En 2013, combien de PME vont mourir faute d’être payées par leurs clients ?

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Par Helene Gans Modifié le 29 avril 2013 à 3h18

Sortant du Comité Stratégique d'une jeune entreprise que je conseille depuis 5 ans, je ressasse une vieille colère qui se réveille à chaque séance d'examen des comptes :

Les retards de règlement des clients ne cessent d'altérer les résultats de cette société, qui parvient à coup d'efforts surhumains (c'est bien le mot quand les effectifs, les salaires et les charges sont réduits au maximum) à réaliser une croissance de 30% par rapport à l'exercice précédent et qui atteint un petit équilibre de ses comptes.

Pourquoi tant de colère ? A cause des problèmes insensés de retards de règlements. Un service d'affacturage souscrit dès que cela lui a été possible l'an dernier a un peu lissé le phénomène, mais tous les contrats n'ont pas été pris par la société d'affacturage. Et cela crée des problèmes graves, simplement parce que les grands comptes veulent maltraiter leurs fournisseurs et sous-traitants.

Le problème est tel dans la société citée que deux personnes travaillent à temps plein à la récupération des règlements dus, avec des retards qui peuvent aller jusqu'à plus d'un an !

Deux personnes à temps plein sur un effectif total de 20 personnes, juste pour récupérer de l'argent qui, selon le contrat, devait rentrer en temps et en heure négociés (souvent largement au détriment de la petite entreprise). Et on voudrait que la France retrouve sa vitalité !

Qui sont les responsables ? Les grands comptes. Ils sont tous dans le CAC 40 même si tous ne sont pas coupables.

Qu'invoquent leurs services quand au terme des 60, 80 voire 120 jours de délai contractuellement fixé, ils n'ont toujours pas réglé ?

Ils ont de très bonnes raisons :
- La facture s'est perdue, c'est normal, vous l'avez envoyée à une mauvaise adresse, adresse bien entendue bien clairement précisée dans le contrat mais c'était une erreur
- Notre comptabilité a été ré-installée en Roumanie, la remise en route est plus longue que prévue
- Nous réorganisons nos services, le responsable des achats est en congé ...

Aucune honte à servir des prétextes tous plus inconsistants les uns que les autres, et quand au bout du harcèlement le responsable des achats finit par dire : je ne vous règle pas parce qu'on m'a demandé de ne pas le faire, alors il dit tout simplement la vérité.

La loi y a pourvu : les intérêts de retard sont bien précisés dans les contrats. Quel fournisseur, quel sous-traitant aura l'impudence de les réclamer au risque de se voir préférer des partenaires plus souples ?

Les dirigeants de ces grands comptes seraient horrifiés, n'est-ce pas, de savoir comment sont traités les petites entreprises de leur environnement. C'est possible. Les directeurs financiers formés dans les meilleures écoles savent ce que c'est qu'un crédit fournisseur, ils sont sûrement responsables d'un certain zèle pour apporter leur contribution personnelle aux profits des grands comptes.

Qu'importe l'identification des responsables ? Le mal est grave, il est plus que toléré, il étouffe les PME auxquelles ensuite on vient dire, ne vous plaignez pas, on travaille avec vous, en France, alors qu'on pourrait travailler ailleurs, beaucoup moins cher.

Et encore, je ne vous dis pas comment cela se passe dans l'industrie du jeu, où la pratique du règlement des sommes dues passe par un labyrinthe de règles non écrites, non légales bien sûr, mais pratiquées en toute bonne conscience, qui permettent d'effacer simplement des royalties dues, après avoir sous payé le travail livré au prétexte que nos ingénieurs et designers si talentueux ont déjà bien de la chance de pouvoir exercer leur talent pour les salaires les plus bas. Pour ceux qui veulent en savoir plus, je développerai avec plaisir, preuves et démonstrations à l'appui.

Les services publics ont longtemps usé de ces mauvaises pratiques et se rattrapent aujourd'hui, obligés à la vertu par des règles plus sévères. Ils ont donné le mauvais exemple ? Soit, mais ils ne sont pas responsables de cette violence qui ronge et ruine un tissu économique fait d'artisans de petites entreprises familiales auxquels les banques accordent généreusement, quand elles le veulent, des découverts au prix fort.

Pourquoi l'Etat s'échine t-il à consolider le tissu économique à coup de subventions -crédit d'impôt recherche, aide à la décentralisation, à la création d'emploi, à l'embauche, etc- s'il ne fait rien en la matière ?

Toutes ces aides sont annoncées comme des moteurs de croissance économique, ce qu'elles sont. Mais qui se soucie du tort fait à la trésorerie des petites sociétés par les grandes, qui se soucie du stress terrible du chef d'entreprise condamné à travailler plus intensément à rassurer son banquier qu'à diriger ses équipes, à lancer de nouveaux produits ou à envisager des investissements ?

Est–ce si difficile dans ce moment de nécessaire solidarité nationale de lutter contre cette maltraitance aussi insupportable intellectuellement que nuisible économiquement ?

Soudain, je tombe sur l'article de Denis Cosnard publié en page 12 du numéro daté de mardi 23 avril : je suis soulagée, je ne suis pas seule. D'autres voix s'élèvent plus puissantes, plus et mieux informées. Cet article dénonce une autre manœuvre : « le racket au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi » et il révèle que 13 milliards d'euros gonfleraient la trésorerie des petites et moyennes entreprises simplement si les délais légaux de règlement étaient respectés. Je respire, la monstruosité du mal est démontrée, demain mes amis de la petite entreprise vont vivre mieux.

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Hélène est la présidente et la co-fondatrice du fonds d'investissement "Renaissance Capital". Avec plus de 35 ans d'expérience comme investisseur, elle est la fondatrice de deux entreprises dans le secteurs des nouvelles technologies.

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