on ne sait déjà plus à qui en revient le mérite, de souligner la parenté avec la Grande Dépression de 1929. La crise n’a pas la même ampleur, car le monde a changé et des filets sociaux mis en place au XXe siècle ont permis d’amortir, au moins en partie, ce nouveau choc.

Les États-Unis ont également retenu la leçon de leur histoire et les autorités politiques et monétaires – la Maison Blanche, le Congrès et la Réserve fédérale – se sont gardées de répéter les erreurs d’hier. Elles ont donc continué d’injecter de l’argent dans la machine pour éviter la panne sèche et la spirale infernale qui, à la fin des Années folles, avait jeté à terre le pays, puis le monde. Mais le choix des mots en dit long sur l’ampleur du marasme et sur la frayeur qu’il a suscitée de l’autre côté de l’Atlantique. Et pour cause : tous les indicateurs confirment l’ampleur de la catastrophe.

La durée, d’abord. La Grande Récession a sévi pendant dix-huit mois, un record depuis l’après-guerre, battant de plusieurs longueurs la crise provoquée au début des années 1970 par le choc pétrolier. La violence, ensuite. Au dernier trimestre de 2008, l’économie américaine s’est contractée, en rythme annuel, de 8,9 %, l’année suivante voyant l’activité décliner à nouveau, de 3,5 %. Dans le même temps, le marché immobilier s’effondrait, les bourses plongeaient et la dette de l’État explosait.

Les conséquences sociales, enfin. Près d’un travailleur sur six a connu un licenciement pendant la Grande Récession, alors que le taux de chômage grimpait à plus de 10 % à l’échelle nationale. Depuis 2009, en moyenne annuelle, il évolue autour de 9 % – du jamais-vu depuis la seconde guerre mondiale. Lors des dernières graves crises de l’après-guerre, en 1973-1975 et 1981-1982, le taux de chômage était rapidement repassé sous la barre des 8 % pour retrouver un niveau jugé "normal". Autre record battu : la durée moyenne de chômage, qui dépasse trente-cinq semaines, soit environ le double du temps moyen passé hors du marché du travail lors des récessions précédentes.

Sans surprise dans ces conditions, la pauvreté a fortement augmenté : selon les données communiquées par les services statistiques du Bureau du recensement, le pays comptait, en 2010, 46 millions de pauvres, soit 15 % de la population totale, un niveau jamais atteint depuis vingt-sept ans. Depuis 2007, 9 millions d’Américains supplémentaires vivent dans la pauvreté.

Cerise sur le gâteau : même quand c’est fini, ça dure encore… Quand bien même une des victimes de la crise aurait-elle retrouvé un emploi, elle y aurait néanmoins laissé de nombreuses plumes. Selon Henry Farber, économiste à l’Université de Princeton, les nouveaux postes correspondent en moyenne à une baisse de salaire de 17,5 % par rapport au précédent job…

Pas étonnant que la Grande Récession soit encore présente dans les esprits alors qu’officiellement, selon le NBER, elle s’est pourtant achevée en 2009. Même après être arrivée à son terme, elle a continué à faire mal, comme un membre coupé… Le redémarrage qui a suivi est également rentré dans l’histoire, comme la reprise la plus faiblarde de tous les temps !

Au printemps 2012, on estimait qu’au rythme d’alors il faudrait encore près de trois ans pour retrouver le niveau d’emploi d’avant fin 2008…
Plus de trois Américains sur quatre considèrent toujours, trois ans après la fin de la Grande Récession, qu’elle est encore à l’œuvre…
Et dire qu’au début des années 2000, quand Bill Clinton quittait la Maison Blanche, il laissait derrière lui un budget fédéral en excédent et un taux de chômage à 4 %. On comprend mieux que les neveux de l’Oncle Sam aient du vague à l’âme […].

couv amerique


Extrait du livre de Gilles Biassette : "Où va l'Amérique ?" aux Editions Baker Street. 230 pages. 19 euros.

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Gilles Biassette est journaliste au service Monde du quotidien La Croix. Il est l'auteur du récent "Où va l'Amérique ?" aux Editions Baker Street.

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