Eliot, ou comment faire du cinéma avec peu d’argent

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Par Loïc Porcher Modifié le 22 décembre 2012 à 9h04

Eliot, c’est l’histoire d’un adolescent timide et passionné qui, pour s’affranchir d’une existence qu’il juge trop ordinaire, s’évade en faisant des films en super 8 avec ses amis et décide, par amour, de forcer le destin. Cela, c’est le sujet du film, le "pitch" comme on dit.


Et puis Eliot, c’est aussi le film dans le film : l’histoire de deux auteurs partageant une même passion d’enfance pour le cinéma, l’un, réalisateur de talent et belge, Philippe Reypens, et l’autre, scénariste issu de l’édition et français, Loïc Porcher. Confrontés ensemble à un problème presque insoluble — comment pratiquer son art sans devoir toujours dépendre de l’aumône publique et du bon vouloir de producteurs ou de distributeurs plus enclins à compter leurs sous en temps de crise qu’à encourager les vocations —, nous nous sommes lancés dans la production et la réalisation de notre moyen métrage, en le finançant en fonds propres. Pour ce faire, nous avons pu compter sur le soutien généreux du cercle familial, amical et du tout-venant via le financement participatif (ou "crowdfunding" pour les intimes), nouvelle mine d’or pour les créateurs de projets innovants.

C’est connu : le cinéma est un art qui coûte cher. C’est d’autant plus vrai lorsqu’on est auteur-réalisateur et qu’il faut la plupart du temps déployer des trésors d’imagination pour mener à bien des projets qui sont, par nature, très personnels. Et si pour le grand public, le cinéma est synonyme de rêve et de glamour, pour nous autres artisans du septième art - qui n’appartenons pas à la minorité qui a la chance de se voir attribuer presque automatiquement les aides d’état -, le concept relève davantage du parcours du combattant.

À un ami qui me disait que le cinéma, qui ne vivait selon lui essentiellement que de subsides, n’était qu’un média de masse fabriqué par une nomenklatura privilégiée et ne devait donc pas être autant encouragé par les politiques publiques (subliminalement, le message était : qu’ils se démerdent !), je lui répondais que j’étais assez d’accord avec lui mais que ce n’était pas une raison pour abandonner ceux qui n’appartenaient pas à cette nomenklatura et qui se contentaient des quelques miettes abandonnées par cette dernière…

Car il faut bien reconnaître qu’en matière d’attribution de subsides, il y a comme qui dirait un problème dans le bon royaume de Belgique. De là à dire que ce sont toujours les mêmes qui y ont droit… Après plusieurs films produits en fonds propres et avec l’aide de chaînes de télévision comme la RTBF (télévision belge), l’ORF (télévision autrichienne) ou encore ARTE, nous devons faire le constat amer que ce ne sont hélas pas souvent les critères de qualité qui prévalent à l’obtention de subventions. Autant de films produits, réalisés et diffusés en télé, autant de refus d’aides publiques. Et autant de galères pour produire les suivants.

Ainsi, il nous fallait trouver une alternative financière pour palier aux carences d’un système à bout de souffle. Nous avons malgré tout déposé moult dossiers sans grande conviction. Puis nous avons démarché des entreprises pour obtenir quelques soutiens par le biais du Taxshelter (incitant fiscal belge permettant à toute entreprise installée en Belgique de bénéficier d'une exonération fiscale de 150% du montant investi dans une production audiovisuelle). Mais le moyen métrage, il faut bien le reconnaître, ça n’intéresse pas grand monde. Alors plutôt que d’attendre qu’enfin une fée bien dotée accepte de se pencher sur le berceau de notre création, nous avons décidé de nous lancer à corps perdu dans notre projet de film. Nous avons repris à notre compte l’adage populaire : aide-toi et le ciel t’aidera. Chose amusante, c’est d’ailleurs en substance le sujet d’Eliot : comment tirer parti des obstacles qui se dressent devant soi pour vivre pleinement sa vocation.

En l’espace de quelques mois, nous avons modestement mais vaillement entrepris la préparation du film en fonds propres. Nous nous sommes entourés d’une équipe de choc constituée de comédiens et de techniciens fabuleux, puis avons entrepris le tournage en plusieurs étapes afin de pouvoir chercher en parallèle les financements suivants. Pas à pas, semaines après semaines, nous avons réussi à mettre le film en boite. Sa postproduction a démarré. Nous sommes à deux doigts de remporter notre pari.

L’un des facteurs qui a rendu la chose possible a été la possibilité de filmer en numérique grâce à l’émergence de nouvelles générations de caméra de type RED ou ALEXA, équivalentes ou supérieures qualitativement aux « anciennes » caméras pellicule. Bien qu’il soit possible aujourd’hui de filmer avec un appareil photo voire un téléphone portable – chose impensable il y a encore quelques années -, nous avons opté pour la caméra allemande ALEXA qui est à la pointe de la technologie. Nous l’avons fait pour des raisons artistiques, mais aussi parce que cela a été rendu possible grâce aux partenariats que nous avons mis en place avec les loueurs de matériels (BFC, Eye Lite, KGS). L’avantage de cette caméra numérique sur une caméra traditionnelle utilisant de la pellicule est, hormis l’excellente qualité de son image, la très grande flexibilité de son support dématérialisé qui permet de travailler les rushes immédiatement, sans devoir passer par un télécinéma ou un scan (transfert de la pellicule impressionnée vers le numérique). Nous avons ainsi pu avancer très vite dans le processus purement créatif à mesure que le film était tourné.

Mais la grande nouveauté pour nous a été l’expérience d’un nouveau modèle économique sur internet, le financement participatif. Cette possibilité révolutionnaire, qui autorise la mise en relation directe des créateurs avec le monde connecté en un clic de souris, emporte déjà un vif succès en France et en Belgique. Dans notre cas, cette passerelle entre Eliot et son futur public s’appelle kisskissbankbank.com. Reprenant à son compte l’idée d’économie collaborative très en vogue outre-Atlantique, cette plateforme française nous a permis de réunir déjà plusieurs milliers d’euros indispensables pour couvrir les dernières dépenses du film.

Le principe est simple : chaque porteur de projet dûment sélectionné peut lancer un appel aux dons et proposer des contreparties en échange (dans notre cas : nom au générique du film, DVD, places à l’avant-première, etc). Seules contraintes pour tout participant : la collecte doit se faire dans une durée limitée (généralement de un à trois mois) et si au terme du compte à rebours le montant demandé n’est pas atteint, il perd la totalité des dons engrangés.

Le 31 décembre 2012, après 75 jours d’appel à la générosité des donateurs, la collecte pour le film Eliot touchera à sa fin. Nous saurons alors seulement si nous avons fait le bon choix économique. Mais d’ores et déjà, nous sommes assurés que dès les premières heures de 2013, nous serons plus que deux à attendre impatiemment la naissance d’Eliot

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