Comment faire en sorte que vos clients se sentent privilégiés ? #BEST OF

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Par Arnaud de Bruyn Modifié le 20 juillet 2014 à 0h09

Imaginez un dîner dans un restaurant dont vous connaissez le propriétaire. Parce que c'est votre anniversaire, on vous donne la plus belle table, vous avez droit à un service attentionné et personnalisé, ainsi qu’à des plats qui n’apparaissent même pas sur le menu… Comment vous sentez- vous ? Ravi, ou embarrassé ?

De nombreuses entreprises accordent à leurs clients des traitements préférentiels discrétionnaires (TPD), c’est-à-dire des traitements préférentiels qui ne reposent sur aucune règle explicite et publiquement communiquée (par exemple, en récompense à un certain niveau de fidélité). Les TPD sont des récompenses sélectives et flexibles, qui peuvent être accordées librement par le personnel en contact dès lors qu’il le juge approprié. Ils sont faciles à personnaliser, et peuvent faire en sorte que vos clients se sentent spéciaux sans imposer d’obligation future pour l'entreprise.

Néanmoins, tous les consommateurs ne répondent pas de la même manière aux TPD. Par exemple, être autorisé à couper une longue file d'attente peut procurer un sentiment de plaisir comme un sentiment d’embarras, voire de honte. Si les entreprises accordent des TPD inadaptés, elles risquent non seulement de gâcher leurs ressources marketing, mais aussi d’irriter une partie de leurs clients.

Quatre dimensions clés des traitements préférentiels discrétionnaires

Avec ce travail de recherche, nous voulions examiner plus en profondeur la façon dont les gens évaluent les TPD, et identifier les types de TPD que les clients préfèrent. Tout d'abord, nous avons identifié quatre dimensions selon lesquels les clients évaluent les TPD.

La première est le degré de justification du TPD, c’est-à-dire l’existence d’éléments justifiant l’octroi d’un traitement particulier (par exemple, un certain niveau d’ancienneté, ou bien de dépenses). Lorsqu’un client a le sentiment qu’un traitement de faveur n’est pas justifié, il peut se sentir redevable à l’égard de l’entreprise, voire même manipulé. Nous avons donc émis l’hypothèse que plus un TPD était justifié, plus les clients l’apprécieraient.

La deuxième dimension est l’impact du TPD sur les autres consommateurs, qui peut être, étant donné les ressources limitées dont disposent les entreprises, négatif. Par exemple, si un certain client est autorisé à couper une file d'attente, tous les autres clients doivent attendre plus longtemps pour être servis. La colère des clients non-privilégiés pourraient gêner ou même faire culpabiliser le destinataire du TPD. Toutes choses étant égales, nous avons donc émis l’hypothèse que plus un TPD avait un impact négatif sur les autres consommateurs, moins il serait apprécié par le destinataire.

La troisième dimension est la visibilité du TDP. Si un TDP est accordé à un client dans un lieu public comme un restaurant, les clients privilégiés et non privilégiés peuvent tous voir ce que l'autre reçoit. Plus le privilège est visible, plus il est susceptible de provoquer du ressentiment à l’égard du destinataire, et donc de le mettre dans une situation embarrassante. Nous attendions donc à ce que la visibilité du TPD impacte négativement son degré d’appréciation.

Enfin, la surprise tient au fait que les TDP ne reposent pas sur des règles et des conditions énoncées publiquement. Ils peuvent être accordés de façon inattendue. Cet aspect de « cadeau surprise » a le potentiel pour ravir le client, en particulier dans une culture de droit où les gens s'attendent à des privilèges spéciaux. Nous nous attendions donc à ce que le degré de surprise du TPD influence positivement son degré d’appréciation.


Le client le plus important du monde

La nature du TDP lui-même n'est qu’un élément du problème. Les gens ont des personnalités différentes, et ils ne réagissent pas tous de la même façon. Nous avons identifié deux différences majeures.

Parce que les TDP sont sélectifs, ils établissent des différences entre les clients. Cela les rend plus attrayants pour les personnes aux tendances narcissiques, qui construisent leur affirmation de soi en comparaison avec les autres. Nous nous attendions donc à ce que les clients qui ont besoin de plus de distinction apprécient tout particulièrement les TPD visibles et ayant un impact négatif sur les autres. De tels traitements de faveur signalent l’importance que le consommateur a aux yeux de l’entreprise, et le distinguent explicitement de la majorité des autres clients.

Deuxièmement, les TPD sont flexibles et discrétionnaires, de sorte qu'ils sont ouverts à la négociation. Les TPD injustifiés n’étant pas fondés sur une relation de fidélité, ils sont particulièrement difficiles à négocier. Ils représentent donc un défi, et un terrain de jeu particulièrement stimulant pour les personnes enclines à négocier. Nous nous attendions donc à ce que plus les clients aiment négocier, moins ils aiments les TPD justifiés. Enfin, parce que les TPD accordés par surprise privent le destinataire de l’opportunité de négocier et d’exercer une forme de contrôle sur le processus d’octroi, nous avons aussi émis l’hypothèse que les consommateurs enclins à négocier préféreraient les traitements de faveur non surprenants.

Quels privilèges clients marchent le mieux ?

Nous avons testé nos idées dans deux contextes, dans un hôtel-restaurant et dans un magasin spécialisé. Dans le restaurant, 120 personnes de tous âges et horizons ont été invitées à classer quatre TPD hypothétiques, dont chacun était décrit par deux de nos quatre dimensions. Ils ont également rempli un quiz afin d’évaluer leur besoin de distinction et leur attitude à l’égard de la négociation.

Comme prévu, nous avons constaté que les gens préféraient les TPD justifiés et surprenants - mais, de façon inattendue, ils ont aussi préféré les TPD ayant un impact négatif sur les autres. Il se pourrait donc bien que les clients aiment voir une entreprise sacrifier le bien-être des autres clients juste pour les enchanter.

Les personnes ayant un fort besoin de distinction ont préféré les TPD visibles et ayant un impact négatif sur les autres, comme nous l’avions imaginé. Ils ont également apprécié les TPD surprenants, ce qui fait sens dans une culture où les clients bénéficient de nombreux traitements préférentiels - la rareté des TPD surprenants augmente leur valeur.

Enfin, les clients les plus enclins à négocier ont eu tendance à détester les TPD justifiés et surprenants, en ligne avec nos théories. Ils ont également apprécié la visibilité, ce qui indique que pour eux, le jeu de la négociation est encore plus attrayant devant un public.

Au final, les données de cet hôtel-restaurant ont confirmé la plupart de nos hypothèses. Les réponses des clients étant très variables, les entreprises doivent personnaliser le type de traitement préférentiel qu’elles accordent à chacun de leurs clients. Mais comment le personnel en contact peut-il savoir si la personne en face d'eux va apprécier la distinction, ou bien si elle va être encline au jeu de la négociation ?


Chaque client est unique

Nous avons mené une deuxième étude dans le contexte d’un magasin de matériel HIFI. Nous avons demandé à 110 personnes d'imaginer qu'ils achetaient un ordinateur, puis que la vendeuse leur permettait de couper la file d’attente. Nous les avons ensuite interrogés d'une manière similaire aux clients de l'hôtel. Les résultats ont été très compatibles avec ceux de notre première étude.

Cette fois-ci, cependant, nous avons divisé les répondants en fonction de leur sexe et de leur âge. Nous avons constaté que les jeunes hommes étaient deux fois plus enclins à négocier que les femmes plus âgées. Par ailleurs, nous avons identifié que plus les femmes étaient jeunes plus elles étaient sensibles à la distinction, une sensibilité qui diminue avec l'âge. Les hommes plus âgés détestent quant à eux les TPD visibles.

Notre recherche montre qu’en offrant les mêmes TPD à tous les clients, l’entreprise aura un succès limité. Grâce à nos données, les entreprises peuvent mieux cibler leurs TPD vers les clients individuels les plus susceptibles de les valoriser. Idéalement, elles devraient suivre les préférences individuelles de leurs clients en matière de distinction et de négociation. En l’absence d’informations sur ces deux prédispositions, l’âge et le sexe sont deux variables qui permettent d’orienter les décisions portant sur la nature des traitements préférentiels accordés.

Source : ESSEC Knowledge, le portail en ligne de l'ESSEC dédié à la recherche, à l'expertise et au leadership académique de son corps professoral.

Article corédigé avec Raphaëlle Butori, professeur à l'ESSEC Business School. Initialement publié le 15 octobre 2013.

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Arnaud De Bruyn est Professeur de Marketing à l'ESSEC Business School. Il se spécialise dans l’analyse des données marketing afin d’améliorer les décisions managériales, que ce soit dans les domaines de la gestion de la relation clientèle (CRM), des bases de données marketing, du marketing direct, ou du fundraising.

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