Hypocrites !

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Par Thierry Calvat Publié le 15 février 2022 à 6h19
Ehpad Maison De Retraite
2004 EUROSUne chambre en Ehpad en France a un prix médian de 2.004 euros par mois en France.

Alors que les grands groupes d’Ehpad défraient désormais la chronique, nous devons légitimement nous interroger sur les raisons profondes de la piètre prise en charge des personnes âgées dans notre pays. L’hypocrisie qui se dégage du concert des réactions outragées témoigne ainsi d’un rapport biaisé entre les générations, les mieux portantes souhaitant par-dessus tout ne pas se voir entravées dans leur liberté.

Les débats engagés sur la question – la légitimité ? – des Ehpad ont clairement pris pour cible les grands groupes en les accusant au mieux de négligence et au pire de malhonnêteté. On notera au passage que l’argument qui consiste à les accuser de vivre de la vulnérabilité de leurs résidents ne tient pas une seconde puisque l’économie – et avec elle toute activité humaine – se nourrit précisément de la vulnérabilité d’un tiers, de son manque, de ses besoins. Il ne viendrait ainsi à l’idée de personne de blâmer les fabricants d’automobiles de nous faire payer notre incapacité ontologique à ne pouvoir nous déplacer rapidement, ou bien encore les opérateurs de télécommunications de facturer un moyen d’échange avec des proches vivant au bout du monde alors que les lois élémentaires de la physique nous empêchent de les voir au rythme que nous voudrions.

Sur le front du vieillissement, la riposte désormais s’organise, laissant le camp du bien se livrer à son activité favorite : livrer ça et là à la vindicte quelques noms judicieusement choisis, opposer logique privée et logique publique, ou mieux encore réclamer davantage de contrôle et de transparence, en parfait arbitre des élégances. Et cela sans jamais reconnaître la vanité foncière de ce tumulte fracassant et dont hypocrisie est l’autre nom.

L’hypocrisie, c’est celle de centaines de soignants se réveillant subitement pour pointer des pratiques dont ils sont témoins depuis des mois ou des années, révélant à l’occasion une vocation tardive de lanceur d’alerte flirtant dangereusement avec celle des ouvriers de la onzième heure.

L’hypocrisie, c’est aussi celle de milliers de familles dont les appels affluent au rythme de leurs plaintes et qui dénoncent l’inqualifiable comportement de structures dont elles n’ont pourtant pas été si pressées de retirer leurs proches âgés.

L’hypocrisie, c’est enfin celle de pouvoirs publics – et bien plus largement de la société tout entière – s’émouvant en différé d’une situation dramatique, sans que les nombreux signes avant-coureurs n’aient jamais produit le moindre changement salutaire dans leur approche.

Peut-on pour autant les et nous blâmer ? Si L'hypocrisie est l'art de cacher ses intentions, ou de tricher sur ses sentiments ou ses pensées, sans doute peut-on la considérer comme le cache sexe d’une tendance plus profondément, pour ne pas dire insidieusement, à l’œuvre au sein de nos sociétés industrielles, gavées d’un progrès qui se conjugue toujours avec l’acquisition de droits nouveaux : droit à toujours plus se déplacer, vivre plus longtemps, être mieux reconnu ou accompagné ….

C’est bien cette dynamique illimitiste que le vieillissement vient fracasser. Sa prise en charge oblige à poser des choix, faire des arbitrages ou, pour le dire autrement, accepter une certaine forme de contrainte à laquelle la course à l’individuation nous prépare de moins en moins.

L’échec de l’Ehpad rejoint donc avant tout notre incapacité au sacrifice, que ce soit au plan individuel ou au plan collectif, au profit d’une cause venant possiblement menacer à des degrés divers ce qu’il faut bien appeler notre rente personnelle. Ce faisant, nous nous comportons comme un boutiquier qui, désireux de maximiser ses marges, n’hésite pas à faire appel à des fournisseurs certes douteux mais aux tarifs irrésistiblement attractifs… tout en déplorant évidemment leur impardonnable absence d’éthique.

Ce qui n’est pas éthique, c’est pour la plupart d’entre-nous de nier la réalité de notre refus de sacrifier notre vie personnelle, sociale, professionnelle pour nous occuper de nos aînés et de déléguer cette tâche à un tiers parfois « d’inconfiance ».

Ce qui n’est pas éthique, c’est de privilégier dans nos investissements publics les promesses d’un avenir dont on ne sait rien plutôt que d’en consacrer une part pour reconnaître les vertus du passé que porte en elle la personne âgée.

Ce qui n’est pas éthique, c’est aussi de ne pas trancher dans nos conflits de valeurs et d’accepter un entre-deux rassurant, même s’il est inconfortable en certaines occasions.

La séquence qui s’ouvre à propos des lieux futurs du vieillissement est loin d’être close. Espérons qu’au-delà des mesures techniques qu’elle fera émerger, elle puisse être l’occasion d’interroger de façon plus large l’état du lien intergénérationnel dans notre pays. Pour l’heure, il est hélas en état de mort clinique.

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Président de l’Association Juris Santé

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