Crise : les Français achètent coffres-forts et doudounes pour se rassurer

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Par Ronan Chastellier Modifié le 15 juin 2013 à 5h50

Pour l'opinion, la crise est comme une sorte de point d'apocalypse assez traumatisant avec cette explosion de furie destructrice qui balaie l'ancien. Quel est ce point Oméga vers lequel nous allons ? Comment se mettre à l'abri des terribles ballottements de la fortune ? Il est difficile de se sentir en sécurité quand les sociétés cotées voient leur valeur fondre de 90 % du jour au lendemain ou quand le Fonds monétaire européen, tel un édifice de mikado, dépend d'une baguette, d'une différence minimale comme la Grèce, capable de causer l'effondrement de l'ensemble du système. [...] La crise, événement opaque et barbare, nous ramène à un état « premier ». Tous en slip ! Comme si le monde en 2013 se retrouvait dans une situation comparable aux sociétés primitives, confrontées à une catastrophe imprévisible et aux persécutions du ciel.

Pendant la crise, les Français acheteurs de coffres-forts

Un symptôme marchand de ce stress financier et bancaire, c'est la vente record de coffres-forts. Avec l'équipement de quelque quarante-cinq mille foyers, surtout des jeunes de vingt-huit à trente ans, donc pas spécialement une clientèle de seniors dont l'âge vénérable aime les garanties. Pour leurs avoirs et valeurs, les Français délaissent les coffres dits « de sécurité », jugés trop bas de gamme, pour du matériel monobloc, certifié et ignifugé. Dans une théorie du reflet, le coffre-fort certifié serait le reflet de leur inquiétude. En réalité, aucun coffre n’est inviolable et l’acquéreur achète surtout du temps de résistance.

Il faut dire que l’on vit une époque barbare, avec deux cent deux mille cambriolages constatés en 2012. Et surtout depuis la perte du triple A américain en août 2011 qui a, paraît-il, été le facteur déclenchant : soudain, les gens ont pris conscience de la fragilité et de l’impéritie du système. Puis, les crises successives de l’euro ont marqué des sortes de retrouvailles avec l’angoisse originelle, entamant la confiance des consommateurs envers les banques. Après le naufrage de Dexia, c’est au tour du Crédit immobilier de France de sombrer, avec un trou de liquidités de 4,7 milliards d’euros. Que je confie ma cause si fragile à des banquiers ? Un tiers des Français auraient perdu confiance en leur banque, 46 % estiment que celles-ci n’agissent pas dans leur intérêt. Ne sont-ils pas exagérément craintifs ?


Et sont-ils mûrs pour entrer pour de bon et par la grande porte dans la « société du risque », telle que définie par le sociologue allemand Ulrich Beck*, qui estime que toutes les sociétés sont devenues productrices de risques, réels ou fantasmés ? Comme dans Psychose, le film d’Hitchcock avec Anthony Perkins, le nouvel impératif d’infaillibilité, de protection absolue est impossible à satisfaire. Dans ce royaume des ombres, il peut tout arriver. Alors, vis-à-vis de son argent, on rejoue par tout la scène de l’avare vis-à-vis de son coffre. On devient le dragon de son trésor.

Les produits "moelleux" ont du succès

D’ailleurs, le risque devient lui-même un facteur de croissance, certaines entreprises prospérant là-dessus car, s’il n’y avait pas l’angoisse de la rapine, il n’y aurait pas la vente de coffres-forts. Le risque, un beau danger qui crée de nouveaux besoins, des besoins illimités, non proportionnels. Et les plus rationnels, ceux qui soutiennent la non-existence du risque, finissent un jour par être contredits et se faire piquer leur épargne. Face au risque qui modifie désormais notre manière de penser, de bouger, de vivre, on se passionne aujourd’hui pour les créatures « extrêmophiles ». Des bestioles ainsi nommées par les scientifiques parce qu’elles vivent dans des milieux hostiles et se délectent des environnements les plus insupportables comme les rivières acides, les lacs ultra-salés, les grottes obscures, les sources brûlantes. Leur acharnement à survivre fascine les scientifiques. Cette résistance hors du commun donne naturellement des idées aux industriels qui créent, c’est leur boulot, du gel de résistance aux grands froids, des cosmétiques de régénérescence cutanée ou des rétines capables de lire dans le noir.

L’hiver dernier, le contexte économique et les rudesses climatiques ont rendu le concept d’ « extrêmophilie » très porteur en design. On a vu apparaître des meubles rembourrés, matelassés, avec des assises en forme de gros ballons de baudruche. Il y avait aussi des canapés « doudoune », protecteurs, anti-crise, ultra-moelleux et agrémentés de bras dans lesquels se blottir. Le grand spécialiste de la doudoune Moncler a d’ailleurs été mis à contribution. La marque Anorak a développé aussi du mobilier « extrêmophile » rigolo mais un peu moche. Paradoxalement, le mobilier « extrêmophile » donne une allure disons un peu angoissante à l’univers de la maison.

*U. Beck, La Société du risque, Aubier, 2001.

Extraits du livre "Tous en slip", par Ronan Chastellier, aux Editions du moment.

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Ronan Chastellier est sociologue, maître de conférence à l'institut d'Etudes Politiques de Paris. Il est également conseiller éditorial du magazine Technikart, " planneur stratégique " en agence de publicité (McCann, TBWA...) et journaliste économique (Les Echos, Le Monde, L'Entreprise, BFM...).  Il vient de publier «Tous en slip ! Essai sur la frugalité contemporaine et le retour aux valeurs simples».

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