Fin du nucléaire : l’industrie électrique a besoin d’une vision à long terme

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By Nicolas Goldberg Published on 24 avril 2017 5h00
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300 millions ?EDF estime que le démantèlement de ses réacteurs lui coûtera 300 millions d'euros.

Fruit d’une politique industrielle et énergétique de plus de 50 ans, l’exception nucléaire française arrive désormais à un tournant de son histoire.

En effet, avec un parc actif de 58 réacteurs âgés en moyenne de 32 ans et 12 réacteurs à l’arrêt dont 9 en démantèlement, le nucléaire français doit désormais répondre aux questions de la mise en œuvre du démantèlement et de la maîtrise de ses coûts. Fortement dépendant des décisions sur les prolongations des réacteurs actuels et du renouvellement des capacités, le chiffrage du démantèlement nucléaire est souvent attaqué pour son manque de transparence et sa sous-estimation qui pourrait nuire à la compétitivité de l’atome.

Pourtant, plusieurs retours d’expériences et modes de fonctionnement appliqués dans d’autres pays montrent qu’il est possible de mener à bien des démantèlements nucléaires dans le temps et d’en maîtriser les coûts, à condition d’être clair et transparent sur les hypothèses retenues. Aux Etats-Unis, pour chaque réacteur, une estimation contrôlée par l’autorité régulatrice nationale, la Nuclear Regulatory Commission (NRC), et des décisions sur les prolongations permettent de bien maîtriser le coût de démantèlement nucléaire.

Outre-Atlantique, dans le pays qui possède le plus de réacteurs nucléaires, la NRC veille régulièrement à ce que les coûts, estimés pour chaque réacteur, soient provisionnés. Cette règle de fonctionnement lui permet d’en tirer une conclusion claire : chaque démantèlement de réacteur est un chantier unique dont le coût dépend de la puissance, de l’année de construction, du tissu industriel présent dans la région, de l’accessibilité de la centrale et surtout de la technologie utilisée. Ainsi, le démantèlement peut varier de 300 à 931 M$, sans toutefois compter le coût de gestion des déchets issus du combustible, généralement entreposés sur place.

En France, EDF estime que le démantèlement de ses réacteurs lui coûtera 300 M€ par tranche, soit l’estimation basse de la NRC aux USA. Plusieurs arguments expliquent cette différence d’estimation. Tout d’abord, les 58 réacteurs actifs sont standardisés et utilisent la même technologie, ce qui permettrait de profiter des mêmes économies d’échelle pour le démantèlement que pour leur construction. Par ailleurs, la France dispose d’une stratégie de stockage des déchets plus avancée que celle des Etats-Unis via le projet Cigéo, qui permet ainsi de traiter le coût des déchets séparément du coût de démantèlement.

De plus, EDF base son estimation des coûts sur deux hypothèses structurantes : la prolongation du parc nucléaire jusqu’à 50 ans (voire 60 ans dans certains cas) d’une part et la future construction de nouveaux réacteurs sur les sites existants d’autre part. La première hypothèse permet de provisionner les coûts sur une durée plus longue et ainsi d’étaler les dépenses pour mieux profiter des effets d’échelle en réutilisant les savoirs faire des prestataires d’une année sur l’autre. La deuxième, conforme aux déclarations des PDG successifs d’EDF, prend pour acquis le remplacement à termes des anciens réacteurs par des « EPR nouveau modèle », permettant ainsi de s’affranchir du coût de « retour à l’herbe » et de réhabilitation du terrain.

C’est à ce niveau que le bât blesse. Si, aux Etats-Unis, il est assez clair que la plupart des réacteurs seront prolongés et non renouvelés en raison de la concurrence des centrales à gaz, la France, elle, reste suspendue à l’attente d’une décision politique sur la prolongation de son parc et du renouvellement des puissances. Cela a d’ailleurs été bien noté par les deux auteurs du rapport parlementaire sur les coûts du démantèlement nucléaire. Changer les hypothèses de part du nucléaire dans un mix énergétique futur, forcer la fermeture de réacteurs nucléaires ou prendre une décision sur le relève du parc actuel a des impacts forts sur le coût du démantèlement nucléaire et les provisions à engager. Dans ce contexte, il est difficile de reprocher à EDF de « sous-évaluer » les provisions à faire car celles-ci dépendent d’hypothèses mouvantes et sont valables à un moment donné. Par ailleurs, certains démantèlements s’étalant sur plus de 30 ans, il est possible d’ajuster certaines provisions et d’ancrer dans la durée une filière d’emplois pérennes de démantèlement avec une vision du chiffre d’affaire généré sur plusieurs années.

Ainsi, le débat sur le démantèlement nucléaire dépasse la seule vision de son coût. Comme pour l’avenir de Fessenheim, au-delà des lois et des démonstrations de forces, la France a besoin de construire avec EDF un consensus autour de l’évolution de son modèle et de la manière de l’accompagner. Derrière tout cela, c’est bien de notre modèle industriel et de l’emploi généré ou détruit qu’il est question.

Pour retrouver l’intégralité de l’étude de Colombus Consulting sur le marché du démantèlement nucléaire, rendez-vous ici.

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Nicolas Goldberg, manager énergie et environnement au sein du cabinet Colombus Consulting

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