COVID-19 : Vers une nouvelle ère de la régulation bancaire ?

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Par Aude Couderc Modifié le 22 avril 2020 à 10h33
Banques Frais Incidents Plafonnement 1
8%La récession en France pourrait être de 8% en 2020.

Depuis plus de 10 ans déjà, en réponse à la crise des subprimes, les banques sont impactées par un cadre prudentiel particulièrement dur, leur imposant des coûts extrêmement élevés pesant sur leur rentabilité. Or, aujourd’hui, à l’aube d’une crise économique probablement sans précédent, les régulateurs ont décidé temporairement d’assouplir ce dispositif réglementaire et ainsi permettre aux banques de participer pleinement à l’effort de guerre contre les conséquences du COVID-19. Si on ne peut que saluer leur pragmatisme face à cette situation inédite, on peut également s’interroger sur l’intérêt des réformes réglementaires mises en place depuis 10 ans.

Alors que la France risque, comme le souligne son ministre de l’économie Bruno Lemaire, d’entrer dans la pire récession de son histoire depuis la seconde guerre mondiale, espérons que le dispositif prudentiel mis en place depuis une décennie permettra au système bancaire d’être suffisamment armé pour faire face à cette crise inédite. Et surtout gageons que les régulateurs sauront tirer profit de cette crise pour faire entrer l’encadrement réglementaire des banques dans un nouveau paradigme ; celui du pragmatisme et d’une plus grande responsabilisation des acteurs bancaires.

Eviter que la crise de 2008 ne se reproduise

Le cadre prudentiel actuel, né après la crise des subprimes et de la dette européenne, affiche un objectif clair, celui de ne jamais revivre la crise de 2008 ; et plus explicitement éviter, d’une part, qu’une nouvelle crise économique ne soit déclenchée par la prise de risque démesurée des établissements bancaires, et d’autre part, qu’en cas de difficultés financières rencontrées par un établissement bancaire, il faille recourir à nouveau à l’aide des gouvernements et donc des contribuables. Dès lors, les différents régulateurs et superviseurs n’ont eu de cesse de tirer les leçons de la crise précédente et de faire crouler les établissements bancaires sous un millefeuille d’exigences réglementaires, aussi bien quantitatives que qualitatives. C’est ainsi que les établissements bancaires ont notamment dû - et ce n’est pas fini - renforcer leur niveau de fonds propres, modifier profondément leur mode de provisionnement, travailler sur une revue complète de la gestion des clients en défaut de paiement, mener des exercices récurrents de stress-tests à différentes échelles, tout en reportant chaque mois, trimestre et semestre un nombre d’informations considérables pour permettre la supervision et le pilotage par les régulateurs.

Jusqu’à en oublier la raison d’être fondamentale des banques

Autant de réponses différentes à une même crise avec un objectif vertueux, certes : les banques ne seront plus responsables des crises économiques. Mais dans cette inflation réglementaire, les régulateurs semblent avoir oublié un point essentiel que la crise sanitaire actuelle vient rappeler : la raison d’être fondamentale des banques est de financer l’économie réelle. Et ce, aussi bien en temps de crise qu’en temps normal.

Car si les différentes réformes réglementaires ont voulu apporter une dose de prudence, elles ont, par ailleurs, obligé les banques à modifier leur business model, avec pour conséquence l’abandon de pans complets de l’économie réelle trop coûteux d’un point de vue réglementaire. Par ailleurs, et c’est également ce que met en exergue la crise sanitaire actuelle, les mesures réglementaires de cette dernière décennie n’ont pas été pensées pour faire face à une crise généralisée telle que nous la connaissons aujourd’hui avec des ménages et des entreprises privés de revenus et des marchés financiers chahutés. Dans une telle situation, appliquer les règles prudentielles à la lettre reviendrait à pénaliser davantage encore les banques et les contraindre dans leur capacité à financer l’économie. C’est pourquoi la BCE a proposé différents aménagements, comme par exemple que les établissements limitent la procyclicité de leurs modèles de provisionnement pour éviter de se pénaliser davantage et de réduire leur marge de manœuvre. C’est dans ce sens également que l’on a vu le Haut Comité de stabilité financière faire un revirement à 180 degrés et annuler le coussin de fonds propres contra-cycliques. Ainsi, superviseurs et régulateurs mais aussi banques centrales et gouvernements s’unissent pour assouplir les exigences réglementaires et injecter de la liquidité dans le système. Car, aujourd’hui plus que jamais, l’économie a besoin du financement des banques.

Un système bancaire plus solide qu’en 2008

Si, malheureusement, il aura fallu cette crise sanitaire pour rappeler le rôle fondamental des établissements bancaires dans l’économie réelle et que la surenchère réglementaire n’a pas que du bon, il faut souligner que c’est aussi par les nombreux travaux menés depuis plus de dix ans, en étroite collaboration entre les banques et les régulateurs, que certains fondamentaux sont aujourd’hui assurés. Ainsi, du fait des réformes bâloises, les banques disposent aujourd’hui de solides fonds propres. L’incitation à ne pas verser de dividendes aux actionnaires s’inscrit pleinement dans la continuité des travaux, menés depuis 2015 sur la résolution et le redressement des établissements bancaires. Et les reportings réguliers sur le niveau de trésorerie des banques et leur capacité à absorber un choc sur une période de court terme prennent aujourd’hui tout leur sens. S’il est trop tôt pour affirmer que ces mesures serviront de rempart à la crise qui s’annonce, tant la sévérité et surtout la durée du choc attendu sont encore incertains, il est évident qu’elles ont le mérite d’exister et de permettre d’aborder la crise avec un certain niveau de confiance.

Vers une nécessaire adaptation du cadre règlementaire

Elles ont surtout le mérite de poser les bases d’une réglementation nécessaire mais qui reste à adapter. La gestion de la crise à venir et les prochains mois seront, de toute évidence, l’occasion de tester grandeur nature les bienfaits et la raison d’être des réglementations mises en place mais surtout de distinguer les mesures fondamentales de celles qui découlent d’une surenchère réglementaire. Échaudés par la crise de 2008, les régulateurs et superviseurs n’ont eu de cesse sur la dernière décennie de s’immiscer toujours davantage dans la gestion et le business model des banques. La tendance actuelle des régulateurs à vouloir élargir leur spectre d’intervention et contrôler massivement les établissements a un double effet négatif : l’inflation des coûts pour les établissements et un potentiel arbitrage contre-productif entre réglementation et pilotage. La crise actuelle laisse entrevoir des changements de comportements et une prise de conscience collective du rôle de chacun. S’il est bien prématuré de parler de la suite, l’après crise, qui est à anticiper, devra être l’occasion de faire entrer l’encadrement réglementaire des banques dans un nouveau paradigme : celui de la responsabilisation des acteurs bancaires et du juste positionnement du régulateur. Tentons de retenir quelque chose de positif de cette crise, redonnons aux banques leur rôle dans le financement de l’économie réelle et leurs responsabilités dans le pilotage de leurs risques.

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