Aujourd’hui la classe moyenne est composée d’urbains, qu’ils soient en ville ou dans les périphéries urbaines.
Elle est organisée autour d’un itinéraire quotidien, le triangle de la mobilité. Il part de la résidence, pour aller au travail, pour passer ensuite dans les lieux de commercialisation, pour revenir ensuite dans le logement, avec, au coup par coup, une incursion dans des lieux de loisirs, les restaurants, les bars, les cinémas ou les centres sportifs. Dans certaines occasions, la partie la plus favorisée de la classe moyenne prend l’avion pour des vacances ou un week-end. Les centres commerciaux, la voiture et l’équipement de la maison, dont Internet et les objets de la communication, sont les trois mondes d’objets constitutifs de la classe moyenne urbaine d’aujourd’hui, qu’elle travaille ou qu’elle soit au chômage, qu’elle travaille chez elle ou en dehors, qu’elle ait des horaires adaptés à la vie de famille ou des horaires décalés. […]
Le bricolage, l’entretien du gazon et le jardinage, notamment pour ceux qui possèdent un habitat individuel, sont les marqueurs les plus visibles de la naissance puis du développement de la classe moyenne, même si ces pratiques varient en fonction des cultures. Home Depot aux États-Unis, Leroy Merlin en France ou les jardineries sont, dans l’espace des périphéries urbaines, les marqueurs de la présence de la classe moyenne, de la division sexuelle des tâches et de la nouvelle place des hommes dans l’espace domestique. Les caractéristiques communes de la classe moyenne se construisent à travers l’occupation des espaces internes et externes au logement et de leur mise en scène, par des objets et par des pratiques qui leur donnent à la fois un sentiment d’identité collective et de différence par rapport aux autres groupes.
La cuisine traditionnelle se transforme en un nouvel espace qui concentre un maximum d’objets utilisant de l’énergie électrique, depuis le réfrigérateur jusqu’à la cuisinière en passant par tout l’électroménager et surtout par la machine à laver le linge, qui en France se trouve dans la cuisine ou dans la salle de bain et aux États-Unis en dehors de la cuisine. La machine à laver le linge, le réfrigérateur, et, on pourrait rajouter la machine à coudre, le fer à repasser ou la couette, sont les objets qui marquent la fin d’un usage intensif de l’énergie humaine dans le foyer. C’est peut-être la vraie fin du néolithique. C’est en tout cas le début de l’industrie agroalimentaire et des plats cuisinés, des marqueurs de la classe moyenne.
La naissance de la salle de bain et de la grande distribution va permettre le développement des soins du corps. Ceux-ci commencent par se concentrer sur le visage, que ce soit pour le bronzage ou pour le rendre plus blanc, en fonction des cultures à travers le monde. Ils concernent aujourd’hui toutes les parties du corps exposées ou intimes, avec les cils, les paupières, les sourcils, les joues, les lèvres, mais aussi le défrisage des cheveux, les vernis à ongles pour les mains ou pour les pieds, ou encore les piercings, les bijoux ou les tatouages.
Les produits du maquillage sont les analyseurs de la transformation du marché matrimonial qui a été chamboulé par la multiplication des divorces ou des séparations. De façon imagée, on peut dire que les crèmes de beauté, le mascara, le rouge à lèvres sont devenus les moyens de maintenir la valeur du capital que représente le corps de la femme quand il est soumis à la compétition du marché matrimonial, au moins pour celles, ou ceux, qui souhaitent rester compétitifs.
La pièce du logement la plus constitutive de la classe moyenne, en compétition avec la cuisine et la salle de bain, est le living, la pièce à vivre. Partout dans le monde, là où nous avons fait des enquêtes, en France, au Danemark, aux États-Unis, au Brésil ou en Chine, le living est la pièce qui concentre le plus de technologies de la communication avec la télévision, le téléphone fixe, les consoles de jeux vidéo, les ordinateurs, les tablettes ou les téléphones mobiles. Une partie de ces objets sont de plus en plus nomades et circulent entre les pièces de la maison. Ils rendent flouent les frontières entre le dedans et le dehors ou entre l’intime, le privé et le public. « L’extimité », l’exposition de l’intimité, mot créé par le psychanalyste Serge Tisseron pour décrire les pratiques des jeunes sur les réseaux sociaux en est l’une des expressions les plus significatives.
Aujourd’hui, l’espace du logement est devenu un véritable « hub domestique » dans lequel règnent les écrans de contrôle qui servent à gérer les flux d’informations, les commandes par Internet, le travail à la maison, la programmation des tâches, la régulation de l’énergie et la pratique des jeux. Le symbole mondial de cette transformation en est probablement le site en ligne TaoBao wang de la société Alibaba en Chine. Il semble que de plus en plus de Chinois sortent de moins en moins de leur logement à partir duquel ils gèrent à la fois leur travail, leurs commandes et leurs livraisons à domicile, et leur consommation en réduisant au minimum leurs pratiques de mobilité. Alibaba est en train de concurrencer Amazon.
Ceci est un extrait du livre « L'empreinte anthropologique du monde : méthode inductive illustrée » écrit par Dominique Desjeux paru aux Éditions Peter Lang. (ISBN-10 : 2807605958, ISBN-13 : 978-2807605954). Prix : 47 euros.
Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur et des Éditions Peter Lang.