La marque est un actif des plus stratégiques pour de nombreuses sociétés

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Par Rita Chraïbi Publié le 19 octobre 2013 à 2h48

Depuis plusieurs années, l'analyse et l'évaluation des marques suscitent un intérêt certain au sein des directions marketing, stratégique, juridique ou financière des entreprises. Estimer la valeur de marché d'une marque, mettre en place des indicateurs de suivi de la performance des marques, gérer de manière optimale son portefeuille de marques, sont autant d'enjeux auxquelles les sociétés sont confrontées. Nombreuses sont en effet les sociétés qui, au-delà des études et enquêtes de notoriété, mettent en place des outils de suivi de la performance des marques afin d'observer l'évolution de la valeur de cet actif dans le temps, et d'ajuster leur stratégie en conséquence.

Pourtant, lorsque l'on cherche à connaître la valeur d'une marque, les choses se compliquent. En examinant les informations publiées par les entreprises, comme leurs états financiers ou les rapports annuel, peu d'indications voire aucune ne sont données quant à la valeur économique des marques phares, ce qui semble peu logique lorsque l'on sait que celles-ci peuvent représenter dans certaines entreprises la majorité de leur capital et constituent les fondements de leur modèle économique. Toutefois, pour les sociétés cotées, le montant de la capitalisation boursière et son évolution transcrivent dans une certaine mesure, au-delà même de la valeur de marché des actions, la valeur des sous-jacents immatériels de l'entreprise, comme la marque.

Prenons l'exemple d'Apple

Le succès des iPod, iPad et autres blockbusters, lui a permis de connaître une croissance remarquable ces dernières années. Croissance de son chiffre d'affaires, croissance de ses bénéfices mais surtout croissance continue de son cours de bourse et de facto du montant de sa capitalisation boursière qui se situe, en octobre 2013, autour de 440 milliards de dollars, figurant ainsi parmi les plus grosses capitalisations boursières au monde et se disputant régulièrement la première place avec le pétrolier américain ExxonMobil.

Les derniers comptes publiés par la firme américaine (fin juin 2013) font apparaître un endettement négatif de l'ordre de -25 milliards de dollars. Avec une capitalisation boursière de 440 milliards de dollars, la valeur d'entreprise d'Apple, qui correspond à la valeur de l'actif économique de la firme ou en d'autres termes à la valeur de marché de son outil industriel et commercial, s'élève à près de 415 milliards de dollars.

Si l'on analyse d'autre part la situation patrimoniale du groupe, fondée sur les données bilancielles, force est de constater que les chiffres sont très différents: au montant des fonds propres comptables d'environ 120 milliards de dollars, il faut rajouter un endettement financier net de -30 milliards pour estimer la valeur comptable de l'actif économique, qui s'élève environ 90 milliards de dollars ; montant bien éloigné des 415 précédemment évoqués. Ces chiffres ne font que révéler la dichotomie entre une vision patrimoniale de nature comptable et une vision de marché reflétant la perception des investisseurs, analystes financiers et autres acteurs du marché.

De même, si l'on observe le montant total des actifs incorporels inscrits au bilan d'Apple, celui-ci s'élève à environ 4,5 milliards de dollars (ce qui représente près de 1% de la valeur d'entreprise de marché du groupe). Cela semble tout à fait curieux lorsque l'on connaît aujourd'hui la puissance et la notoriété de la marque Apple. Cela s'explique tout simplement par le fait que la valeur de la marque Apple ne figure pas au bilan du géant américain, car ne sont enregistrées au bilan des sociétés que les marques (ou autre actif incorporel) qui ont fait l'objet d'une acquisition. Ainsi, pour de nombreux groupes comme Apple, dont le succès repose en grande partie sur la force de leurs concepts et marques propres, la lecture du bilan ne reflète pas de manière juste leurs sous-jacents les plus stratégiques. Le cours de bourse, indicateur clé observé à la loupe par les investisseurs financiers et par les acteurs de marché au sens, lui, intègre d'une certaine manière la valeur et la force de la marque car il constitue la vision du marché sur la société, son potentiel de développement, la nature et la solidité de ses actifs stratégiques, etc.

Mais alors, quelle valeur donner à la marque ?

Il existe différentes méthodes de valorisation de marque. Les approches les plus reconnues par les évaluateurs financiers s'appuient sur les flux financiers futurs ('cash flows') devant être générés par la marque. Ces approches reposent sur le principe de base selon lequel la valeur d'une marque est fonction des revenus et des profits qu'elle dégagera dans le futur, et non de ses revenus et profits passés. En effet, un acquéreur lambda sera prêt à racheter une marque pour son important potentiel de développement et de rentabilité dans les années à venir. Le fait qu'une marque ait été connue et reconnue dans le passé ne présuppose pas que sa valeur soit pour autant élevée.

Néanmoins, valoriser une marque n'est pas un exercice facile, car il a pour objectif de mettre un chiffre sur un actif immatériel, la difficulté majeure étant de rendre tangible un concept totalement intangible. De manière intuitive et subjective, quiconque peut percevoir la force d'une marque par son ancienneté et son histoire (Coca-Cola), sa présence sur nos écrans de télévision (L'Oréal), son concept novateur (Apple), etc. Chaque marque a son propre génome que les évaluateurs analysent, gène par gène, afin d'en comprendre le fonctionnement, la dynamique, le vécu, le potentiel mais surtout les indicateurs de création de valeur. Se pencher sur ces différents éléments est un prérequis à la mise en œuvre des approches de valorisation économique.

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Rita Chraïbi est Director au sein du cabinet du conseil financier Duff & Phelps. Elle est spécialisée en évaluation financière de sociétés et d'actifs d'incorporels tels que les marques. Elle a travaillé pour de nombreuses sociétés sur des problématiques de valorisation de marques, dans des secteurs variés comme l'industrie du luxe, des cosmétiques, agro-alimentaire, et bien d'autres encore.

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