Sauvons notre système de santé à partir des territoires de santé publique

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Par Didier Castiel Publié le 3 août 2018 à 7h51
Medecin
2,5 millions2,5 millions de Français vivent dans un désert médical.

Le système de santé et son avenir ne fait plus débat depuis de nombreuses années. La pauvreté des propositions de la part des politiques témoignent de l’absence d’enjeux majeurs en la matière. La seule proposition consiste à rendre accessible les soins dentaires (prise en charge à 100 % des couronnes dentaires visibles) et à baisser les prix des lunettes pour les usagers. Certes, c’est une nécessité, puisque les dentistes des pays de l’Est ne comprennent pas pourquoi les Français viennent chez eux faire du tourisme médical. Mais c’est faire fi de toutes les autres difficultés de notre système. Et elles sont nombreuses. Panorama rapide des difficultés et proposition de solution.

La prévention : que pour les riches !

Elle est quasi inexistante dans notre pays, puisque notre système de santé s’est assis principalement (à plus de 97%) sur une base curative et non préventive. L’adoption de comportements favorables à la santé comme 30 minutes de marche par jour, pas de tabac, très peu d’alcool et surtout une nutrition équilibrée (5 fruits et légumes par jour), permet d’augmenter l’espérance de vie de 14 années par rapport à ceux qui n’ont pas la possibilité de les adopter. Autrement dit, la prévention ne favorise que ceux qui ont les revenus suffisants pour y accéder. Pour les autres, rien n’est fait et les inégalités s’accroissent.

La médecine ambulatoire : un paradoxe !

De nos jours, la France n’a jamais compté autant de médecins et pourtant, comble du paradoxe, la situation des déserts médicaux ne cesse de s’accroître. En 2016, plus de 2,5 millions de personnes vivaient dans un désert médical et étaient concernées par des difficultés d’accès aux soins de premier recours (y compris des difficultés financières nées du dépassement d’honoraires parfois systématisé dans certains départements).

L’hôpital : un triste record

La France détient trois records mondiaux avec son financement de l’hôpital à l’activité (T2A) : la plus rapidement mise en place, la seule finançant à 100% l’hôpital et la plus complexe. Avec la T2A, on assiste à une remise en cause du service public et un accroissement des inégalités. En effet, la T2A fait courir le risque d’élimination des services qui prennent en charge des patients complexes, rentrant difficilement dans le moule de la T2A, puisque cette dernière, en réalité, est incapable de décrire toute la complexité de la prise en charge hospitalière. L’hôpital laisse aujourd’hui la place aux patients les plus simples (sans complications, au diagnostic facile à établir), les autres prenant le risque d’être exclus du système. La T2A fait aussi courir le risque d’orienter les activités vers celles jugées financièrement plus rentables, mais pas forcément en lien avec les besoins effectifs de la population. Le risque existe bien de voir émerger une production de soins complètement décalée par rapport à la demande (besoins) des patients.

La situation reste donc préoccupante. La sphère politique s’intéresse peu aux questions de santé et c’est une singularité franco-française qui peut s’expliquer par la peur de nouvelles crises sanitaires, de procès, mais surtout de sanctions électorales. Le système semble être alors en déconstruction, en perte de repères, de principes et surtout de recherche d’excellence.

Pourtant, selon le Baromètre Santé 360 « La place de la santé dans le débat public et électoral » réalisé par ODOXA et présenté le 14 novembre 2016, pour la population et les professionnels de santé, la préservation du système de santé et d'assurance maladie est la troisième priorité absolue dont devrait s'occuper le Président de la République.

Une réponse nécessaire : l’approche territoriale

Une approche par territoires de santé doit être construite afin de « sauver notre système de santé et d’assurance maladie », pour reprendre les termes du dernier ouvrage de Pierre-Henri Bréchat. C’est le seul moyen d’obtenir une répartition équitable de tous les équipements, produits et services sanitaires. L’objectif est alors de réduire l’écart entre le territoire le moins peuplé et le plus peuplé. Traditionnellement, les moyens sont plus nombreux dans les territoires les plus peuplés, sans considération toutefois d’une répartition des moyens au prorata effectif des besoins de la population vivant sur un territoire donné.

Le territoire de santé publique, à notre sens, ne doit en aucune façon se limiter à la région et ce, d’autant plus que le nombre de régions a été diminué (13 régions contre 22 avant la réforme). Et c’est une erreur.

Ainsi, les collectivités territoriales doivent être engagées avec l’État (préfectures, Agence Régionale de Santé-ARS), l’assurance maladie et la population (citoyens et usagers) pour l’évaluation des besoins et les choix des moyens pour y répondre. L’égalité, la proximité et la continuité doivent être recherchées.

Une région donnée doit pouvoir rassembler trois types de territoires de santé publique :

- Le premier est délimité par des besoins de santé de populations par zones géographiques particulières.

- Le deuxième est délimité par des besoins de santé de population épousant des découpages administratifs.

- Le troisième correspond à des besoins de santé de populations par découpage géographique en fonction d’un nombre d’habitants.

La direction du territoire de santé publique serait en charge de la mise en œuvre, de la gestion et du suivi continu des unités territoriales. Cette unité territoriale permettrait de simplifier les organisations infra-régionales, ainsi que leur gestion, tout en donnant partout à la population des lieux uniques et accessibles de soins de santé intégrés, sans ségrégation. Elle serait composée :

- de centres de santé pluridisciplinaires (CSP) où exercent des médecins généralistes en lien avec d’autres professionnels de santé et des services sociaux. Des actions de prévention y seraient développées ;

- d’hôpitaux locaux de deuxième ligne, hôpitaux de référence des CSP ;

- des centres de moyen et de long séjour, ainsi que des centres de réadaptation ;

- de réseaux de services sanitaires et de services sociaux permettant de fédérer et d’organiser des offres de prévention, de soins, y compris les soins médico-sociaux.

Le financement de ces territoires de santé publique devrait être assis sur la qualité et les besoins de santé des populations relevant du territoire donné au coût le plus supportable pour la population, soit les objectifs du « Triple Aim » conceptualisé par Donald Berwick et l’Institute for Healthcare Improvement (IHI) américain, fondement absolument nécessaire de la transformation du système de santé et d’assurance maladie.

Bref, la nécessaire réforme de fond du système de santé, devrait avant tout être une réforme des habitudes et des mentalités. Une vraie révolution culturelle avant tout… Qui aura le courage de s’atteler à un tel chantier ? Même si une réforme telle que l’article 51 de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale (LFSS) qui vise à expérimenter des organisations innovantes avec un objectif d’efficience et de meilleure prise en compte de la prévention et de la qualité des soins, va dans le bon sens, il faut aller plus loin et plus vite. La question est donc lancée vers qui veut la prendre !

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Didier Castiel est enseignant-chercheur en économie de la santé à l'Université Paris-Nord 13 (UFR Santé, Médecine et Biologie Humaine). Il s'intéresse plus particulièrement aux questions de solidarité et d'inégalités dans le système de santé. Ses derniers travaux de recherche portent sur l'allocation des ressources en faveur des plus défavorisés, dans une démarche de préservation de la solidarité. Site internet : www.castiel.eu

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