Descroix-Vernier, arme de construction massive.

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Par Julien Hatier Modifié le 5 février 2015 à 9h49

Extrêmement religieux, agoraphobe notoire fuyant la moindre rencontre physique, personnage de science-fiction vivant sur un bateau entouré des plus hautes technologies, homme d’affaires redoutable et redouté… La liste des aspects atypiques de Jean-Baptiste Descroix-Vernier est longue.

« Jamais présent physiquement »

L’homme est respecté jusque dans les plus hautes sphères politiques, de gauche comme de droite, ses réseaux d’influence sont aussi puissants que leur spectre est large, des hackers Russes à Pierre Bergé le financier du PS, de François Pinault ou Bernard Arnault au Parti Pirate en passant par Bernard-Henri Levy ou Jean-Marie Messier, on retrouve « JBDV » partout, sans jamais le voir…

Le Figaro le décrit en 2009 comme « un big brother insaisissable et anticonformiste (…) d’une discrétion maladive » « On lui prête un rôle important dans l'élection d'Irina Bokova à la tête de l'Unesco. Convaincu (…) du danger d'élire l'Egyptien Farouk Hosni, il a habilement popularisé sur le net les bourdes et dérapages de celui-ci. Avec l'efficacité que l'on sait : archi-favori, le ministre de la Culture a finalement été battu par une Bulgare inconnue au bataillon. ». (« Descroix-Vernier is watching you » - Jérome Béglé – Figaro Magazine 15/11/2009)

Lors de l’inauguration des bureaux de Google France en décembre 2011, Nicolas Sarkozy cite uniquement deux réussites françaises dans le domaine des nouvelles technologies parmi des centaines : Xavier Niel et… Descroix-Vernier. L’Elysée aura d’ailleurs recours à lui, pourtant marqué à gauche, pour former le premier Conseil National du Numérique, tâche qu’il accomplira de sa péniche hollandaise (sic). Gilles Babinet, un entrepreneur de second rang, lui ravi la première présidence. La rumeur dit que le cabinet du ministre de l’époque (Eric Besson) lui était très hostile « Le jour de l’élection JBDV est arrivé largement en tête au premier tour. Marie-Laure Sauty de Chalon (NDLR : AUfeminin.com) qui était arrivée en dernier s’est désistée en faveur de Gilles Babinet ce qui a fait la différence » raconte un témoin de l’époque. Jamais présent physiquement à la moindre réunion, il y assiste par audioconférence, Descroix-Vernier est élu Vice-Président l’année d’après... par Skype.

Patrick Bertrand, ex Président du Conseil National du Numérique le décrit comme un « homme a part »: « Il a été le concepteur du Conseil National du Numérique convaincu qu’il était essentiel pour un gouvernement de comprendre ce qui se passe dans le nouveau Monde du numérique. Il aurait dû en être le Président, le sujet d’Hadopi, par exemple, aurait été traité plus rapidement et naturellement….Toujours assidu aux séances de travail, éloigné du monde, sur sa péniche, JBDV était à part. Riche d’humanité, sensible, un vrai entrepreneur, mais sans doute parfois trop imprévisible pour les tenants de la pensée unique ou soucieux de plaire à tout pouvoir quel qu’il soit…Bref, un Homme libre »

Un bouclier impénétrable

Libre, JBDV l’est… Impossible d’avoir un rendez-vous physique avec lui. Après moult tentatives gentiment bloquées par une secrétaire aguerrie à la situation, après avoir constaté que l’homme ne possède aucun blog personnel, aucun site à son nom, aucune page facebook… Après nous être fait personnellement refoulé par l’intéressé (texte de l’email envoyé à 3h47 du matin : «non merci. Bonne continuation. Jbdv ») nous le découvrons curieusement sur Twitter. Un compte « @jocanaan » partagé entre un humour parfois borderline et des attaques en règles contre la corrida ou Monsanto.

N’attendez aucune autre forme de communication de sa part, hormis une apparition sur France Télévision chez Mireille Dumas pour parler humanitaire visible sur youtube, Descroix-Vernier ne sort publiquement de sa péniche que dans un cadre professionnel, une à deux fois l’an, pour présenter les bilans de son groupe.

Concernant sa vie privée, on ne sait rien. Les informations disponibles sont soigneusement filtrés, systématiquement les mêmes depuis plusieurs années… L’homme s’est forgé un bouclier quasi impénétrable en termes d’image, comme si sa vie se résumait à deux chats, des chevaux, Dieu et une péniche. A-t-il des frères et sœurs ? Des parents ? Est-il homo ou hétéro ? A-t-il des enfants ? Rien ne filtre. A la barre du bunker, l’agence Image7 dirigée par Anne Meaux, l’agence des puissants et du CAC40. Ici encore, on nous éconduira poliment «il n’aime pas les portraits, il ne veut pas parler de lui mais de son entreprise. Ça n’est pas contre vous, il est comme ça ».

Effectivement, JBDV ne « craque » pratiquement jamais, nous avons relevé une ou deux charges contre les pratiques boursières spéculatives sur son titre début 2012 dans un tweet assassin repris par BFM, et une réponse passée inaperçue dans une interview accordée à une revue chrétienne (œcuménique) : à la question « que retenez-vous de l’année 2011 ? », Descroix-Vernier prend le journaliste de court (Antoine Bordier) en répondant « La mort de mon grand-père. Il était tout pour moi. On pense toujours que les gens qu’on aime sont immortels, et puis un matin, on se réveille, et le ciel est moins bleu, l’herbe est moins verte, les oiseaux chantent moins bien. Le monde a changé, comme amputé d’un être indispensable. Alors il faut vivre l’invivable, accepter l’inacceptable, surmonter l’insurmontable. Pour moi, 2011 restera l’année ou le « Vernier » de Descroix-Vernier a disparu. ». Unique incartade de Descroix-Vernier dans le registre de l’émotion ou de sa vie privée, il n’abordera plus jamais le sujet.

« Il ne lâche jamais »

Tout aussi difficile d’obtenir une critique sur JBDV… Ceux qui ne l’aiment pas refusent de témoigner à visage découvert, ou refusent de témoigner tout court et les portes se ferment. Dur de déterminer s’il inspire du respect ou de la crainte chez certains ; « Descroix-Vernier est incontrôlable. Il n’aime pas la presse ni les honneurs, l’argent n’est pas son but, les femmes non plus, c’est un solitaire ultra cultivé à tendance parano» et d’ajouter « ne me cite pas dans ton article, je ne veux pas de problème». Dont acte. En 2011 la journaliste Andrea Fradin relève dans un article du site Owni.fr « “JBDV” : le nom est murmuré dans chaque discussion portant sur les relations que nouent, en France, Internet et le pouvoir (…) mais tous se taisent dès que les choses doivent se préciser. Peur des représailles ? Avec sa force de frappe actionnariale, JBDV aurait les moyens de faire couler une levée de fonds en claquant des doigts. » (« Dieu pour actionnaire » - Andréa Fradin – Owni 21/11/2011)

Même parmi les anciens salariés, l’homme semble avoir laissé une trace forte. « C’est un type particulièrement honnête et cultivé, un mentor, un père pour ceux qu’il aime, et un enfer pour ceux qu’il déteste » indique Stéphane Boukris Président fondateur de GoingtoDigital, qui a travaillé plusieurs années pour lui. Une autre ajoute : « Descroix-Vernier à une force de caractère incroyable mais il peut être sans pitié. Il est parfois colérique et vindicatif. Le temps n’efface rien pour lui, il n’oublie rien, il ne lâche jamais ».

Etonnante conception du pardon pour cet homme qui se dit très croyant… « Son problème, c’est sa notion du « prochain ». Pour lui, « aimer son prochain », c’est aimer le plus pauvre, celui qui a besoin d’aide, pas le notable qui se comporte mal ou le dictateur » raconte le père Laurent Lenne, un de ses amis Prêtres. Un amour « sélectif » mais entier, qui l’a conduit à léguer de son vivant 100% de sa fortune à des ONG, et à crée sa propre fondation d’action humanitaire. Le père Lènne ajoute : «Il est un être de bonté qui dans cet univers impitoyable des affaires laisse grand place à la simplicité de l'Evangile, il est fait de ce bon bois qui résiste aux tempêtes".

En entreprise, JBDV est un manager respecté. « Jean-Baptiste n’est pas seulement un visionnaire. C’est un excellent gestionnaire qui sait partager. Chaque année il offre tous ses stocks options a ses salariés. Il n’en a jamais exercé un seul pour lui-même dans toute l’histoire de l’entreprise » indique Thibaut Faures Fustel de Coulanges, son bras droit, qu’il a nommé récemment à la tête de Be2Bill (voir plus bas). « C’est un gros bosseur et un insomniaque. On peut le joindre presque toute la nuit, on sait que soit il travaille, soit il prie, mais que dans les deux cas il répondra».

« Il a couvert »

Fin 2009 une des filiales de son groupe (Mailorama) a voulu distribuer de l’argent gratuitement sous la tour Effel pour promotionner le cash back. L’opération avait été annulée au tout dernier moment, « sur ordre », pour des raisons de sécurité. Le déchainement médiatique a été considérable et international. « Jean-Baptiste a tout assumé, il a couvert publiquement ses équipes, versé plus de 100 000 euros au secours populaire directement, et il en a pris plein la gueule. Deux ans plus tard la justice l’a lavé de toute responsabilité. Il n’a pas convoqué la presse, il n’a rien dit à personne» se souvient le fondateur de Mailorama, Cyril Dubreau. Selon nos informations, non seulement la justice l’avait blanchie, mais elle avait aussi condamné la préfecture de police de Paris à lui verser plusieurs milliers d’euros.
Enfermé dans sa discrétion, l’homme d’affaires avait reversé la somme à une ONG, et refusé toute communication.

Le même se rappelle de ce jour de 2010 ou JBDV a réuni tous ses cadres, toutes ses filiales : « il leur a dit qu’il allait casser la croissance de Rentabiliweb, volontairement. Qu’il allait dépenser une fortune en ponctionnant tous nos bénéfices pendant deux ans. Il voulait lancer sa Banque. Il a expliqué que notre cours de Bourse allait dévisser, qu’il ne faudrait pas paniquer, croire en lui et foncer. On l’a tous suivis, il a restructuré le groupe sans faire un seul plan de licenciement, et on a créé Be2Bill »

Et JBDV avait raison… Le cours de Bourse a effectivement dévissé (divisé pratiquement par 4), il a investi des millions d’euros, et en janvier 2011 pour la première fois en France un pure player d’internet a obtenu l’agrément de la Banque de France pour être établissement de paiement. 6 mois plus tard Rentabiliweb recréait la surprise en entrant au GIE Carte Bancaire, et l’année d’après la solution de paiement Be2Bill était commercialisée auprès des marchands du web. Unanimement reconnue comme plus performante que les solutions des banques traditionnelles, La machine était lancée, et bien lancée. Les plus belles marques du E-commerce adoptent chaque mois son système de paiement par carte bancaire, c’est près d’un milliard d’euro de transactions (750 millions d’euros minimum, annoncés par l’entreprise) qui sont visés dès cette année. Son équipe dédiée à ce projet est passée de 15 à 80 personnes (ses « ninjas ») en à peine un an… et le cours de Bourse de Rentabiliweb est reparti à la hausse…

Isolé dans sa technopéniche avec ses chats et ses écrans, le stratège JBDV doit sourire, sourire de voir tomber tout cet argent, lui qui avait tout prévu. Sourire en pensant à sa fondation qui pourra, cette année encore, financer des puits en Afrique avec Hydrauliques sans Frontière ou aider le professeur Beaulieu dans ses recherches contre la maladie d’Alzheimer. Il doit sourire, lui, l’improbable ninja philanthrope-agoraphobe, le sourire discret d’un homme serein ou malicieux, qui sait, le sourire d’un homme « qui ne lâche jamais ».

Jean-Baptiste Descroix-Vernier en quelques chiffres

42 ans
250 salariés environ au sein de Rentabiliweb
750 millions d’euros minimum de transactions attendus en 2013
2500 tweets, pas tous politiquement corrects.
50 000 foyers alimentés en eau potable via sa fondation
1 refuge d’accueil pour chats martyrisés à Grenoble
165 hectares de terres agricoles dans le centre de la France
Vit à Amsterdam depuis plus de 10 ans

Edit du 05/02/2015:

Le 29 janvier dernier, Descroix-Vernier a confié sur France 2, dans Complément d’Enquête, se verser seulement 3 900€ nets de salaire! Retrouvez le replay de l'émission ici: https://www.youtube.com/watch?v=GxNli3l0V-w

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Julien Hatier est éditeur de sites web. Il vous fait partager sa passion, en vous proposant régulièrement des coups de projecteur sur des personnalités du numérique.