Emploi des seniors : la compétence n’est pas une question d’âge

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Par Rodolphe Delacroix Publié le 15 mars 2014 à 7h30

« Une loi pour rien », tel était le titre de ma tribune sur les contrats de génération il y a un an lors du vote de cette réforme. Réforme sympathique en apparence - l’idée de lier l’avenir d’un jeune à celui d’un senior peut séduire - mais réforme inutile tant elle ne répond à aucune des réalités économiques de nos entreprises, pas plus d’ailleurs que son ancêtre, les plans seniors !

En effet, ce n’est pas en multipliant les aides publiques de l’Etat (2 000 € et par jeune embauché et par senior maintenu en poste) que l’on va inciter les PME, cœur de notre tissu économique, à créer des emplois, mais bien en faisant tout pour alimenter leur carnet de commande. Aujourd’hui la réalité des statistiques est cruelle : si le chômage des moins de 25 ans baisse depuis avril dernier, passant de 792 600 demandeurs d’emploi toute catégorie confondues à 771 000 en décembre dernier ; celui des plus de 50 ans, lui, ne cesse de croître, passant de 989 200 à 1 055 100 entre avril et décembre 2013. Le constat est rude et les explications limpides : le chômage des jeunes baisse, car dopé par quelques 100 000 contrats aidés, quand les destructions d’emplois des seniors ne cessent de s’amplifier, faute de redémarrage de l’activité et donc d’emplois dans le secteur privé.

Et si le ministre du Travail, Michel Sapin, assume pleinement que le moteur des emplois aidés dans les collectivités publiques est utile à nos jeunes générations, il oublie plus facilement l’impact quasi nul des contrats de génération.

Le contrat de génération, une opportunité gâchée !

L’objectif du gouvernement était d’atteindre les 75 000 contrats de générations en mars 2014, nous avons difficilement dépassé les 20 000 à la fin décembre. Si ce contrat ne marche pas, ce n’est pas qu’il est mal outillé, c’est simplement que la boîte à outils, elle-même, n’est pas à la hauteur du chantier auquel nous faisons face.

La France se meurt d’être le pays européen où l’emploi est le plus concentré sur les 25-50 ans. Il suffit de regarder les chiffres de l’activité des seniors en Europe: autour de 60- 70 % en Allemagne, au Royaume-Uni, dans les pays nordiques, et seulement 44 % en France. Nous sommes encore un des rares pays à n’avoir toujours pas atteint l'objectif de 50 %, fixé par Bruxelles à tous les pays de l’UE. Pourquoi ? Nos seniors ne sont pas moins qualifiés, ni moins engagés pour travailler plus longtemps que nos voisins ! Non deux obstacles inscrits dans notre logiciel, et visibles dans nombre des politiques RH de nos entreprises, empêchent tout changement de fond de notre système.


Un gap compétence/coût qu’il faut avoir le courage d’affronter !

C’est une réalité trop souvent omise dans notre pays mais, selon l’OCDE, la France est aujourd’hui, le seul pays où, quelle que soit l’évolution de la productivité d’un salarié, son salaire augmente avec l’âge ! Prime à l’ancienneté au mépris de la compétence ! Au final, nos seniors coûtent chers, très chers simplement du fait de leur âge, ce qui finit forcément par poser le problème de leur employabilité ! Pire, en plus de coûter plus cher que les autres, ils sont trop souvent encore délaissés et mis au banc de la formation continue et de l’accompagnement RH au sein des entreprises pour gérer leur évolution de carrière.

Car ne nous y trompons pas, un salariés de 50 ans aujourd’hui a encore 15 ans de vie professionnelle devant lui ! Or là encore, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 2 entreprises sur 3 n’investissent pas dans la formation des seniors et 85 % des seniors restent aujourd’hui sans bilan de milieu de carrière. Pour changer les mentalités, changeons déjà nos discours au sein des entreprises et des directions RH ! Oui, un senior peut être une richesse pour l’entreprise. De par son expérience, sa connaissance des parties prenantes, sa plus grande capacité de recul face à une situation de conflit, il peut devenir un aiguillon utile pour des managers, souvent plus jeunes, avec qui il devra apprendre à collaborer.

La compétence n’est pas une question d’âge !

Le « jeunisme » concentré sur les 30-50 ans tue notre système social tout comme la défiance envers nos jeunes actifs assèche la confiance de cette fameuse génération Y dans l’avenir de son pays. Et pourtant, un salarié de 55 ans n’est pas voué à une voie de garage pour attendre une hypothétique retraite ! Le système des préretraites est une période révolue, il faut en faire son deuil ! Regardons ce que font nos voisins : l’Allemagne, par exemple, prend en charge le différentiel de coût lié à l’embauche d’un senior d’une grande entreprise par une PME, et ça marche ! L’enjeu est d’autant plus important que la question de l’emploi senior en conditionne bien d’autres ! Quel intérêt y a-t-il à reculer l’âge de la retraite, si on ne règle pas avant la question de l’emploi des 55 – 64 ans ? Sinon le risque de s’infliger une double peine : payer davantage d’allocations chômage sans gagner plus de cotisations salariales ! Etrangement, les pays nordiques ont d’abord réformé l’emploi senior pour atteindre un niveau acceptable d’activité parmi les 55-64 ans avant de s’attaquer à la réforme des retraites.

La France reste engluée dans des logiques comptables et forcément, il en découle des réponses qui ne sont pas à la hauteur des difficultés auxquelles elle doit faire face. Ce n’est qu’en généralisant la formation continue tout au long de la carrière, ainsi que les entretiens de milieu de carrière à 50 ans pour développer les compétences des seniors et générer des passerelles d’évolution, que l’on pourra engager ceux-ci à se concentrer sur leur employabilité et envisager l’avenir avec envie ! En 2012, j’avais publié un ouvrage, « Si Senior ! Travailler plus longtemps en entreprise, c’est possible » car la situation était plus que préoccupante. Aujourd’hui, au train où vont les choses, l’urgence est telle que j’ai bien peur de devoir me lancer dans la rédaction du tome 2 : « Si Senior, Travailler plus longtemps en entreprise, c’est vital »…

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Directeur du Département Communication et Gestion du changement chez Towers Watson France, est l'auteur de l'ouvrage "Si Senior! Travailler plus longtemps en entreprise, c'est possible", paru en 2012 aux éditions Lignes de repères.

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