Limiter les écarts de revenus : une nécessité pour la croissance

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Par Modifié le 30 janvier 2013 à 11h02

Le romain Publius Publicola proposait un écart maximal de 12 entre la superficie du terrain dévolu au citoyen ‘de base’ et celle accordée au sénateur. Au début du xxème siècle, le banquier J.P. Morgan définissait l’écart maximal légitime entre rémunérations dans une même entreprise de 1 à 20. Aujourd’hui, dans les multinationales, les écarts de salaire peuvent aller de 1 à 1000… Face aux critères mouvants concernant les inégalités socialement ou moralement acceptables, quels repères se donner ? Une diminution des écarts de revenus favorise-t-elle l’efficacité économique aussi bien que l’équité sociale ?

Plusieurs éléments sont à considérer en faveur d’une réduction des écarts de revenus, et plus particulièrement des écarts de rémunérations dans les entreprises. Tout d’abord, il n’y a pas un marché des hauts dirigeants, comme certains le disent : beaucoup de ‘hauts potentiels’ ont les mêmes compétences, et il n’est pas vrai qu’un dirigeant d’une entreprise d’origine française soit forcément à même de gérer une entreprise dans un autre pays. De plus, les marchés sont défaillants, mal régulés, et favorisent l’émergence de bulles spéculatives qui se répercutent sur des salaires astronomiques de certains. Or ces très hauts revenus ne correspondent pas à une compétence exceptionnelle qui serait rémunérée sur un marché allouant équitablement le risque et le capital.

Par ailleurs, le maintien des plus bas salaires au niveau minimal fixé par la loi a des effets pervers pour les finances publiques, puisque celles-ci doivent parfois compléter les prestations sociales à destination des familles les plus pauvres. Une diminution des plus hauts salaires permettrait une augmentation significative des bas salaires, comme le montre le calcul fait par Emmanuel Faber pour le groupe Danone dont il est le vice-président : diminuer de 30% la rémunération du centile le mieux payé permettrait de doubler le salaire des 20% les moins payés du groupe. Ceci contribuerait à diminuer les dépenses publiques.

D’autre part, l’argument selon lequel le salaire – notamment dans sa part variable sous formes de primes et bonus – représente une incitation forte à un travail de qualité et à une fidélisation des salariés doit être mis en perspective avec la multitude d’expériences et d’initiatives actuelles, notamment dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, qui montrent comment le niveau de salaire est loin d’être la seule motivation des salariés : la question du sens est décisive chez nombre d’entre eux.

De surcroit, du point de vue éthique et politique, la survalorisation du salaire de certains apparait largement déconnectée de la réalité de l’utilité sociale du travail effectué. Ce qu’on appelle la valeur de Shapley (du nom de l’économiste qui a reçu cette année le prix Nobel) est le calcul de la contribution d’une personne à un bien collectif : on mesure la réduction de bien-être collectif (de création de valeur économique) provoquée par l’absence de cette personne/compétence. Ainsi nous savons qu’en cas de plan Orsec, ce sont l’aide-soignante, le policier, le militaire qui seront particulièrement mis à contribution et indispensables au bien-être collectif.

Hypertrophier la dimension financière revient à accorder une place disproportionnée à la sphère marchande dans l’existence humaine. Ceci freine la capacité et le goût de se réaliser dans d’autres dimensions. Ceci a des conséquences graves à la fois pour la qualité du tissu social et pour la qualité des relations avec l’écosphère. L’augmentation des revenus de quelques uns entraine une augmentation des inégalités, dont il est prouvé qu’elles détériorent le tissu social et augmentent les dépenses publiques de santé et de prévention de la violence. Elle favorise aussi une détérioration des écosystèmes puisque le mode de vie des plus riches contribue fortement à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, et à des comportements insoutenables.

Comment faire mûrir la réflexion ? Il s’agit avant tout de faire de cette question un enjeu du débat public. A propos de la pertinence d’une échelle de revenus raisonnée qui inclurait donc un plafond, un sondage exclusif réalisé en septembre 2011 sur un échantillon représentatif de la population française montre que le montant maximal proposé en moyenne par les personnes interrogées est de 15 672 euros ; sachant que le SMIC est inférieur à 1400 euros bruts, l’écart considéré comme légitime en France entre le plus bas et le plus haut revenu est de 1 à 11. Ne faut-il pas considérer que derrière ces estimations intuitives résident une sagesse et un ensemble de repères éthiques auxquels il serait vital de se référer ?

Pour conclure, une prise de conscience commune peut-elle voir le jour ? Il s’agirait de reconnaitre qu’une société moins inégalitaire est plus démocratique et a toutes les chances d’être plus heureuse car les sentiments d’injustice et les rancœurs qui détruisent le tissu social y sont moindres. Entre un revenu-plancher qui assure les conditions d’une vie digne et un plafond au-delà duquel la fragmentation sociale domine tandis que s'épuisent les ressources planétaires, s’ouvre un espace pour le vivre ensemble : accorder moins d’importance aux ressources matérielles, aux biens, permet de retrouver le sens des liens et de la relation à l’autre.

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