BNP Paribas : Quand les lois américaines deviennent mondiales

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Par Jean-Paul Betbèze Modifié le 29 novembre 2022 à 10h09

Avec ce qui se passe pour la BNP, les lois américaines sont-elles devenues des lois mondiales ? Question légitime quand on voit la série de sanctions imposées à la BNP (demande de « plaider coupable », 8 milliards de dollars de pénalités, arrêt temporaire d'activité bancaire aux Etats-Unis, demande de départs de responsables de la banque). Cette série frappe par son importance et plus encore par la raison avancée : avoir mené des opérations en dollars avec des pays sous embargo américain, hors du sol américain.

La BNP n'est pas seule : Argentine, Barclays, produits dérivés prouvent cette tendance à l'ex-territorialisation des lois américaines. Argentine : la Cour suprême américaine vient de la condamner à payer l'intégralité de sa dette extérieure, alors même qu'elle avait conclu un accord d'abandon partiel de créances dans le cadre du club de Paris, abandon signé par ses principaux créanciers. La raison : un acheteur (américain) de ces bons conteste le traitement qu'il ne juge pas explicitement prévu dans le prospectus. Que deviennent alors les accords de Londres et de Paris qui traitent les cas de défauts souverains ? Barclays : la banque anglaise est accusée d'avoir vendu des produits dans lesquels se trouvait une part importante de produits de trading haute fréquence. L'avait-elle dit assez explicitement ? A-t-elle avantagé la place de Londres ? Produits dérivés : la SEC (Securities and Exchange Commission, le « gendarme de la bourse ») se demande comment suivre partout une US person recourant à ce type de produit financier...

Ceci ne date pas d'aujourd'hui. En 1966, la loi d'Amato-Kennedy interdit tout investissement (américain ou non) dépassant 20 millions de dollars par an effectué dans le secteur de l'énergie en Iran et Lybie. La même année, la loi Helms-Burton étend aux entreprises non américaines l'embargo vis-à-vis de Cuba. Depuis des années, l'Agence américaine OFAC (Office of Foreign Assets Control) suit les pays sous embargo financier américain et étend à tous les sanctions prévues en cas de manquement tandis que le Foreign Corrupt Practices Act de 1977 permet aux Etats-Unis de regarder toute transaction réalisée en dollars. Ceci sans oublier Fatca (Foreign Account Tax Compliance Act), où les pays du G5 (France, Allemagne, Italie, Espagne et Royaume-Uni) se sont engagés à indiquer au Trésor américain les comptes détenus par les citoyens et résidents permanents américains. Fatca doit fonctionner à partir du 1er juillet 2014.

Deux questions se posent donc, juridique (et politique), monétaire (et politique). La question juridique est : est-ce que « payer en dollar » représente un « lien de rattachement » suffisant pour que les lois américaines s'appliquent ? C'est une question à traiter à l'OMC. La question monétaire est : si on paye en euros ? C'est une question à traiter dans le traité de libre-échange entre Etats-Unis et Europe – qui n'y figure pas vraiment.

Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre les enjeux : pour mener la guerre contre les états voyous et leurs pratiques condamnables, ce qui est bien, les Etats-Unis empêchent leurs entreprises de commercer avec eux. Celles-ci se plaignent alors au pouvoir américain car, disent-elles, c'est là une aide directe aux entreprises des autres états qui continuent, elles, de commercer.

Pour éviter cette guerre des lois dans un monde où les tensions vont augmenter, trois solutions : globaliser, se renforcer, payer en euros. Globaliser l'interdiction de commercer avec des états jugés voyous, c'est la morale qui gagne, mais prendra du temps. Se renforcer et prévoir des clauses symétriques dans les accords internationaux, notamment entre Europe et Etats-Unis, c'est la politique qui œuvre, avec ses incertitudes. Passer par l'euro, mais en surveillant ce qui se fait. Il ne faut évidemment pas que l'euro devienne la monnaie des financements voyous, mais au contraire se renforce avec des lois et des surveillances comparables à celles des Etats-Unis (un « parquet européen » spécialisé ?). Cette symétrie permettra à tous d'aller plus vite, de façon plus sûre et de retrouver morale et efficacité.

Vous pouvez lire plus d'articles de Jean-Paul Betbèze sur son site www.betbezeconseil.com.

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Jean-Paul Betbèze est PDG de Betbèze Conseil, membre de la Commission Economique de la Nation et du Bureau du Conseil national de l'information statistique (France), du Cercle des économistes et Président du Comité scientifique de la Fondation Robert Schumann. Professeur d'Université (Agrégé des Facultés, Professeur à Paris Panthéon-Assas), il a été auparavant chef économiste de banque (Chef économiste du Crédit Lyonnais puis Chef économiste & Directeur des Etudes Economiques, Membre du Comité Exécutif de Crédit Agricole SA) et membre pendant six ans du Conseil d'Analyse économique auprès du Premier ministre. Il est l'auteur des ouvrages suivants:· "Si ça nous arrivait demain..." aux éditions Plon, Collection Tribune Libre· "2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France" aux Editions PUF, 2012.. "Quelles réformes pour sauver l'Etat ?" avec Benoît Coeuré aux Editions PUF, 2011.. "Les 100 mots de l'Europe" avec Jean-Dominique Giuliani aux Editions PUF, 2O11. "Les 100 mots de la Chine" avec André Chieng aux Editions PUF, 2010. Son site : www.betbezeconseil.com

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