L’histoire de l’économie : de la poésie à la science

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Par Tomáš Sedláček Modifié le 13 mai 2013 à 1h54

L'économie telle que nous la connaissons aujourd'hui est un phénomène culturel, un produit de notre civilisation.

Mais ce n'est pas un produit au sens où elle aurait été intentionnellement fabriquée ou inventée à l'instar d'une montre ou d'un moteur d'avion. Une montre, un moteur d'avion, nous les comprenons – nous savons d'où ils viennent. Nous pouvons (presque) les décomposer entièrement puis les reconstruire. Nous savons comment ils se mettent en marche et comment ils s'arrêtent.

Avec l'économie, il en va autrement. Ses origines sont en grande partie inconscientes, spontanées, incontrôlées, imprévues, étrangères à la baguette de tout chef d'orchestre. Avant de devenir un champ d'étude à part entière, l'économie s'accommodait de son rattachement à des branches de la philosophie – l'éthique, par exemple – très éloignées de son concept d'aujourd'hui, celui d'une science mathématico-allocative dédaigneuse des sciences « sociales ». Mais notre « éducation » millénaire repose sur une base plus profonde, plus large et souvent plus solide qu'il est bon de connaître.

Mythes, récits et science fière
On aurait tort de croire que la réflexion économique a commencé avec l'ère scientifique. Au début, pour répondre à des questions assez semblables à celles d'aujourd'hui, on expliquait le monde par les mythes et la religion ; aujourd'hui, ce rôle incombe à la science. Pour voir le lien, il faut sonder des mythes et des philosophies bien plus anciens.

Ce livre vise donc à rechercher la pensée économique dans les mythes antiques, et inversement à rechercher les mythes dans l'économie d'aujourd'hui.

On considère que l'économie moderne est née en 1776 avec la parution de The Wealth of Nations (La Richesse des nations) d'Adam Smith. Notre âge postmoderne (nettement plus humble, dirait-on, que l'ère scientifique moderne qui l'a précédé) est plus disposé à regarder loin en arrière, il est conscient du pouvoir de l'histoire (path dependency : effet de sentier), de la mythologie, de la religion et des fables.

« La séparation entre l'histoire d'une science, sa philosophie, et cette science elle-même tend à se dissoudre, de même que la séparation entre science et non-science ; les différences entre scientifique et non-scientifique s'évanouissent. » Il faut donc partir d'aussi loin que l'héritage écrit de notre civilisation nous le permet. Nous rechercherons les premières traces d'interrogation économique dans l'épopée du roi sumérien Gilgamesh et nous nous demanderons comment les esprits juif, chrétien, classique et médiéval considéraient les questions économiques.

De plus, nous examinerons avec soin les théories de ceux qui ont jeté les bases de l'économie contemporaine. Étudier l'histoire d'un domaine n'est pas, comme on le croit communément, étaler inutilement ses inconséquences, ses tâtonnements ou ses erreurs (que nous avons réparées), c'est l'étude la plus complète possible de tout ce que ce domaine peut offrir. Hors de notre histoire, nous n'avons rien.

L'histoire de la pensée nous aide à remédier au lavage de cerveau intellectuel de notre époque, à voir à travers la mode intellectuelle du jour, à prendre du recul. Étudier de vieux récits n'est pas utile seulement aux historiens ou à la compréhension de ce que pensaient nos ancêtres. Ces récits ont leur pouvoir propre, même après que de nouveaux récits sont apparus pour les remplacer ou les contredire.

La controverse la plus célèbre de l'histoire, le débat entre le géocentrisme et l'héliocentrisme, en fournit un exemple. Chacun sait que l'explication héliocentrique l'a emporté, ce qui ne nous empêche pas aujourd'hui encore de dire que le soleil se lève et se couche. Or le Soleil ne se lève ni ne se couche : si quelque chose se lève, c'est notre Terre (autour du Soleil) et non le Soleil (autour de la Terre). Le Soleil ne tourne pas autour de la Terre, la Terre tourne autour du Soleil – à ce qu'il paraît.

De plus, les histoires, images et archétypes anciens que nous examinerons dans la première partie de ce livre nous accompagnent encore aujourd'hui et ont co-créé notre approche du monde ainsi que notre regard sur nous-mêmes. Ou, comme l'a dit C.G. Jung : "La vraie histoire de l'esprit est préservée non dans les volumes appris mais dans l'organisme mental vivant de chacun."

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Auteur du livre "L'Economie du Bien et du Mal". Ancien conseiller économique de Vaclav Havel, puis membre du Conseil national économique de la République Tchèque, Tomáš Sedláček est aujourd'hui conseiller en macro-économie à la banque tchèque CSOB.

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