Alors que le COVID-19 se propage et que la réponse des gouvernements continue de s’adapter, nous analysons les développements récents et la manière dont ils pourraient affecter le secteur européen de l’immobilier.
Le 12 mars, l’Organisation mondiale de la santé a identifié l’Europe comme étant l’épicentre de la pandémie de coronavirus1. Les gouvernements européens tentent de juguler la propagation du virus grâce à des mesures sans précédent visant à limiter les interactions sociales. Bien que certaines soient plus strictes que d’autres, ces mesures perturbent l’activité économique comme jamais auparavant – avec des implications majeures pour l’immobilier.
L’expérience chinoise démontre chaque jour un peu plus que le fait de mettre à l’arrêt des pans entiers de l’économie entraîne des chutes considérables de la production. Cela nous donne une indication claire de l’orientation actuelle de l’économie européenne2.
L’impact peut varier en fonction des pays. Certains ont une population plus âgée – et donc plus vulnérable ; certains bénéficient de systèmes de santé plus solides ; tandis que d’autres sont plus exposés aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement ou dépendent davantage du tourisme. Mais tous les pays ont en commun à d’envisager l’avenir proche avec appréhension.
Les mesures à court terme sont vitales
Pour les investisseurs immobiliers, certaines sources de revenus sont menacées car les occupants ne parviennent pas eux-mêmes à générer des revenus suffisants pour payer leur loyer et, dans les cas extrêmes, pour maintenir leur activité. Les pouvoirs publics ont imposé la fermeture des restaurants, des cafés et des bars. De nombreux magasins sont soit fermés jusqu’à nouvel ordre, soit connaissent une baisse importante de leur niveau de fréquentation. D’autres entreprises souffrent d’une rupture de la chaîne d’approvisionnement, d’obstacles pratiques à une activité commerciale normale et d’une forte baisse de la demande3.
Dans un environnement aussi difficile, les investisseurs tentent d’estimer combien de temps ces mesures publiques strictes resteront en place et si les responsables politiques mettent en œuvre des dispositifs appropriés pour soutenir les entreprises.
Le fait est que nous ne savons pas combien de temps vont durer les perturbations de la vie normale. Elles dépendront beaucoup de l’aptitude des systèmes de santé à maintenir et, espérons-le, à accroître leur capacité en cas de besoin. Le rythme de l’augmentation et de l’accélération du nombre de dépistages est également essentiel. Et s’il n’est pas certain que les interventions pharmaceutiques puissent limiter la propagation à court terme, de vastes ressources sont mises en œuvre dans ce but.
À ce stade, on peut tirer une certaine satisfaction des actions des gouvernements et des banques centrales. D’importantes mesures budgétaires et monétaires ont été annoncées et, surtout, les autorités n’ont cessé de manifester leur volonté d’en faire davantage4.
Certains outils développés à l’issue de la crise financière mondiale sont disponibles, et les responsables politiques n’hésitent pas à les utiliser. Toutefois, il s’agit d’une crise différente des précédentes. La crise financière mondiale était une crise de liquidité qui a entraîné une crise de solvabilité ; à l’inverse, nous sommes aujourd’hui confrontés à une crise sanitaire à l’échelle mondiale qui a un impact immédiat et direct sur la solvabilité.
Il y a donc des limites au champ d’action des politiques monétaires. Les programmes d’achats d’obligations et les injections massives de liquidités contribuent à limiter les perturbations sur les marchés financiers et à maintenir la stabilité du système bancaire pour lui permettre de continuer à prêter aux entreprises en difficulté (avec des garanties gouvernementales) ; mais ce qui est essentiel, ce sont les mesures budgétaires ciblées adoptées pour soutenir les entreprises aussi longtemps que dureront les effets de cette crise.
En France, le gouvernement a annoncé des mesures d’urgence, et notamment le report des impôts et des charges sociales. Il est également en mesure d’offrir des garanties de prêts à hauteur de 300 milliards d’euros. Le gouvernement britannique a pris des mesures de soutien similaires s’élevant à 544 milliards de livres sterling5.
Dans une perspective à long terme, les baisses de taux d’intérêt, les programmes d’assouplissement quantitatif et les vastes plans de relance budgétaire permettront d’accélérer la reprise dès qu’elle s’amorcera. Mais dans l’intervalle, les marchés de l’investissement immobilier sont confrontés à des défis de taille. Les volumes de transactions ralentissent et, comme le mécanisme de détermination des prix est incertain, l’activité du marché devrait rester modérée de façon prolongée. Au Royaume-Uni, par exemple, le nombre d’actifs placés sur le marché a diminué en mars après un début d’année solide.
Sur les marchés, les prix indiquent un risque de baisse des valorisations (le graphique 1 montre le rapport entre le prix et la valeur brute des actifs des Real Estate Investment Trust (REIT) européennes par secteur, ce qui donne une indication de la baisse de la valeur des biens immobiliers anticipée par les investisseurs des marchés réglementés). Sur les marchés immobiliers non cotés, les ajustements ont tendance à se faire à un rythme moins brutal– bien qu’il ne s’agisse pas d’un contexte habituel.
Graphique 1 : la décote des REIT européennes par rapport à la valeur brute de leurs actifs
L’impact de la crise va varier
Les actifs à revenus de long terme ont toujours présenté des caractéristiques défensives en période de récession. Les fonds qui privilégient ces actifs ont surperformé en valeur relative pendant la crise financière mondiale, les investisseurs préférant nettement les flux de trésorerie sûrs et pérennes qu’ils peuvent offrir. Les actifs immobiliers adossés à des flux de revenus à long terme publics ou garantis par l’État sont susceptibles d’être les plus résistants.
À l’autre extrémité du spectre, les stratégies immobilières plus risquées et axées sur la croissance semblent plus vulnérables à court terme. En ce qui concerne les développements immobiliers, le calendrier et le coût des projets sont de plus en plus incertains étant donnée la perturbation des chaînes d’approvisionnement et la réduction temporaire de l’offre de main-d’œuvre. Pour les développements dont l’achèvement est prévu dans les mois à venir, l’activité de location devrait être freinée. Plus généralement, les investisseurs sont susceptibles de se tenir à l’écart des actifs dont les vacances ou les baux arrivent à échéance.
Les ralentissements cycliques peuvent également accélérer les changements structurels. Cela suscite des inquiétudes quant au segment de l’immobilier commercial discrétionnaire, l’un des premiers secteurs à être touché par le COVID-19, en particulier dans les zones dépendantes du tourisme. En effet, à l’instar du secteur de l’hôtellerie, c’est là que se manifestent les premiers signes d’une incapacité à payer les loyers et de possibles faillites d’entreprises. Les investisseurs qui ont tenté de devancer les changements de comportement des consommateurs en réduisant leur exposition aux actifs du segment immobilier commercial plus faibles devraient être moins touchés. Les actifs du segment immobilier commercial non discrétionnaire tels que les épiceries et les pharmacies seront probablement moins touchés par une forte baisse de la demande, mais pourraient néanmoins être confrontés à des difficultés opérationnelles.
Graphique 2 : Spread de crédit des titres BBB britanniques à 10 ans
Au sein du segment de l’immobilier de bureaux, la solidité des clauses restrictives et la qualité du bilan des occupants sont des facteurs essentiels. Comme le montre le graphique 2, les marchés du crédit valorisent les actifs comme si le risque de défaut des clauses les moins contraignantes avait augmenté rapidement. Les actifs adossés à des baux conclus avec le gouvernement et les organismes publics sont probablement parmi les plus résistants, et les entreprises qui jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement de la société et de l’économie au sens large sont plus susceptibles de recevoir une aide publique. En revanche, les occupants des secteurs des transports, du tourisme et de l’industrie peuvent être plus fragiles. Les portefeuilles conçus pour générer des revenus durables en ciblant les occupants solides et les actifs de haute qualité sont susceptibles de moins souffrir d’une perturbation des flux de trésorerie.
Dans le segment de l’immobilier logistique, les différents acteurs devraient connaître des sorts différents. Les occupants seront touchés par la perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales et les pénuries de main-d’œuvre potentielles, et la vente au détail en magasin pourrait réduire la demande. Toutefois, un pourcentage plus important de la population pourrait devenir dépendant du commerce en ligne durant la période d’isolement social forcé, offrant ainsi un certain coup de pouce au secteur. Dans l’ensemble, les actifs proches des consommateurs et, en particulier, de la main-d’œuvre, devraient être plus résistants.
Le secteur des logements étudiants est généralement défensif et les revenus locatifs devraient y être beaucoup moins affectés à court terme que dans de nombreux autres secteurs. Toutefois, si les voyages et l’enseignement supérieur demeurent perturbés à l’échelle mondiale d’ici la fin de l’été, les taux d’occupation pour l’année universitaire 2020-2021 vont éprouver des difficultés.
Pendant cette période, les propriétaires devront travailler en étroite collaboration avec leurs clients occupants pour préserver leurs revenus. Ceux qui ont établi des relations solides et de confiance seront les mieux placés pour surmonter les difficultés actuelles.
Une caractéristique essentielle de l’immobilier est que les investisseurs peuvent se positionner de manière à posséder un avantage en matière d’information, par exemple en se concentrant sur des marchés spécifiques où ils peuvent établir des relations solides avec les acteurs locaux. Cette caractéristique est particulièrement précieuse en période de volatilité, lorsque l’écart se creuse entre les prix et les valorisations, ce qui permet d’identifier des options d’investissement résistantes. Si les mois à venir vont être très difficiles pour tous les investisseurs, ceux qui ont acquis la plus grande expertise du marché et noué les relations locales les plus solides devraient être les mieux placés pour bénéficier d’une résilience à long terme.
Références
1 « L’OMS annonce que le COVID-19 est une pandémie », Bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé pour l’Europe, 12 mars 2020
2 Helge Berger, Kenneth Kang, Changyong Rhee, « Blunting the Impact and Hard Choices : Early Lessons from China » (Atténuer l’impact et faire des choix difficiles : les premiers enseignements de l’expérience chinoise), Blog du FMI, 20 mars 2020
3 « Much of global commerce has ground to a halt » (Une grande partie des échanges commerciaux mondiaux se sont immobilisés », The Economist, 21 mars 2020
4 Ben Hall, Martin Arnold, Sam Fleming, « Coronavirus: can the ECB’s ‘bazooka’ avert a eurozone crisis ? » (Coronavirus : la BCE peut-elle éviter une crise de la zone euro à coups de mesures vraiment radicales ?), Financial Times, 23 mars 2020
5 Andrew Sparrow, « UK Covid-19 death toll reaches 578 after biggest recorded daily rise – as it happened » (Le nombre de victimes du Covid-19 au Royaume-Uni a atteint 578 suite à la plus forte augmentation quotidienne enregistrée - Exclusif », The Guardian, 26 mars 2020