Le consommateur américain, ce super-héros

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Par Nomi Prins Publié le 6 décembre 2019 à 5h22
Carte Bancaire Record Transactions 1
41,2%41,2% des ménages américains sont endettés via leur carte de crédit.

Deux tiers du PIB US sont dus aux dépenses de consommation des Américains. Mais les ménages commencent à tirer la langue…

Selon le magazine Fortune, « si l’économie américaine a un héros, en 2019, c’est bien le consommateur américain ».

Ce magazine qui existe depuis 90 ans souligne que c’est parce que « de solides dépenses de consommation » sont la seule tendance susceptible de « soutenir encore la croissance économique » dans un contexte de ralentissement économique mondial et d’une éventuelle récession aux Etats-Unis.

Le mois dernier, lorsque j’ai participé à l’émission Squawk Box, sur CNBC International, à Londres, on m’a demandé si je pensais que le consommateur américain pourrait continuer à porter à bout de bras non seulement l’économie américaine mais, par extension, l’économie mondiale. J’ai répondu quelque chose du genre :

« C’est une énorme attente, étant donné le ralentissement général de l’économie mondiale, et le colossal niveau d’endettement pesant sur les consommateurs américains. »

Les consommateurs américains sont-ils des super-héros ?

D’un côté, les chiffres brossent un tableau fascinant. Aux Etats-Unis, les dépenses de consommation ont totalisé 14 500 Mds$ en rythme annualisé, au deuxième trimestre 2019, pour un PIB de 21 300 Mds$.

Cela signifie que les dépenses de consommation représentent plus des deux tiers du PIB américain. Au cours du deuxième trimestre 2019, le PIB américain, dans son ensemble, a progressé de 2% ce qui est inférieur aux prévisions. Toutefois, la composante « dépenses de consommation » a progressé de 3%.

C’est cette vigueur de la consommation américaine qui a certainement contribué à compenser la baisse enregistrée aussi bien au niveau des dépenses des entreprises qu’au niveau des exportations nettes, et qui est largement attribuée à la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine. Partout, les entreprises comptent sur le fait que cette vigueur va persister.

Un talon d’Achille, tout de même…

Bref, l’équivalent du talon d’Achille du consommateur américain, c’est la dette. Cela signifie que les consommateurs américains – pour la plupart – ne dépensent pas de l’argent réel pour réaliser un grand nombre de ces achats, mais qu’ils achètent des biens et services avec de l’argent emprunté.

Le montant total des prêts en cours, aux Etats-Unis, s’élève à 4 030 Mds$, et 41,2% des ménages américains sont endettés via leur carte de crédit. Selon les derniers rapports de la Fed à ce sujet, la dette liée aux cartes de crédit a atteint un plus haut historique, aux Etats-Unis.

En moyenne, les ménages américains sont endettés de 9 333 $ sur leur carte de crédit.

Les ménages américains les moins aisés sont endettés de 10 308 $, en moyenne, sur leurs cartes de crédit.

Pourtant, ce sont les générations des « baby-boomers » (population née entre 1946 et 1965) et des « X » (population née entre 1966 et 1976) qui sont les plus endettées.

Et s’ils ralentissent…

Si les consommateurs américains décident de réduire leurs dépenses, et que l’économie ralentit encore, cette conjonction pourrait réellement faire chuter les chiffres du PIB américain.

La définition d’une récession correspond à deux trimestres d’affilée de croissance économique négative. Si les consommateurs américains cessent d’acheter autant, nous ne serons pas loin d’une récession.

Or des données récentes signalent qu’un ralentissement pourrait se dessiner dans les schémas de consommation des ménages américains.

Aux Etats-Unis, les ventes au détail ont enregistré une baisse inattendue de 0,3% au mois de septembre, par rapport au mois antérieur, selon le département du Commerce américain. Ce chiffre est à comparer au taux de croissance de 0,6% enregistré au mois d’août et aux 0,7% enregistrés au mois de juillet. Elles ont rebondi en octobre, mais de 0,3% uniquement, se contentant de revenir à l’équilibre.

La Fed a agi pour assouplir sa politique monétaire – donnant ainsi un coup de pouce aux consommateurs américains, soutien de la croissance mondiale. Est-ce que ce sera suffisant ?

La baisse de 0,3% des ventes au détail US dont nous parlions vendredi pourrait être une aberration. La Fed a abaissé les taux à deux reprises cette année, et un autre abaissement au moins est prévu en fin d’année. Au mois de décembre 2018, les ventes au détail ont chuté de 1,2% après une baisse sur trois mois du marché actions et la crainte que la Fed s’acharne à ne pas abaisser les taux.

Nous savons désormais que cela n’a pas été le cas.

La Fed a fait marche arrière, et elle est passée du resserrement à l’assouplissement. Les banques centrales, partout dans le monde, lui ont emboîté le pas, espérant stimuler leurs économies avec un nouveau déluge d’argent pas cher.

La probabilité qu’un nouvel abaissement des taux intervienne, dans la foulée de la réunion du FOMC [NDLR : comité de politique monétaire de la Fed] du 30 octobre, était de 67% avant la publication du chiffre des ventes au détail de septembre. Cette probabilité a grimpé à 89% depuis.

Toutefois, nous sommes confrontés à des vents contraires différents en ce moment. Les données allant dans le sens d’un ralentissement économique s’accumulent dans le monde entier. Le dernier rapport semestriel du Fonds monétaire international (FMI) mentionne qu’une grande partie de ce ralentissement peut être attribuée aux guerres commerciales. Par conséquent, il révise les perspectives économiques à la baisse.

Pourtant, le conflit commercial entre les Etats-Unis et la Chine n’est pas près d’être résolu une bonne fois pour toutes. Cette situation, qui s’accompagne d’une incertitude et de gros titres anxiogènes, pourrait inciter les consommateurs à resserrer les cordons de leur bourse.

Les consommateurs peuvent-ils maintenir ce rythme ?

Au mois de septembre, l’indice de confiance des consommateurs a chuté, lorsqu’il est apparu que les tarifs douaniers pourraient augmenter le coût de différents produits. La confiance a été plus faible qu’au cours des neuf mois précédents, et bien plus que prévu.

La composante « attentes » de l’indice de confiance indique que, par rapport au mois antérieur, les perspectives à court terme des consommateurs ont chuté de plus de 10% concernant les revenus des entreprises et la situation de l’emploi. Ce chiffre global de la confiance des consommateurs a grimpé une fois que les tensions de la guerre commerciale ont diminué quelque peu, mais cet effet de yo-yo demeure très réel et présent.

Un autre problème a été révélé dans l’enquête de la Fed concernant les entreprises (le « Beige Book ») publiée début novembre. Dans tout le pays, les entreprises s’inquiètent de l’impact de la guerre commerciale sur les ventes et les prix. La Fed remarque que dans les principales régions de la côte est des Etats-Unis, notamment Boston et New York, on constate des signes de ralentissement ou d’anémie de la croissance.

De plus, les spécialistes de la vente au détail ont publié des chiffres de vente variant d’une baisse de 6% à une hausse de 2%, par rapport à l’an dernier, et qui s’accompagnent de perspectives moins optimistes. Selon l’enquête de la Fed :

« L’un des détaillants remarque que même si la saison de Noël qui approche peut fournir une impulsion, il prévoit que la progression des ventes sera relativement faible en 2019 et au début de 2020 ».

Ces facteurs pèsent inévitablement sur la psychologie du consommateur américain, si ce n’est sur son porte-monnaie. Mais il suffit de peu de choses pour que le porte-monnaie suive l’angoisse des consommateurs, si elle s’installe. En outre, il est un peu injuste de supposer que les consommateurs américains puissent éternellement soutenir le monde entier.

Franchement, dans un contexte où l’incertitude s’accroît au sein de l’économie et des marchés, il est peut-être plus sage que les consommateurs réduisent leur endettement au lieu de dépenser plus que ne le permet leur budget.

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Nomi Prins est une journaliste et écrivaine américaine de renom, particulièrement connu pour son travail d’investigation mettant en lumière les liens entre le gouvernement américain et les grands banquiers. Elle est également chroniqueuse pour Intelligence Stratégique.

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