Comment la réduction d’octrois de visas peut nuire aux flux de connaissances

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Par Estefania Santacreu-Vasut Publié le 11 mars 2017 à 5h00
Donald Trump Visas Flux Connaissances
90Donald Trump voulait initialement interdire de séjour les ressortissants de sept pays durant 90 jours.

Combien les entreprises d'un pays perdraient-elles si une augmentation des obstacles à la circulation des travailleurs hautement qualifiés se concrétisait ? Quelles seraient les conséquences économiques de telles politiques ? Et quels pays ou régions feraient face aux coûts les plus élevés?

Nous tenions pour acquis la mondialisation, mais nous nous trouvons soudain au centre d'un bouleversement inattendu : l'anti-mondialisation. Il reste à voir si le sentiment antimondialisation qui s'est matérialisé en 2016 avec l'élection de Donald Trump et le Brexit se poursuivra en 2017, surtout avec la prochaine élection présidentielle française. Et peu importe que Marine Le Pen soit élue ou non, il est clair que sa rhétorique politique est basée sur la promotion de politiques antimondialisation comme une solution à la détresse économique.

L'un des aspects les plus médiatisés du mouvement antimondialisation concerne le discours anti-migrants, en particulier en ce qui concerne l’entrée de travailleurs étrangers peu qualifiés et de réfugiés. Un aspect moins médiatisé qui pourrait bien faire partie des politiques anti-migrations à venir concerne les travailleurs hautement qualifiés. En effet, au début du mois de janvier, et avant que le président élu Donald Trump ne prenne ses fonctions, le législateur républicain Darrell Issa a annoncé son intention d'introduire un projet de loi visant à restreindre les conditions d'entrée aux États-Unis sous le visa américain H-1B utilisé par les entreprises américaines pour attirer des travailleurs qualifiés et des étudiants. En France, le programme de Marine Le Pen a régulièrement mis en évidence les coûts de la migration, jamais ses avantages. Ces mesures, si elles sont prises de part et d'autre de l'Atlantique, pourraient conduire à une spirale protectionniste où les partenaires commerciaux, comme le Mexique, réagiront en resserrant les entrées d'employés ou d’expatriés américains. Au niveau européen, un resserrement potentiel des politiques en matière de visas en France pourrait non seulement affecter de manière négative le commerce avec le reste du monde, mais aussi au sein de l'Europe.

Désactivation du flux

La restriction du mouvement des personnes à travers les pays peut influencer l'économie à plusieurs niveaux - la circulation des biens, des services et des capitaux, ainsi que les mouvements des travailleurs. Lorsque les frontières sont ouvertes, les flux d'investissements étrangers entre pays permettent aux entreprises multinationales de fonctionner à l'étranger. Par exemple, le Mexique a bénéficié d’investissements qui ont encouragé la compétitivité des exportations du pays. Dans une large mesure, ces gains sont dus aux flux de technologies et de connaissances qui se sont matérialisés au sein des multinationales et qui, en définitive, conduisent à la transmission des idées et de la technologie dans les pays où ils opèrent. Malgré les progrès réalisés dans les technologies de l'information et de la communication, ces flux sont stimulés par la présence de travailleurs étrangers hautement qualifiés et de gestionnaires dans le pays bénéficiaire. La raison est que, en partie, ces idées et ces connaissances sont tacites et difficiles à codifier. Le flux de personnes est donc étroitement lié à la technologie et aux flux de capitaux.

Hey, Joe: Y a-t-il une place, mais pas pour moi ?

Les recherches des professeurs Estefania Santacreu-Vasut et Kensuke Teshima ont permis de recueillir des données sur les opérations des multinationales au Mexique, qui ont montré que, non seulement, les dépenses de transfert de technologie sont deux fois plus importantes dans les entreprises qui embauchent des expatriés, mais que la probabilité de transfert de technologie est également double si l'entreprise a au moins un expatrié dans son effectif. Pourquoi donc, malgré cette corrélation positive, plus de la moitié des multinationales interrogées ont-elles choisi de ne pas embaucher d’expatriés ? D'anciennes recherches l'expliquent par le fait que, si les expatriés peuvent être bénéfiques pour le transfert de technologie, ils sont coûteux dans d'autres dimensions, l'un des coûts récurrents étant l'adaptation difficile à l'environnement local. Cependant, les recherches menées par Estefania Santacreu-Vasut et Kensuke Teshima ajoutent à cela la modélisation des conditions dans lesquelles les expatriés facilitent le transfert de technologie et contribuent ainsi à la technologie et aux flux de capitaux entre les pays. En étudiant la décision d'une entreprise d'embaucher un expatrié ou un natif dans le rôle de manager dans la filiale mexicaine de la multinationale, plusieurs conclusions ont été tirées.

Premièrement, l'expatrié est plus efficace au transfert de technologie, puisqu'il connaît l'entreprise. D'autre part, l'expatrié a plus de difficulté à traiter avec les fournisseurs locaux. En effet, l'avantage de l'expatrié semble dépendre de deux facteurs : l'intensité technologique de l'entreprise et l'environnement institutionnel de la zone où se trouve la multinationale (c'est-à-dire dans certains États du Mexique, le respect des contrats et le système juridique peut être plus ou moins efficace). Cela donne des résultats intéressants. Là où la qualité institutionnelle est faible, l'avantage de l'embauche de manager natif par rapport à l'expatrié est plus grand. Cependant, dans des environnements où la qualité institutionnelle est très faible, il est si coûteux de compter sur les fournisseurs locaux que la multinationale ne compte pas sur la main-d'œuvre locale et l'avantage du manager natif disparaît. Tout cela montre que les multinationales tendent à recruter des travailleurs expatriés dans des environnements institutionnels extrêmes - de très haute qualité ou de très faible qualité - et que dans ces deux types d'environnements l'expatrié facilite effectivement le transfert de technologie. Lorsque la qualité de l'environnement est moyenne, l'avantage de la gestion des ressources locales par le manager natif l'emporte sur l'inconvénient en termes de transfert technologique. Cet avantage, cependant, entraîne un coût en termes de transfert de technologie qui diminue parce que le travailleur natif est moins efficace. Des politiques restrictives en matière de visas entraîneraient, en durcissant l'embauche d'expatriés, des conséquences désastreuses pour la compétitivité du tissu industriel mexicain, et cet impact serait concentré dans certains États.

Et plus loin: Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France

Les recherches menées par les professeurs Estefania Santacreu-Vasut et Kensuke Teshima ont également une pertinence au-delà des frontières mexicaines, en particulier pour les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. En effet, le rôle des expatriés peut être analysé selon les contextes institutionnels spécifiques de chaque pays. Les États-Unis, la France et le Royaume-Uni se caractérisent par des niveaux élevés de qualité institutionnelle et sont des bénéficiaires nets de talents mondiaux. L'adoption de politiques restrictives en matière d'immigration de travailleurs qualifiés réduirait, dans ce contexte, le transfert de technologie et risquerait d'éroder la compétitivité de leurs entreprises et de leurs économies.

Leur analyse suggère également que la restriction des flux de travailleurs hautement qualifiés rendrait difficile, pour un pays comme le Royaume-Uni, le bénéficie des échanges commerciaux et technologiques avec le reste de l'Europe et limiterait à son tour le flux de travailleurs qualifiés puisque ces flux sont complémentaires.

Enfin, le risque de détérioration institutionnelle que l'administration Trump pourrait poser (comme l'a récemment avancé Larry Summers), conjugué au resserrement des politiques en matière de visas, pourrait contribuer à une détérioration encore plus importante, car il serait plus coûteux d'attirer les talents étrangers, les expatriés seraient moins efficaces dans la gestion des relations avec l'environnement institutionnel et politique américain, ce qui diminuerait les incitations des entreprises américaines à les embaucher. Enfin, ces deux raisons contribueraient à une détérioration encore plus grande de la compétitivité des États-Unis par une réduction des flux technologiques. La question de savoir si les prochaines élections présidentielles en France suivront est incertaine et dépendra en partie de la capacité des citoyens à voir les conséquences visibles mais aussi invisibles de l'antimondialisation.

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Estefania Santacreu-Vasut, professeur d'économie à l’ESSEC Business School

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