La concertation publique va-t-elle permettre de rationaliser les projets de l’Etat ?

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Par Philippe Richard Publié le 1 octobre 2013 à 1h50

Depuis les années 90, la démocratie française, traditionnellement représentative, valorise et encourage aussi les initiatives participatives : concertation publique, débat public, enquête, consultation, ou encore conseils ont de plus en plus souvent leur place dans les phases d'élaboration des projets de l'Etat, en particulier lorsqu'ils concernent l'aménagement local ou l'environnement. Mais ce type de démarche a-t-il réellement des effets sur les décisions finales et leur pertinence économique, écologique ou encore organisationnelle ?

La concertation : une pratique de plus en plus répandue... qui reste non contraignante au niveau des décisions finales

Il y a seulement 25 ans, la culture de la concertation était quasi-inexistante. Mais la crise de confiance envers les institutions en place, le souhait de la part des différentes parties prenantes de faire entendre leurs voix dans les décisions relatives à l'aménagement de leur environnement, et bien sûr le développement de la juridiction encadrant ces pratiques, ont complètement renversé la situation.

La convention d'Aarhus, ratifiée par la France en 1998, fixe ainsi plusieurs obligations en matière de concertation et d'information du public - deux dimensions intimement liées. Par la suite, plusieurs lois ont imposé l'organisation de procédures de consultation, notamment dans les domaines de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme, et de l'environnement. Un panel de dispositifs a été élaboré pour répondre à ces exigences : concertation publique, débat public, enquête publique, conseils de quartier... en sont autant d'illustrations. Si bien qu'aujourd'hui, les concertations sont nombreuses, et fréquentes, plus même que ce que n'imposent les textes. En effet la concertation s'inscrit dans une volonté affichée de transparence et de dialogue de la part des acteurs publics. Et, avantage non négligeable, elle est souvent vue aussi comme un moyen de légitimer les décisions prises. Pourtant, si des obligations existent bel et bien en matière d'information et de concertation, les porteurs des projets mis en débat ne sont aucunement contraints de modifier leurs décisions en fonction des résultats de ces débats.

De l'influence des démarches de concertation sur les projets publics

C'est la raison pour laquelle il est légitime de s'interroger sur l'influence que peuvent avoir les démarches de concertation sur les projets à l'étude, en particulier quand ces derniers sont particulièrement discutables du point de vue de leur utilité, de leurs conséquences sur l'environnement ou encore des dépenses qu'ils engendreraient. Pour Laurent Mermet, qui travaille au sein du programme de recherche « Concertation, Décision et Environnement » du ministère de l'Ecologie, « certaines concertations ont entraîné des modifications positives dans la décision finale, voire l'arrêt d'un projet peu justifié pour l'environnement ». Preuve que cette démarche d'écoute peut avoir des effets directs – et positifs – sur la rationalité de l'action publique elle-même. Dans plusieurs cas, la concertation a ainsi contribué à modifier les décisions finales. Le projet d'autoroute A32 a par exemple été abandonné à l'issue de la concertation le concernant : ce projet de doublement de l'autoroute lorraine A31 était très critiqué en raison de son coût, de son impact environnemental – et même de son utilité. L'aménagement des réseaux existants a alors été préféré pour répondre aux contraintes de circulation existantes.

Mais de façon générale, l'impact des processus de concertation sur les projets est jugé plutôt faible, voire inexistant, par les personnes consultées. Le deuxième baromètre de la concertation et de la décision publique publié en janvier dernier révèle que 59% de ceux qui ont déjà participé à un processus participatif ont eu le sentiment que « les décisions étaient déjà prises avant les réunions ». Une impression largement partagée par exemple par les habitants concernés par la récente concertation autour du projet de tramway à Amiens, le tracé du trajet ayant été pratiquement complètement arrêté avant même le début des réunions...

Des préoccupations écologiques et économiques au cœur des débats en cours

Pourtant, selon le baromètre de la concertation, 56% des français sont convaincus que la participation rend les décisions publiques plus efficaces. Et au cœur des préoccupations, les enjeux environnementaux tiennent une place prépondérante, avec, sur fond de crise économique, une progression fulgurante de la question des finances publiques : « dans un contexte de forte pression sur les dépenses publiques, les citoyens se montrent très intéressés et souhaiteraient pouvoir donner leur avis sur la gestion financière de leur commune ».

On le comprend, quand certains projets proposés impliquent des dépenses monumentales, impactant directement les taxes et impôts payés par les citoyens. A Ivry-Sur-Seine par exemple, le Syctom, qui gère l'incinérateur de déchets, a soumis à concertation son projet visant à détruire l'usine d'incinération actuelle, pour en reconstruire une autre à la place. La concertation, qui dure depuis 10 ans maintenant, n'a pas empêché le Syctom d'engager puis de poursuivre dans cet intervalle d'importants travaux... de modernisation des installations existantes. Plus de 200 millions d'euros ont déjà dépensés à cette fin, alors que le projet de raser l'ensemble pour reconstruire sur le même site (le débat ne portant ni sur la délocalisation du site, ni sur sa suppression, toutes deux impossibles) coûterait autour d'un milliard d'euros, à plus ou moins 20% -une approximation que le contribuable appréciera. A cette facture, trois fois plus élevée que celle du simple achèvement de la modernisation des installations existantes déjà entamée, s'ajouteront les nuisances et les pollutions liées aux travaux, et à la fermeture temporaire du centre. Reste à savoir maintenant si la voie de la concertation permettra de contribuer à faire entendre la voix du bon sens.

Dans un autre domaine, le projet d'extension du stade de Roland-Garros fait également l'objet d'une concertation lancée par la Fédération Française de Tennis. Le projet consiste à construire de nouveaux courts sur les serres d'Auteuil voisines, pourtant classées. Les opposants proposent d'étudier à la place la possibilité d'un recouvrement de l'A13 pour préserver le site. Les dérives financières du projet, comme son utilité (certains parlent de « gigantisme », d'autres prônent simplement le déplacement du site...), cristallisent aussi les inquiétudes des riverains. Et pourtant, malgré une concertation en cours, le projet avance dans le sens initialement prévu : la Mairie de Paris vient de délivrer fin août plusieurs permis de construire pour les Serres d'Auteuil, qui feront sans nul doute l'objet de recours devant les tribunaux, bien loin des tables de discussion de la concertation.

Aller au-delà d'une démocratie participative de façade

En soumettant ses projets à concertation, les acteurs publics donnent une chance aux parties concernées de s'exprimer sur leur nature et leur bien-fondé. Cela permet aux conflits de s'exprimer certes, mais aussi à des solutions alternatives, qui n'en sont pas moins rationnelles, d'émerger. On peut déplorer que les conséquences concrètes de ces procédures sur les projets restent à ce jour si limitées, quand l'Etat se vante par ailleurs de favoriser l'émergence d'une véritable démocratie participative, en particulier au niveau local. Pourtant, le succès des expériences en matière de budget participatif, dont Porto Alegre est le porte-drapeau, confirme les compétences du citoyen pour assurer une gestion collective « en bon père de famille »...

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Philippe Richard est chargé d'études en environnement et déplacements urbains. Il est également bénévole associatif.

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