Voici un document surprenant, qui éclaire d'un jour peut-être révélateur la campagne d'attentats de Daesh dans les dernières semaines.
Cette campagne a-t-elle été planifiée pour suivre un plan d'extension du Djihad mondial courant jusqu'en 2020 qui existait déjà en 2005 ? Pour comprendre les objectifs de l’Etat islamique dans la campagne d’attentats rapprochés tous azimuts des quelques dernières semaines, il est utile de se rapporter au plan djihadiste pour les années 2000-2020 tel qu’il avait été décrit pour la première fois en 2005.
Fouad Hussein est un journaliste jordanien, autour du livre « Al Zarqawi – La seconde génération d’Al Qaeda », paru en 2005 et basé sur des entretiens avec des militants islamistes éminents, y compris Abou Moussab Al Zarqawi, à l’époque le chef d’Al Qaeda en Irak. Dans ce livre, Hussein décrit ce que ces islamistes lui ont dit être la grande stratégie d’Al Qaeda, un grand plan en sept phases qui s’étend sur 20 ans. La stratégie d’Al Qaeda telle que décrite dès 2005 se décompose en sept phases qui s’étalent entre 2000 et 2020, date à laquelle selon le plan sera établi le Califat Islamiste mondial et la victoire définitive sera atteinte.
Le fait que la principale organisation djihadiste était il y a dix ans Al Qaeda, et est aujourd’hui Daesh, n’a pas nécessairement eu pour conséquence un bouleversement des plans de long terme. De manière peut-être surprenante, revisiter ce grand plan dix ans après qu’il ait été décrit pour la première fois permet de bien mieux comprendre non seulement les objectifs que visent aujourd’hui les djihadistes, mais encore même les raisons de la campagne intensive et tous azimuts d’attentats lancés par l’Etat islamique – également nommé « Daesh » – à partir du mois d’octobre 2015.
Sept étapes pour un « Califat » mondial
A partir de ces textes d’époque « Les sept étapes d’Al Qaeda » (15 août 2005, en anglais), « Les dirigeants d’Al Qaeda révèlent leurs projets pour la domination mondiale » (24 août 2005, en anglais), voici un résumé des sept phases du plan général des djihadistes tel qu’il existait en 2005 :
La première phase est « l’Eveil », supposée avoir duré de 2000 à 2003, plus précisément depuis les attentats du 11 septembre 2001 jusqu’à la chute de Bagdad lors de l’invasion américaine de 2003. L’objectif des attentats du 11 septembre était de provoquer les Etats-Unis à déclarer la guerre au monde islamique et ainsi « réveiller » les musulmans. Cette première phase était du point de vue des stratèges d’Al Qaeda très réussie.
Dans la deuxième phase, nommée « Ouvrir les yeux », s’étendant de 2003 à 2006, les terroristes espèraient faire comprendre à la « communauté islamique » la « conspiration occidentale », tandis qu’Al Qaeda continuerait à recruter.
La phase trois, « Se lever et tenir debout », de 2007 à 2010, devait voir des attaques de plus en plus fréquentes contre la Turquie laïque et l’ennemi israélien.
Pendant la quatrième phase, entre 2010 et 2013, des régimes arabes honnis devraient s’effondrer, y compris Arabie saoudite et Jordanie. Les producteurs de pétrole seraient attaqués, l’économie américaine ciblée par le cyber-terrorisme.
Dans la cinquième phase, soit entre 2013 et 2016, un Etat islamique, c’est-à-dire un Califat, serait fondé. A ce moment, l’influence occidentale dans le monde islamique serait suffisamment réduite pour que la résistance occidentale à cet Etat n’ait plus à être crainte.
Pendant la sixième phase, à partir de 2016, commencerait une période de « confrontation totale ». Dès que le « Califat » aurait été déclaré, l’ « armée islamique » fomenterait « le combat entre les croyants et les infidèles » qui a si souvent été prédit par Oussama Ben Laden.
Enfin, la septième phase est décrite comme « victoire définitive ». Dans l’esprit des terroristes, le reste du monde serait tellement effrayé par « un milliard et demi de musulmans » que le « Califat » l’emporterait à coup sûr. Cette phase s’achèverait vers 2020.
A la lecture de ce plan 2000-2020 présenté dès 2005 comme le plan à long terme des djihadistes, deux choses sont frappantes :
Un document crédible – et qui conforte les djihadistes
D'abord que les étapes décrites correspondent assez bien aux événements qui se sont effectivement déroulés. Pour la période de 2000 à 2005 ce n'est certes pas vraiment surprenant, car après tout le plan n'a émergé qu'en 2005 et peut-être ne date-t-il pas vraiment de 2000 comme les chefs islamistes l’affirmaient au journaliste Fouad Hussein. Mais pour la période de 2005 à 2015, qui était dans l'avenir quand le plan fut décrit, sans une exactitude précise qui serait improbable, il y a tout de même pas mal de choses qui sont très bien vues :
Concentration de l’effort des djihadistes sur la Syrie, à partir du point de départ irakien
Effondrement de nombreux régimes arabes dans la période de 2010 à 2013, quoique pas de l’Arabie saoudite ni de la Jordanie
Dans la cinquième phase du plan c’est-à-dire entre 2013 et 2016, proclamation d’un Etat islamique ou « Califat » dans la zone Irak-Syrie
Ces éléments qui ressemblent de manière assez frappante aux événements réels ne sont évidemment pas l'indication que les djihadistes pourraient prévenir l'avenir, ni qu'ils contrôleraient tout ce qui se passe, encore moins que « Dieu est avec eux ». D'autres éléments – cependant moins importants – de leur maître-plan ne se sont pas réalisés. Et le fameux « printemps arabe » de 2011, débouchant dans plusieurs cas sur l’avènement de régimes islamistes, et en tout cas sur la croissance de forts mouvements djihadistes, n'a pas été déclenché principalement par eux.
Mais ces points communs frappants entre le plan de 2005 et les actes des dix années suivantes montrent chez les djihadistes des objectifs clairs – la Syrie et l'Irak, choisis depuis longtemps – ainsi qu'une capacité à s'en tenir aux grandes étapes d'un plan de long terme. Il est tout de même assez impressionnant de constater que l'Etat islamique en Irak et en Syrie, proclamé en 2014, était déjà prévu en 2005 pour cette période-là. Quant à ce qui n'était pas sous le contrôle djihadiste, comme les révolutions arabes de 2011, ou encore l’affaiblissement des économies occidentales qu’ils espéraient provoquer par des attaques sur la production pétrolière et qui fut en réalité la conséquence de la crise économique commencée en 2008, le fait même que de tels événements se soient produits au moment même où ils pensaient en avoir besoin doit certainement conforter les djihadistes dans l'idée que « Dieu le veut », et que Dieu les aide.
Ce plan n'est pas ou plus seulement le plan d'Al Qaeda. Ce n'est pas l'organisation historique des djihadistes qui a créé l'Etat islamique, c'est une organisation rivale avec la même idéologie – mais qui s'était tout de même glissée dans le plan et le scénario existant depuis longtemps.
L’explication de la campagne d’attentats en cours ?
D'autre part, à supposer que les djihadistes se donnent pour objectif de continuer à suivre leur script, c'est effectivement maintenant le bon moment pour lancer une campagne terroriste tous azimuts !
Car la sixième phase du plan – ce plan qui date au plus tard de 2005 – c'est à partir de 2016 une « confrontation totale », le soit-disant Califat déclenchant le « combat entre les croyants et les infidèles ». Ceci avant la septième et dernière phase, débouchant sur la victoire totale pour 2020, c'est-à-dire l'union de « un milliard et demi de musulmans » en une seule nation alors imbattable. Le plan prévoyant clairement que l’Etat islamique recruterait et grandirait au fur et à mesure qu'il serait attaqué.
Or si les djihadistes, non plus Al Qaeda mais l'organisation Etat islamique qui continue son scénario, veulent ce qu'ils appellent une confrontation totale dès 2016, c’est bien précisément vers la fin de 2015 qu’ils sont besoin de provoquer tous leurs ennemis à la fois. Il est donc possible de comprendre la récente salve d’attentats terroristes organisés par l’E.I., frappant de la Turquie le 10 octobre à la Russie et l’Egypte le 31, du Liban le 12 novembre à la France le 13 et au Mali le 20, comme une préparation et une provocation à cette « confrontation totale ».
Plusieurs commentateurs ont analysé la rafale d'attentats tous azimuts de l'E.I. – Turquie, Egypte, Russie, Liban, France, Mali frappés en à peine plus d'un mois – comme une erreur stratégique. Les djihadistes n'incitaient-ils pas leurs ennemis à intervenir voire à s'unir ? Et si c'était au contraire une stratégie parfaitement pensée, voulue par le commandement central de l'E.I. pour passer à la phase suivante de leur plan ?
Il peut paraître surprenant qu’un document vieux de dix ans puisse être pertinent pour comprendre les actions et la stratégie des djihadistes d’aujourd’hui. Mais c'est pourtant l'explication la plus logique, et cohérente avec l’idéologie apocalyptique de l’organisation Etat islamique, dont la revue même porte le nom de la ville de Syrie, Dabiq, où suivant certaines paroles de Mahomet aurait lieu un jour la bataille finale entre le Bien et le Mal : la campagne d'attentats dont les attaques du 13 novembre sont la composante française voire européenne a été pensée et voulue depuis des années.
C'est l'Etat islamique qui bat le rappel de ses ennemis – car la guerre doit commencer, et le soit-disant « Califat » entend bien la gagner. Et s’il compte bien, contre toute attente, l’emporter, c’est non seulement parce qu’il croit que Dieu est de son côté et lui donnera la victoire par grâce, même contre des ennemis en apparence innombrables. Mais encore et surtout parce qu’il compte que cette guerre une fois commencée, de plus en plus de nouvelles recrues le rejoindront, jusqu’à constituer la force capable de reconstituer l’antique Califat unique des premiers temps après Mahomet et rassembler « un milliard et demi de musulmans » sous sa bannière.
Est-ce un risque réel ? Difficile de l'imaginer, et les djihadistes surestiment par enthousiasme religieux leur puissance d'attraction, l'organisation Etat islamique pouvant par certains côtés se rapprocher d'un culte apocalyptique. Mais en sens inverse, sous-estimer la force d'attraction de l'idéologie djihadiste pourrait s'avérer être une faute grave. L'idéologie djihadiste ne convainc aujourd'hui qu'une faible partie des musulmans, rien ne garantit qu'elle ne pourrait en attirer davantage à l'avenir.