La Grèce en route vers la « double monnaie » ? [BESTOF]

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Par Coralie Delaume Publié le 18 août 2015 à 5h00
Grece Monnaie Euro Sortie Crise
175,1 %La dette grecque représente 175,1 % du PIB.

Initialement paru le 11/06/15

Olivier Delorme, historien et spécialiste de la Grèce, vient de repérer une information intéressante sur le site grec To Pontiki. Des responsables européens auraient récemment évoqué, en cas d'échec des négociations entre la Grèce et l'Eurogroupe sur le sujet des réformes et d'impossibilité pour Athènes de faire face à ses dépenses courantes, de mettre en place provisoirement une "double monnaie".

Idée farfelue ?

Pas forcément. Pas neuve en tout cas. En 2012, un économiste de la Deutsche Bank s'était fendu d'une étude dans laquelle il formulait exactement la même proposition.

Ce créatif individu, répondant au doux patronyme de Thomas Meyer, avait expliqué ceci : le gouvernement hellène étant sur le point de se trouver à court d'argent pour payer les traitement des fonctionnaires et les retraites - et faute de disposer d'une banque centrale nationale pouvant émettre des euros - il pourrait être amené à imprimer des reconnaissances de dette ou « IoU » («I owe you» ). Peu à peu, ces IoU se multiplieraient et finiraient par devenir une monnaie en tant que telle, que l'ont pourrait baptiser « Geuro ». Ce « Geuro » cohabiterait avec « l'euro-sans-G », l'un n'étant utilisé qu'en interne, l'autre pour les échanges commerciaux entre pays. Le « Geuro » pourrait - et même devrait - être sensiblement dévalué par rapport au « sans-G», ce qui ne manquerait pas de rendre à l'économie grecque sa compétitivité, notamment parce que le coût du travail s'en trouverait abaissé. La Grèce finirait ainsi par être remise sur pieds et, selon Thomas Meyer, par réintégrer l'euro-sans-G.

Sauf que.... sauf qu'on voit mal pourquoi elle ferait ça, la Grèce. Pourquoi renoncerait-elle à une santé économique tout juste retrouvée ? Pourquoi retourner en enfer alors qu'on vient juste d'en revenir ?

C'est absurde, et il est certain que le voyage vers la « double monnaie » serait un aller simple. C'est pourquoi d'autres économistes proposent de transformer l'euro en monnaie commune - et non plus unique – de manière définitive. Et non pas seulement pour la Grèce mais pour tout le monde !

C'est ce qu'envisageait encore récemment Jean-Michel Naulot ici, sur L'arène nue. Il conviendrait, disait-il « de tester la mise en place d’un système de monnaie commune : conserver l’euro pour les transactions extérieures et permettre des ajustements réguliers pour l’euro-drachme. Les dirigeants européens auraient-ils oublié que de 1999 à 2002 les pays de la zone euro ont déjà vécu avec ce système ? Les monnaies nationales étaient utilisées pour les transactions internes, l’euro pour les transactions externes. La seule différence, c’est qu’à l’époque les parités nationales étaient figées, non ajustables ». Ici, on le voit, la seconde monnaie, celle qui n'est utilisée qu'en interne, est nommée « euro-drachme ». Mais si on décide de l'appeler « Geuro ».... ça marche aussi.

Idée farfelue ?

Pas forcément. En tout cas pas aux yeux de Harold James, professeur à Princeton, qui écrivait dans La Tribune en....2011 : « la dualité monétaire, qui a déjà existé au XIXème siècle, permettrait à des pays comme la Grèce de regagner en compétitivité ». Et le bougre de rappeler: «il est possible que les deux monnaies ne convergent pas et soient amenées à coexister durant une longue période. Ce n'est pas une idée nouvelle. Lors des discussions sur l'union monétaire au début des années 1990, on avait envisagé que la monnaie commune ne soit pas une monnaie unique. Il y a vingt ans, cette éventualité ne constituait pas une construction théorique limitée à des discussions marginales. C'était une véritable alternative historique ».

Et oui, l'idée fut discutée. Très sérieusement même. Elle fut notamment défendu au début des année 1990 par l'Angleterre de John Major, lequel avait proposé de donner à cette monnaie commune le nom de « hard ecu ». Bref, les « responsables européens » cités par le site grec To Pontiki n'ont certainement inventé ni le fil à couper le beurre, ni l'eau chaude. En revanche, ils nous proposent de réinventer la roue. C'est déjà pas si mal.

Article publié initialement sur le blog de Coralie Delaume

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Coralie Delaume est bloggueuse et essayiste. Souverainiste, elle étudie la gouvernance économique européenne et s'intéresse à l'accession au pouvoir du parti de gauche radicale, Syriza, en Grèce.

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