Même pour des salariés qui s’y attendent, le fait que le propriétaire vende la société est toujours une réalité compliquée, voire douloureuse.
Les salariés doivent, s’ils veulent dépasser cette étape :
– faire le deuil de l’ancienne direction ;
– accepter le repreneur dans une démarche autre que celle qui est connue jusqu’à ce jour.
Deuil : le mot peut paraître fort quand il n’évoque pas le décès d’un être proche, mais s’applique bien ici et le passage demandé au salarié fait référence aux mêmes ressorts psychologiques. Les mêmes capacités à fuir la situation ou, au contraire, à s’en saisir pour un mieux, sont notées aussi bien dans un moment où la vie demande d’accepter un décès que lors du départ d’un dirigeant.
Si l’on retient la théorisation du deuil selon Elisabeth KüblerRoss (psychiatre américaine née en 1926), il est possible d’adapter les étapes du deuil humain à la disparition de son employeur :
- Le déni : « Il ne peut pas nous faire ça. » ; « On travaille ensemble depuis 20 ans, ce n’est pas possible. »
- La colère : « Il nous laisse tomber. » ; « Finalement, nous ne sommes que des numéros dans l’entreprise. »
- Le marchandage : « On va tous partir, ils seront bien avancés. » ; « De toute façon, celui qui rachète, il ne connaît pas la boîte. »
- La dépression et la résignation : « De toute façon, on n’y peut rien, ça va être horrible, ce ne sera plus comme avant. » ; « Il nous reste juste à attendre de partir en retraite. »
- L’acceptation : « Finalement, on va peut-être s’en sortir. » ; « Mon job continue et c’est aussi intéressant qu’avant. » ; « On a même organisé différemment et, au final, c’est plutôt bien. »
Le cheminement de deuil est personnel et doit être accompli par le salarié lui-même. C’est à lui que revient la tâche, parfois complexe, d’aller jusqu’à l’acceptation de la situation. Toutefois, il est du ressort du repreneur de favoriser les conditions dans lesquelles le deuil pourra se faire.
L’objet n’est pas de tenter d’atténuer les incidences et les craintes nées à l’occasion du départ des dirigeants historiques, mais de permettre à l’équipe de passer rapidement à la dernière marche. Essayer de minimiser le départ, de faire comme si rien ne changeait (et donc comme si rien ne changera…) n’enlève pas les émotions de colère ou de résignation par exemple, mais, surtout, ne prive pas le salarié de devoir passer par ces étapes. Finalement, le « faire comme si rien ne changeait », complique grandement la tâche personnelle de chacun des salariés, mais aussi celle du repreneur.
De plus, certains salariés iront plus vite que d’autres dans ce cheminement, soit parce qu’ils ont moins d’attache avec l’ancienne direction, soit parce que, plus simplement, ils ont un mode de réaction différent. Le « finalement, rien ne change » risque d’installer deux vitesses et surtout de contraindre les salariés qui investissent, par fuite, cette dynamique du déni, à faire le travail de deuil beaucoup plus tard.
Parce que les choses nécessairement vont changer ! Tout ne va peut-être pas être révolutionné, mais l’organisation, les rapports humains vont changer, des habitudes vont se perdre et d’autres, peut-être, se développer. Il est important que l’équipe de la cible puisse avancer en même temps, ou du moins qu’elle ait les moyens de le faire rapidement, certes à chacun à son rythme, mais dès que possible.
Le processus même de reprise complique le deuil des salariés. En effet, l’accompagnement du repreneur par le cédant est postérieur à l’annonce du départ du dirigeant. Pendant cette période, l’objet même du deuil des salariés est encore présent, et même très présent, car une partie de son rôle est de transmettre de l’information, de faire le lien entre tout le monde et d’expliquer l’entreprise de l’intérieur !
Cette étape de l’accompagnement doit être assez courte et, idéalement, ne pas reproduire l’organisation existante ; c’est-à-dire que le cédant ne doit pas être à temps plein dans l’entreprise, doit avoir cédé son bureau au repreneur, etc. Si, le cas échéant, toute l’information n’a pas été transmise dans le délai voulu, acquéreur et ancien dirigeant peuvent prévoir de se retrouver en dehors de l’entreprise pour travailler ensemble.
Ceci est un extrait du livre « Reprise d'entreprises : 50 clés pour réussir » écrit par Frédéric Turbat paru aux Éditions Privat (ISBN-10 : 2708944614, ISBN-13 : 978-2708944619). Prix : 15 euros.
Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur et des Éditions Privat.