L’euro tue-t-il notre industrie et nos exportations ?

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Par Aloïs Navarro Publié le 13 août 2014 à 2h22

Il est souvent fait allusion à l'euro comme vecteur essentiel de la mort lente de notre industrie nationale. Est-ce vrai ou bien un simple fantasme ?

Premièrement, attachons nous aux faits :

L'emploi dans l'industrie manufacturière en France a chuté de 20% depuis 2001 et les parts de marché de la France dans le monde de 40% entre 1998 et 2010. Cette dégradation est uniformément répartie puisque la perte des parts de marché se réalise avec l'ensemble des partenaires commerciaux (graphique 1).

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Graphique 1

Certes, nous disposons du même taux de change nominal que les autres membres de la zone euro. Cependant, il faut regarder les choses en termes réels, c'est-à-dire en prenant en compte les différentiels d'inflation et d'évolution des coûts entre les différents pays. (graphique 2).

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Lecture : le coût salarial unitaire (qui mesure le rapport entre le coût du travail et la productivité) a augmenté de 2% en Allemagne de 2000 à 2010, et d'environ 23% en France.

Le taux de change effectif réel déflaté par les coûts ( qui mesure le taux de change d'un pays à l'égard de l'ensemble de ses partenaires en prenant en compte ses coûts salariaux) a augmenté de 12% en France durant la période 2000-2010 et de 2% en Allemagne.

Le taux de change effectif réel déflaté par les prix ( en prenant en compte les différences d'inflation) a augmenté de 7,5% en France, contre 6% en Allemagne.

On s'aperçoit que les coûts salariaux unitaires (rapport entre coût du travail et la productivité) ont augmenté moins vite en Allemagne qu'ailleurs. Ainsi, cette dernière a gagné en compétitivité-prix (compétitivité par rapport au prix des produits vendus) au détriment de ses « partenaires », suivant ainsi une politique non-coopérative de « beggar-thy-neighbour » (exploitation du voisin) en « mangeant » les parts de marché et les capacités de production manufacturière (cf graphique 3).
Dans une moindre mesure, les écarts d'inflation ont aussi joué un rôle suivant le même mécanisme (une inflation plus élevée diminue la compétitivité-prix).

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Graphique 3

Cependant, une taux de change unique interdit de répliquer par une dépréciation du change, et l'unique solution est alors la course à la « dévaluation fiscale » (baisse des charges pour les entreprises, augmentation des impôts pour les ménages, par exemple), ou à une politique déflationniste (baisse des salaires).

Deuxièmement, et contrairement à ce qu'on entend y compris dans la bouche d'économistes, le taux de change de l'euro affecte le commerce intra-zone, par un mécanisme simple. Prenons l'exemple d'une automobile : si l'euro s'apprécie, il devient plus avantageux pour un allemand d'acheter une voiture coréenne que française (de même niveau de gamme).C'est ce qu'explique le professeur Werrebrouck. (« Pour autant, cet environnement est négativement affecté par la hausse du taux de change : des exportateurs originaires de l'extérieur de la zone euro viennent concurrencer en Italie les exportations françaises. (...) Chaque Pays voit ses exportations affectées dans la zone par la présence de marchandises substituables importées depuis l'extérieur de la zone »1)

Il y a donc un lien évident entre l'euro et la perte des parts de marché déjà révélé en 2008 dans une étude de l'INSEE. (cf graphique 4).

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Graphique 4

Ceci s'explique par la forte élasticités-prix (sensibilité des produits au prix) des exportations françaises : la demande étrangère est très sensible au prix des produits français et au taux de change. Si le taux de change de l'euro augmente de 1%, la demande pour les biens exportés français diminue de 1,1% contre 0,2 en Allemagne ! En d'autres termes, l'Allemagne est insensible à l'augmentation du taux de change de l'euro, quand la France en est largement affectée. Ceci est attesté par le propre modèle économique du ministère des finances (pour toute appréciation de l'euro de 10%, l'impact sur le PIB est de -1,2 point au bout de 2 ans).

La forte sensibilité des produits exportés français au taux de change s'explique par l'absence de « montée en gamme » de l'industrie française.

Selon P.Artus, dans la période 1970-1980, la dévaluation permettait de soutenir la compétitivité et la profitabilité malgré le faible niveau de gamme.
Dans les années 1990, la perte de compétitive de l'Allemagne (due à la réunification) a protégé l'industrie français (d'où un excédent commercial durant cette période).
Mais, dès la fin des années 1990 et au début des années 2000, la concurrence des pays émergents à faibles coûts salariaux et la politique de cavalier solitaire de l'Allemagne (expliquée plus haut) et l'impossibilité de dévaluer pour la France, ont conduit à l'apparition puis l'accroissement du déficit extérieur.

Par ailleurs, conformément à l'effet Eichengreen-Krugman4, les pays du nord ont siphonné les capacités de production des pays du Sud. (cf graphique 6 plus haut) ... Les pays périphériques doivent alors se contenter d'emplois dans les services, moins rémunérateurs, et aux faibles gains de productivité.


L'euro est condamné à être inadapté et à faire des mécontents :

Il existe deux mouvements asymétriques :

L'industrie manufacturière française est très sensible au taux de change de l'euro tandis que le reste de la zone euro (l'Allemagne) peut se satisfaire d'une monnaie surévaluée (cf Tableau 1). Le Taux de change est le seul élément « d'asymétrie » entre la France et la Zone euro (ou plutôt l'Allemagne). En effet, lorsqu'on regarde le coût des matières premières ou des services aux entreprises, ceux-ci ont un impact similaire sur le prix de vente final des produits industriels français et allemands (la corrélation est équivalente dans les deux cas)5.

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Tableau 1

L'effet « prix de vente» montre l'impact d'une hausse de l'euro sur le prix de vente final des produits exportés français et allemands. On voit très largement (avec une corrélation satisfaisante de -0,8), que lorsque l'euro s'apprécie, les entreprises françaises sont obligées de diminuer leur prix de vente (puisque les produits sont devenus plus chers relativement au dollar par exemple), en rognant sur leurs marges.

En revanche, pour l'Allemagne, la corrélation est positive, cela signifie que les entreprises exportatrices allemandes réussissent à faire « passer » dans leur prix de vente l'augmentation de l'euro, sans que cela ne les pénalise.

L'effet « prix des consommations intermédiaires » détermine l'impact d'une hausse ou baisse de l'euro sur le prix des produits importés par les entreprises nationales, nécessaires à la production du produit final (qui sera réexporté). Une hausse de l'euro permet de réduire le coût de ces consommations intermédiaires importées.
En France, l'effet « prix de vente » l'emporte sur l'effet « consommations intermédiaires», et l'inverse pour l'Allemagne, d'où l'asymétrie.

Ceci est par ailleurs corroboré par direction générale du Trésor de février 20146 : (graphique 8)

« La détérioration de la contribution des produits « prix » au solde commercial français peut donc être ramenée à la progression peu favorable de leurs exportations, qui s'expliquerait au moins pour partie par la dégradation de la compétitivité-prix française entre 2000 et 2011 sous l'effet notamment de l'appréciation de l'euro. (...) La bonne tenue de l'excédent « qualité » confirme pour sa part la performance honorable de la France en termes de compétitivité hors-prix ».

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Graphique 8

Lorsque l'euro monte, la balance commerciale concernant les produits sensibles au prix diminue largement, alors que les biens dits de « qualité » ne bougent pas.

Le problème essentiel de l'euro est donc institutionnel : il ne peut satisfaire tout le monde sans faire des insatisfaits. Il organise ainsi la guerre économique, en permettant aux pays les plus performants de capter et de manger les parts de marché des autres, mais aussi leur capacité à produire !

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Aloïs Navarro est étudiant en Master de Droit et d'Economie, passionné par les questions monétaires et notamment l'euro. Il est également trésorier du collectif Marianne.

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