Crise du Covid-19: la force majeure s’applique-t-elle aux contrats commerciaux ?

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Par Patrice Grenier Modifié le 8 avril 2020 à 6h37
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@shutter - © Economie Matin
43.566,64 eurosDans l'affaire, qui fait jurisprudence depuis l'arrêt n°13-20.306 du 16 septembre 2014 de la Cour de cassation, le débiteur était redevable de la somme de 43.566,64 euros auprès de sa banque.

Dans le contexte de crise et de restrictions de déplacement lié au Covid-19, beaucoup d’entreprises ne peuvent plus respecter les obligations de leurs contrats commerciaux en cours d’exécution. S’agit-il d’un cas de force majeure ?

Outre des problématiques de santé publique, le Covid-19 impacte également l’économie mondiale. En France, tous les secteurs sont touchés et le passage au stade 3 du plan pandémie va corser la situation. Nombre d’entreprises se trouvent victimes de retards, d’indisponibilité des marchandises ou encore d’une rupture de chaîne d’approvisionnement. Mises en difficulté, elles doivent trouver des solutions juridiques pour éviter des pénalités de retard et renégocier leurs contrats dont elles ne peuvent plus respecter les obligations.

La force majeure est-elle applicable ?

En France, la force majeure est définie par l’article 1218 du code civil comme suit : « il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

Or, pour pouvoir invoquer la force majeure et se libérer d’une obligation contractuelle, trois critères doivent être cumulés : l’événement doit être imprévisible à la date de la conclusion du contrat, irrésistible dans son exécution et, enfin, extérieur. En outre, seules les obligations de faire peuvent être exonérées au nom de la force majeure, mais non les obligations contractuelles de paiement d’une somme d’argent (Cass, Com, 16 septembre 2014, n°13-20.306).

Quels critères déterminent si la force majeure s’applique à un contrat ?

La rédaction contractuelle qui a été faite du contrat doit être examinée pour vérifier l’insertion d’une clause spécifique de force majeure. En effet, la disposition de force majeure peut être librement aménagée par les parties. Ainsi, une liste exhaustive des cas considérés comme relevant de la force majeure peut avoir été dressée dans le contrat – avec toutefois le risque d’un oubli. Inversement, il convient de vérifier la présence d’une clause selon laquelle l’entreprise renonce à s’en prévaloir.

La nature imprévisible de cette pandémie : elle promet d’être longuement débattue, car le caractère imprévisible du Covid-19 s’apprécie au jour de la conclusion du contrat. Ce caractère sera donc difficile à démontrer pour les parties ayant contracté récemment, alors que le Covid-19 était déjà identifié et en propagation. Toutefois, certains pourront faire jouer le caractère inédit de mesures de prévention dans certaines zones géographiques (mise en quarantaine, interdiction des rassemblements d’une certaine ampleur, confinement de la population…), rendant l’exécution du contrat impossible et rapprochant ainsi le Covid-19 d’autres épidémies tel que le SRAS.

La position exceptionnelle de l’État : la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) tout comme les entreprises importatrices de la mécanique et de l’électronique en France (Ficime) ont appelé le gouvernement à reconnaitre, à l’instar des autorités chinoises, que le Covid-19 est un cas de force majeure afin de protéger les entreprises des risques de pénalités encourues en cas d’inexécution ou de retard dans l’exécution des contrats. L’Etat a fait droit à cette demande reconnaissant le Covid-19 comme un cas de force majeure pour ses marchés publics ce qui a pour conséquence de rendre impossible l’application de pénalités de retard.

Si la force majeure s’applique en définitive à un contrat, il convient de ne pas perdre de vue ses effets sur la relation contractuelle. Ceux-ci sont en général prévus au contrat, notamment la nécessité de respecter un certain formalisme comme l’envoi d’une déclaration au cocontractant dans des conditions de délai, ou l’obligation de négocier de bonne foi les aménagements possibles ou la résiliation.

Peut-on avoir recours à la théorie de l’imprévision ?

Une cause d’imprévision, dite également hardship, permet aux parties de renégocier leur contrat. L’imprévision est définie par l’article 1195 du code civil comme « un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rendant l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui
n’avait pas accepté d’en assumer le risque
 ». Elle permet à cette dernière de demander une renégociation du contrat à son cocontractant.

Ainsi, une entreprise qui a pris des mesures appropriées et excessivement onéreuses pour contourner les conséquences du Covid-19 ne peut pas invoquer un cas de force majeure. Par contre, la cause d’imprévision peut la concerner et s’appliquer à ses contrats.

Quels critères déterminent si l’imprévision s’applique à un contrat ?

Les documents contractuels sont le critère à étudier pour vérifier si les parties ont prévu une clause d’acceptation du risque d’imprévision. Si elles l’ont en effet prévue, cela signifie qu’elles acceptent le risque d’un changement de circonstances imprévisibles et qu’il ne sera pas possible de renégocier le contrat.

Dans le cas contraire, ou si la question n’est pas traitée dans le contrat, le juge disposera, à la demande d’une partie, du pouvoir de réviser ou de mettre fin aux contrats selon les conditions qu’il fixera.

Qu’en est-il de la couverture d’assurance ?

La question de la couverture par les assurances se pose particulièrement aux entreprises qui subissent des annulations de contrat à cause du Covid-19. La réponse, là encore, va dépendre du contrat et il convient notamment de vérifier s’il prévoit une assurance annulation avec une extension pandémie.

Des garanties s’appliquent-elles dans le cas d’une pandémie comme le Covid-19 ?

La garantie de perte d’exploitation, qui a pour but de replacer l’entreprise dans la situation qu’elle aurait connue si le sinistre ne s’était pas produit, ne va pas toujours couvrir l’entreprise dans le cas d’une pandémie. En effet, cette garantie est le plus souvent conditionnée par un dommage matériel. Or, aussi néfastes que soient les conséquences du Covid-19 pour les entreprises, elles ne donnent pas lieu à un dommage matériel et échappent donc à la définition retenue de la perte d’exploitation.

La garantie de perte d’exploitation en l’absence de dommage matériel : certains contrats prévoient l’application de la garantie de perte d’exploitation, même si aucun dommage matériel n’est à déplorer. Néanmoins, même en ayant prévu une telle couverture, une prise en charge n’est pas certaine puisque dans la majorité des cas, la solution assurantielle ne peut être envisagée que sur des périmètres limités – soit sur des événements qui ne seraient pas systémiques. Or, ce ne peut être le cas d’une pandémie comme le Covid-19 qui se propage à grande vitesse. Aussi, les pertes liées à une pandéme ou une épidémie ne sont pas couvertes et certaines maladies peuvent de plus être exclues.

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Avocat au Barreau de Paris depuis 1990, diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (Science Po), titulaire d’un troisième cycle de droit de l’Université Paris II, Patrice Grenier est un expert de la pratique juridique des enjeux industriels, aussi bien en France qu’à l’international. Il est membre de l’Association Française d’Arbitrage (AFA), de l’Institut Français des Administrateurs (IFA) ainsi que de l’Association pour le Management des Risques et des Assurances de l’Entreprise (AMRAE). Il a été nommé, en tant que personnalité indépendante, par un grand groupe industriel français présent dans plus de 50 pays pour présider son Comité d’audit éthique.

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